« Charlie-Hebdo » : libre et irresponsable


« Charlie-Hebdo d’hier
(Photo AFP)

Dans un contexte international d’une violence aveugle, « Charlie-Hebdo » a publié, une fois de plus, des caricatures qui se moquent de l’islam. Le gouvernement a pris des dispositions draconiennes de sécurité (fermeture de 25 écoles françaises à l’étranger) en prévision d’émeutes possibles, en France et ailleurs. Des salafistes de France prévoient d’organiser une manifestation à Paris en dépit d’une interdiction officielle.  

LES JOURNALISTES de « Charlie-Hebdo », que les socialistes avaient soutenus lors d’un procès précédent pour des caricatures du même genre, se réclament de la liberté d’expression. Sur ce point, on ne peut que les approuver : il n’y aucune bonne raison de céder aux menaces des islamistes intégristes. On admettra en outre que « Charlie-Hebdo », dont les locaux ont été incendiés en novembre 2011, ne craint pas de se mettre lui-même en danger. Si les auteurs  du film américain « L’Innocence de l’islam » traduisait une profonde bêtise alliée à une provocation grotesque, les émeutes qui s’en sont suivies de par le monde et ont fait des dizaines de morts relèvent d’une passion excessive et délétère que le film à lui seul ne saurait justifier. Notre indignation est donc double : contre le film et contre ceux qui, en y voyant un sacrilège, ont saisi le prétexte pour assassiner des innocents. De là à jeter de l’huile sur le feu au nom de la liberté d’expression, il y a un pas que « Charlie-Hebdo » a franchi parce que sa vision est limitée.

La liberté de vivre.

L’hebdomadaire satirique est même borgne. Il perçoit parfaitement, mais d’un seul oeil, la liberté sacrée de publier ce qu’il veut, il ne voit pas de l’autre oeil la réalité différente d’un univers musulman où la religion précède, et de loin, cette liberté. Nous avons fait notre révolution  il y a plus de deux siècles et nous avons troqué nos valeurs chrétiennes contre des valeurs républicaines. Malgré le printemps arabe, le monde arabo-musulman n’a pas encore fait cette mutation et peut-être lui faudra-t-il encore deux cents ans pour rejoindre les républiques laïques. C’est pourquoi, là où les journalistes de l’hebdomadaire satirique voient l’union de toutes les religions en faveur de l’obscurantisme, n’y a-t-il en réalité que le désir des uns et des autres de ne pas se blesser réciproquement. Car, pour quelqu’un qui croit, que ce soit en Dieu, en une religion, ou bien à la laïcité et à l’absence de Dieu, les railleries sont blessantes. Une des caricatures du journal n’est pas du meilleur goût qui associe un intégriste musulman à un rabbin orthodoxe, pour faire bonne mesure et prouver que toutes les religions sont bêtes et ridicules, alors que les représentants de la religion juive, comme les chrétiens, se sont seulement élevés contre une nouvelle et dangereuse provocation.

Peut-on rire de tout ? La question a été posée des millions de fois, mais la réponse est si compliquée que, de toute évidence, on ne peut pas. On ne peut pas parce que les mêmes principes qui nous permettent de vivre avec bonheur dans une société ouverte, libres de nous moquer de tout, y compris Dieu le père, nous conduisent à accorder à la vie humaine une valeur supérieure à toutes les autres, même la liberté. Pour être libre, il faut d’abord être vivant. Personne ne souhaite, même à « Charlie-Hebdo », que des gens perdent leur vie à cause d’une caricature. Ses journalistes ne peuvent pas croire qu’ils travaillent dans une bulle, chargés du seul exercice de leur liberté, avec des conséquences que les autres doivent subir.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à « Charlie-Hebdo » : libre et irresponsable

  1. vultaggio-lucas dit :

    « Peut-on rire de tout ? […] On ne peut pas parce que les mêmes principes qui nous permettent de vivre avec bonheur dans une société ouverte, libres de nous moquer de tout, y compris Dieu le père, nous conduisent à accorder à la vie humaine une valeur supérieure à toutes les autres, même la liberté. » écrivez-vous. Effectivement, on ne peut pas rire de tout qui plus est avec n’importe qui pour paraphraser Coluche. Je pense qu’après « toutes les autres » il manque le mot « vies ». Ceci dit et pas pour de rire, tout cela est fait au nom de la liberté d’ expression donc au nom de la liberté individuelle. La liberté individuelle est ce principe qui n’ a malheureusement plus de limites, plus de frontières… Elle a été inventée par les physiocrâtes des Lumières dont l’un des chefs de file était le Docteur Duquesnais, médecin de la Pompadour, lesquels étaient les ancêtres proches des économistes libéraux. Elle fait partie intégrante et quasi intégiste du libéralisme économique, politique et culturel. Le libéralisme culturel avec sa logique relativiste autorise toutes les « libertés » ou plutôt libéralités…Il n’est plus seulement possible de se moquer de Dieu le père et du bal à Colombey les deux églises, mais aussi, au sens figuré, du père qui est ce « tiers » qui permet à l’enfant, ce « pervers polymorphe » à intégrer la Loi, à s’autonomiser et non à s’atomiser, à faire le deuil de sa toute puissance originelle et d’accepter qu’il ne pourra plus retourner dans le ventre de sa mère. Ici et maintenant, nous assistons à la naissance de «l’homme nouveau» dont ont rêvé les hommes politiques libéraux de droite et de gauche depuis deux siècles… Au cours du XX ième siècle, nous avons vu des essais d’ «hommes nouveaux» à l’œuvre tant en Europe qu’en Asie… Cet homme nouveau en «devenir» est admirablement bien décrit et expliqué par Mr Michéa Jean-Claude dans son dernier ouvrage.

  2. woznica dit :

    « On ne peut pas rire de tout . » Cela est vrai: les différentes religions sont responsables de millions de morts au fil du temps. Il n’y a pas de quoi rire.

  3. Dieu n a pas besoin d aide ... De l humain dit :

    Si Dieu est grand, calme, amour infini. Il n’a pas besoin d’avocat.
    Vouloir le protéger, c’est nier sa grandeur. L’humain protège-t-il Dieu ?
    Tuer des créatures de Dieu de facon sacrificielle pour aider Dieu à nous aimer!
    Faire croire que toutes les barbaries sont pour défendre Dieu !
    Allons, il faut retourner tout de suite à l’école. Et pas dans la rue.

  4. On ne peut que partager l’analyse de Richard Liscia. Concernant les musulmans vivant en France, il certain que l’attitude de Charlie Hebdo va pousser les plus faibles dans les bras des islamistes extrémistes.
    Charlie Hebdo ferait mieux de poser les bonnes questions, par exemple : « dans un pays où 20% ont voté LEPEN à des présidentielles, il y a forcément des enseignants racistes. Comment protéger les enfants que la République livre à leur merci ? »
    (cf http://www.eugeneneutrino.com/prof-racistes.html)
    Dans mon livre « carton jaune aux politiques / Carton rouge aux journalistes », j’avais écrit ceci à propos de la première publication des caricatures par Charlie Hebdo :

    Les catholiques sont largement majoritaires et cela les arme pour affronter les caricatures de Jésus. Les musulmans sont minoritaires en France, et victimes de discriminations au quotidien. Ils doivent sans cesse se demander si telle attitude est normale ou est une agression raciste, et c’est souvent une agression raciste. À cause d’une intégration défaillante qui n’est pas de leur fait, ils n’ont pas tous forcément encore la culture de l’humour français.

    Pour toutes ces raisons, il est normal qu’une caricature de Jésus suscite moins d’émoi de la part des catholiques, qu’une caricature de Mahomet n’en suscite des musulmans.
    Il faut défendre le droit de publier de telles caricatures, mais user de ce droit relève de la bêtise ou du cynisme.

    Faut-il interdire les caricatures de Mahomet ? C’est hors de question.

    Faut-il défendre sans faille tout journaliste agressé pour avoir publié de telles caricatures ? Oui, forcément.

    Que penser d’un tel journaliste ?
    – Que c’est un sot qui ne se rend pas compte qu’il pousse nombre de Musulmans modérés influençables dans les bras d’Islamistes extrémistes,
    – ou un opportuniste intelligent qui se fait un coup de pub répugnant,
    – ou un salaud raciste.

    Peut-on rire de tout ? On doit avoir le droit de rire de tout. La question est en fait : peut-on rire de tout, publiquement et n’importe comment, sans être un idiot ou un salaud ?

    Considérons ce cas d’une plaisanterie qui va blesser des gens qui ne sont coupables de rien, et que la société a particulièrement mis en situation de se sentir blessés.
    Son auteur peut être sot ou opportuniste et ne pas se demander si sa plaisanterie est tellement nécessaire, tellement bonne, qu’elle justifie de blesser tant de gens.
    À l’inverse, son auteur peut penser : « attendons que l’on ait réglé les problèmes de discrimination, pour que l’on puisse plaisanter sur Mahomet sans blesser. Et si certains trouvent encore ensuite que l’on doit interdire de faire des caricatures de Mahomet, il est clair que l’on ne les laissera pas remettre en cause les principes de la République, et que ceux qui les refusent doivent quitter la France ».

    En résumé :

    on ne peut pas imposer à une minorité de supporter à la fois la discrimination quotidienne et la plaisanterie blasphématoire ; certains rires sont consternants.

  5. La caricature est dans la rue dit :

    On mélange tout de façon moyenageuse, on en oublierait la Syrie, à dessein. Ceux qui jugent au nom de Dieu veulent prendre sa place, ce sont donc ceux-là qui blasphèment.

  6. vultaggio-lucas dit :

    « En résumé: on ne peut pas imposer à une minorité de supporter à la fois la discrimination quotidienne et la plaisanterie blasphématoire ; certains rires sont consternants. » nous écrit M. Laloum Laurent avec qui nous ne pouvons qu’être d’accord, ce d’autant plus que l’ensemble de ses propos sont mesurés. Mais, il n’y a pas que le blasphème et les plaisanteries blasphématoires qui soient condamnables dans une société libérale de droit. Que penser de la minorité des « vraies blondes » dont l’intelligence est raillées dans certaines histoires dites « de blondes », alors que comme « toutes » les êtres de sexe féminin, elles ont un cerveau moins lourd que celui de l’homme? Que penser de cette minorité de futurs belges qui doivent supporter sans sourciller, les fameuses histoires belges? Le risque d’être attaqué par une ou des associations de féministes est grand pour avoir catalogué les moitiés de l’homme, « d’êtres de sexe féminin» en omettant leur éternelle identité. Mais, aucun risque que M. Arnault lise le Quotidien du médecin et encore moins les commentaires de sa version « on line ».

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