Le drame kurde

Erdogan hier à Dakar
(AFP)

L’assassinat à Paris, dans la nuit de mercredi à jeudi, de trois militantes kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), est probablement une provocation pour faire capoter les difficiles négociations que le gouvernement turc a engagées avec Abdullah Ocalan, chef du PKK, emprisonné par les autorités turques depuis 1999.

LE CRIME, fomenté sans doute par des professionnels, a bouleversé la communauté kurde de France, qui compterait 200 000 personnes. Les trois femmes assassinées étaient des militantes du PKK, dont l’une au moins, était extrêmement populaire chez les Kurdes, ethnie musulmane disséminée en Turquie, en Irak, en Iran et en Syrie, qui n’a pas d’État. Cependant, les Kurdes disposent d’un territoire au nord de l’Irak où ils prospèrent grâce à la manne pétrolière. Le triple meurtre ne fait que souligner les souffrances endurées par les Kurdes dans les pays où l’on refuse de leur accorder l’autonomie, sinon l’indépendance.

Le rôle d’Ocalan.

C’est dans le sud-est de la Turquie que les affrontements entre troupes turques et insurgés kurdes sont les plus violents. En quelques décennies, le nombre des victimes aurait atteint près de 150 000 dans les deux camps. Les autorités turques, qui avaient fait condamner Ocalan à mort, l’ont finalement épargné, ce qui leur permet aujourd’hui de discuter avec un interlocuteur valable. Visiblement, la porte ouverte par Ankara à la négociation avec une communauté dont on ne parle jamais, ne convient pas à tous les Turcs et l’attentat est hypothétiquement attribué soit à des nationalistes turcs, soit à des services secrets désireux de tuer les discussions dans l’oeuf.

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est empressé de réclamer à la France la prompte résolution de l’affaire et l’arrestation des assassins. Il s’agit d’un dossier ardu, dans la mesure où les victimes n’ont été trouvées que plusieurs heures après le crime, ce qui a laissé largement le temps aux assassins de s’enfuir et, peut-être, de quitter la France. Notre pays, toutefois, n’a été que le théâtre d’un crime qui ne saurait être dissocié d’un problème turco-kurde qui a déjà une longue histoire et qu’Ankara n’a traité jusqu’à présent que par le recours à la force. En France, l’enquête a été confiée aux services antiterroristes, mais rien n’empêche pas le gouvernement turc d’aller voir ce qui se passe dans des milieux fanatisés qu’il contrôle au moins partiellement. Il n’avait certes pas intérêt à ce que soit porté un coup d’arrêt aux pourparlers. Aussi bien, rien ne l’empêche de faire le ménage en Turquie même.

Donneuse de leçons.                        

On ne niera pas que la Turquie commence à aborder le problème kurde d’une manière moins militaire et plus politique. Mais sa conversion à l’art de la négociation est tardive. Entretemps, elle a donné beaucoup de leçons, tirant d’un développement économique indiscutable et d’une stabilité imposée par l’islamisme une fierté compréhensible, mais qui a débouché sur quelques erreurs majeures : une concentration sur le sort des Palestiniens qui faisait bon marché de celui des Kurdes, et une quasi-rupture avec Israël censée la faire rayonner dans le monde arabe. Malheureusement pour elle, le printemps arabe a réduit ses ambitions surtout en Syrie, où la férocité de Bachar El-Assad a mis un terme à tout espoir d’ouverture.

L’Égypte, la Libye, la Tunisie voient un exemple dans l’expérience turque, celle d’un islamisme dit modéré, mais le gouvernement de M. Erdogan n’a cessé de durcir les lois au point que la liberté de la presse et d’expression ne sont plus en Turquie qu’une illusion, et que le nombre de prisonniers politiques ne cesse d’augmenter ; alors que la violence de la crise kurde n’améliorait guère l’image d’un pays qui, il y a peu, croyait dur comme fer qu’il avait les lettres de créance requises pour appartenir à l’Union européenne.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Le drame kurde

  1. POTTIER dit :

    Bonjour Mr Liscia
    « … chez les Kurdes, ethnie musulmane » n’est pas tout à fait vrai, 20 % n’étant pas comptabilisés comme musulmans. Par ailleurs je pense que le PKK peut poser, entre autres, un problème aux islamistes par leur manque « d’enthousiasme » religieux.
    Ne peut-il y avoir là un mobile pour cet assassinat?

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