Un langage « libéré »

Taubira victime du racisme
(Photo AFP)

Le plus surprenant, dans l’affaire de la petite kosovare  qui a été expulsée de France, c’est la fureur qu’elle a déclenchée dans la majorité et dans l’opposition de gauche. Elle s’est traduite par des mots particulièrement violents (« abominable », « application bestiale de la loi », « faute », « crime ») qui finissent par relativiser d’autres crimes, abominations et bestialités. Cette rage sémantique n’est pas réservée à la gauche. Une candidate aux élections municipales n’a pas hésité à traité Christiane Taubira de « singe » et quand on lui a demandé de s’expliquer, elle a aggravé son cas en imaginant la « sauvage » ministre de la Justice dans la jungle.

LE LANGAGE n’est jamais neutre. En politique, il sert un objectif, c’est-à-dire une popularité suffisante pour être élu ou réélu, pour écarter un adversaire, pour réunir le plus du monde autour d’un programme. L’utilisation des mots les plus injurieux pour disqualifier l’ennemi n’est pas une nouveauté, ni en France ni à l’étranger. Les débats à la Chambre des Communes, au Royaume-Uni, et dans d’autres démocraties, comme la France, témoignent de la violence de propos, qui, sous le couvert de la subtilité des attaques, sont souvent destructeurs. La radio et la télévision ont contribué à la « libération » du langage. Certains orateurs ne le maîtrisent pas suffisamment parce qu’ils ne sont pas habitués à construire leurs phrases. Ce qui leur vient à l’esprit, c’est l’épithète communément employée dans le langage de tous les jours en famille ou en compagnie. Le fait relativement nouveau, c’est l’irruption de la conversation de comptoir dans les médias.

Trac, vitesse, agressivité. 

Tout contribue à la vulgarité et, parfois, à la grossièreté : la fraction de seconde entre la question et la réponse, le trac devant le microphone, l’agacement, puis la colère provoqués par une question dérangeante, la posture des journalistes qui veulent éviter toute connivence apparente avec un homme ou une femme politique, l’atmosphère de mise à mort de l’interviewé qui règne sur certains plateaux.

Mais le pire, c’est la domination du politiquement correct, qui exerce une sorte de terrorisme psychologique sur les esprits : il faut toujours, en toute occasion et quel que soit le sujet, avoir le coeur sur la main, exalter les valeurs, la République, l’humanisme, invocations qui finissent par mettre à bas des programmes destinés à combattre une crise. On assiste alors aux grands écarts entre la nécessité et l’idéal, à la manifestation la plus outrageante de l’hypocrisie, aux incantations tellement prévisibles que personne n’y croit plus. Hier soir, sur Canal +, j’écoutais avec stupéfaction un petit jeune homme qui représentait les lycéens et disait : « Tout ce qu’on veut, c’est que nos potes reviennent » . Ses potes, en l’occurrence, sont deux personnes qu’il n’a jamais vues, Leonarda et Khatchik Kachatryan, un garçon de 19 ans expulsé le 12 octobre dernier vers l’Arménie.

Servir une cause.

Ce soudain amour pour les victimes d’une procédure forcément sévère, c’est moins un mouvement du coeur que le bonheur de servir une cause, n’importe laquelle, pourvu que l’on situe du bon côté, là où règnent la compassion, le respect des êtres humains, la solidarité. C’est tellement simple : M. Valls fait le sale boulot, nous sommes dans le camp des gentils. Non seulement on ne fait pas une politique avec de bons sentiments, mais il faut se poser la question au sujet de ces sentiments qui, loin de surgir d’un trouble de l’âme, sont décalqués sur un langage usé jusqu’à la corde. Inutile d’ajouter qu’Internet a aggravé la crise du vocabulaire, en laissant les passions les plus impures, colère, rage, envie, haine, se déverser dans un torrent de boue. Un peu de la pollution par les immondices du langage électronique se retrouve dans les médias.

Quant à la candidate du Front national, elle se distingue de tous les autres par son absence d’hypocrisie. Elle a vite été exclue du FN, officiellement à cause de ce qu’elle a osé dire, qui relève d’un racisme crasse, brutal, primaire. Mais elle aura été plus dangereuse pour le Front que pour Mme Taubira. Car elle dit à voix haute et répète ce que le Front pense mais qu’il n’ose plus dire.

RICHARD LISCIA

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