L’Allemagne se lâche

Merkel a cédé
(Photo AFP)

Entre sa victoire de septembre aux élections législatives et l’accord de gouvernement qu’elle vient de conclure avec les sociaux-démocrates (SPD), Angela Merkel a pris un virage économique qui oublie l’essentiel de l’orthodoxie allemande en la matière. Les concessions qu’elle a faites aux négociateurs du SPD sont en effet considérables car elles impliquent des hausses du pouvoir d’achat qui mettent un terme à sa politique d’austérité.

LA CHANCELIÈRE semble ne pas avoir eu le choix. L’accord préparant la formation d’un gouvernement dit de grande coalition risquait, s’il n’incluait pas assez de dispositions en faveur des classe inférieure et moyenne, de ne pas être voté par les militants du SPD. Comme aucune autre coalition n’était possible, cela aurait signifié qu’il fallait retourner aux urnes. Démocratie ferme et stable, l’Allemagne ne pouvait s’offrir un happening à l’italienne. Les chrétiens-démocrates (CDU-CSU) affirment qu’ils ont marqué l’accord de leur empreinte, mais l’adoption d’un smic à 8,50 euros, et l’assouplissement apporté aux régimes de retraite (retraite possible à partir de 63 ans au lieu de 67 ans) contiennent les germes d’un déficit budgétaire, d’une vive inflation, d’une destruction massive d’emplois (entre un et deux millions, selon les analystes hostiles à la mesure). C’est sur la rigueur en Europe que la CDU s’est fait entendre : il n’y aura pas de mutualisation de la dette et, tôt ou tard, il faudra que les banques européennes séparent leurs activités de marché de celles de gestion des comptes de particuliers et d’entreprises.

Une forme de pragmatisme.

Mme Merkel, toujours pragmatique, a cédé aux contraintes politiques. La mise en vigueur du smic ne sera achevée qu’en 2017, avec l’espoir que le temps atténuera le choc auquel la trésorerie des entreprises allemandes va être soumise. La chancelière a accepté du partenaire social-démocrate ce qu’elle n’a cessé de refuser à ses partenaires européens qui réclamaient le remplacement de sa politique de l’offre par une politique de la demande. Même si l’accord doit être appliqué dans le temps, la France s’en félicitera. Une hausse de la consommation allemande contribuera vraisemblablement à une augmentation des importations, donc à une relance de la production chez les fournisseurs européens de l’Allemagne. Le programme de gouvernement comprend 23 milliards d’euros de dépenses supplémentaires et d’investissements, et le SPD a obtenu que les impôts ne seront pas augmentés, même pas pour les foyers les plus aisés. Ce qui risque, au pays des comptes équilibrés, de se traduire par un déficit budgétaire élevé.

SPD : retour aux sources.

Ce qui s’est passé dans la négociation est surprenant. C’est un social-démocrate, Gerhard Schröder, qui a lancé le plan de redressement de l’Allemagne il y a plus de dix ans, avant d’être chassé du pouvoir, justement à cause de l’austérité. Ce sont les conservateurs qui ont bénéficié politiquement des résultats remarquables de la politique économique et sociale de M. Schröder. Ce sont les sociaux-démocrates qui, en définitive, exigent et obtiennent l’abandon de l’orthodoxie. Battus aux élections, ils pèsent d’ores et déjà sur les choix de leur pays.

Pourquoi ? Parce que les Allemands ont souffert de la rigueur. Les salaires à 3 euros de l’heure ne sont pas rares en Allemagne. Les entreprises d’outre-Rhin continuent, en embauchant des employés en Europe de l’Est, à tout faire pour réduire les prix à la production et augmenter leur compétitivité. Il était sans doute logique que, après tant d’efforts, souvent douloureux, les salariés allemands reçoivent une récompense. Elle risque de coûter très cher en termes d’emploi, de maîtrise des coûts, du budget et de la dette. Au fond, nombreux sont ceux en Europe qui ne voient pas du tout l’austérité comme un régime limité dans le temps mais comme un régime définitif. Ils ont raison économiquement, tort politiquement.

RICHARD LISCIA

 

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