Mistral : vent mauvais

Trop beau pour être vendu
(Photo AFP)

La vente de deux navires de guerre « Mistral » à la Russie ne place pas la France dans une situation très confortable. D’un côté, le contrat donne du travail aux chantiers navals français, de l’autre le « Mistral » est considéré comme un navire très performant sur le plan stratégique, ce qui est embarrassant au moment où la Russie apparaît comme un adversaire déterminé de l’OTAN.

L’AFFAIRE est d’autant plus complexe que le contrat a été conclu en 2011, lorsque Nicolas Sarkozy dirigeait la France. Le gouvernement actuel n’est pas clair sur ses intentions, bien que, selon toute apparence, il entende livrer le premier des deux « Mistral » achetés par la Russie pour la somme de 1,2 milliards d’euros en octobre prochain. D’ici là, dit le gouvernement, nous verrons comment le problème se posera. Le second navire sera livré en 2015. L’opposition émet des critiques sur le paradoxe qui nous rend fournisseurs en armes sophistiquées d’un ennemi potentiel, mais elle est gênée par sa propre responsabilité dans l’affaire. La France ne sortira pas indemne de la polémique si elle maintient la vente : le « Mistral » sera positionné en mer Noire par les Russes, là où Poutine vient d’annexer la Crimée.

Fabius très agacé.

François Hollande peut donc balayer d’un revers de la main les attaques de la droite, il lui est moins facile de repousser les inquiétudes exprimées par l’OTAN et plus particulièrement par les États-Unis. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a rencontré hier son homologue américain, John Kerry, qui lui a demandé une fois de plus, de mettre un terme au contrat franco-russe. M. Fabius a déclaré ensuite que « la France n’a de leçons à recevoir de personne », façon commode d’ignorer une affaire qui risque d’avoir plusieurs conséquences néfastes : premièrement, même si c’est la faute de M. Sarkozy, nous devons lever la contradiction entre la livraison des « Mistral » et le soutien politique ferme que nous avons apporté au gouvernement ukrainien ; deuxièmement, il y a très peu de chances que Vladimir Poutine, d’ici au mois d’octobre, devienne l’exquis partenaire de l’OTAN ; troisièmement, après nous être conduits comme un membre turbulent de l’Union européenne (et hélas ce n’est pas fini), nous sommes maintenant un pays qui inquiète ses amis de l’OTAN. Nous voudrions isoler la France que nous ne nous y prendrions pas autrement.

Faibles arguments.

Les arguments faiblement invoquées par les milieux gouvernementaux ne sont guère convaincants : les « Mistral » n’augmenteraient pas la supériorité stratégique de la Russie ? Dans ce cas, pourquoi est-elle aussi enthousiaste au sujet des deux navires (que nous livrons avec des transferts de technologie) ? Barack Obama ne peut nous faire aucune objection, lui qui nous a abandonnés au beau milieu d’un branle-bas de combat contre la Syrie ? Ce n’est pas une raison pour faire aujourd’hui l’inverse du traitement que nous souhaitions, l’année dernière, infliger à la Syrie et voler maintenant au secours des victoires militaires russes à venir. Bref, on imagine le pataquès quand Poutine se sera rendu coupable de quelques vilenies de plus et que nous lui livrerons les deux navires, sous l’anathème de la droite, la colère de l’OTAN, les applaudissements des syndicats, et malgré la profonde perplexité des droits de l’hommistes qui, bien entendu, opposeront la morale aux affaires.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Mistral : vent mauvais

  1. guinard dit :

    Toujours le même dilemme : fric ou éthique ? (et leurs conséquences)

  2. A3ro dit :

    Mouais. Personnellement, je trouve très très moyen qu’on continue la vente de ces bateaux. STX n’en a pas si besoin que ça, vu que leur carnet de commande se remplit pas mal ces temps-ci. L’argument économique ne me convainc qu’à moitié, et on pourrait peut être négocier quelque chose avec les Américains, qui tiennent tant à suspendre la vente, pour compenser.
    En revanche, diplomatiquement, c’est une étape lourde entre la France et la Russie, qu’il serait difficile d’effacer. On pourrait peut-être suspendre la livraison temporairement, le temps que les esprits se calment et qu’une solution durable soit trouvée en Ukraine.

  3. Jeanjean dit :

    Ne pas livrer ces bateaux serait certainement un acte fort de la part de la France, mais en même temps cela créerait effectivement un différend durable avec la Russie aux conséquences importantes sur le plan économique. Cette situation crée la nécessité d’une Europe de la défense. La première action pourrait consister à la doter de ces deux vedettes Mistral comme l’a suggéré un élu écologiste ces derniers jours. Mais ce n’est qu’une utopie car cela nécessite au préalable de recueillir le consensus des membres de l’Union, ce qui n’est jamais une mince affaire.

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