Le mauvais choix

Le triomphe de Marine
(Photo AFP)

Le Front national doit sa victoire à plusieurs facteurs : l’abstentionnisme, l’europhobie, les échecs répétés de la majorité, l’incapacité de l’opposition à incarner une alternance crédible. L’UMP espérait un écart de un ou deux points, elle se retrouve à 20 %, contre 25% pour le FN. Cette soudaine suprématie de l’extrême droite n’était pas prévue avec une telle ampleur, c’est pourquoi le choc est  particulièrement violent. La raison du triomphe du Front est claire, c’est la gravité d’une crise économique et sociale qui dure depuis cinq ans,  n’est pas finie et a été très mal combattue.

L’ÉMOTION ne conduit pas aux meilleures analyses. Depuis hier soir, on envisage des scénarios farfelus et périlleux. Marine Le Pen peut demander tout à la fois la démission du gouvernement et du président de la République, des élections générales et l’adoption du scrutin proportionnel, les élections européennes n’ont pas vocation à dicter de tels bouleversements. Elles sont seulement destinées à envoyer des députés français au Parlement de Strasbourg.  L’introduction de la proportionnelle, même à dose limitée, ne ferait qu’aggraver les convulsions de la classe politique. Elle est réclamée par François Bayrou, qui y voit le moyen de renforcer le centre et par Jean-Pierre Raffarin, qui estime qu’un parti recueillant 25 % des suffrages doit être représenté à l’Assemblée nationale. On ne peut que l’approuver. Mais si le Front obtenait un quart des voix dans une élection législative et précédait tous les autres partis,  il conquerrait au moins quelque 150 sièges dans le cadre du scrutin majoritaire à deux tours.

Un remède pire que le mal.

En revanche, la proportionnelle est incompatible avec la Ve République. À elle seule, elle assurerait le retour au régime des partis, elle rendrait la France ingouvernable, elle ajouterait le chaos politique à la dérive inquiétante du pays vers des thèses morbides ou délétères. Le choc politique d’hier fait donc perdre leur sang-froid à ceux qui imaginent un remède pire que le mal. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le gouvernement et l’opposition doivent rester les bras croisés. Manuel Valls fait la vague promesse d’une nouvelle baisse d’impôts après avoir rejeté toutes les solutions drastiques, proches du changement de régime, qu’exige le Front national  sans y croire lui-même. L’UMP doit en finir avec ses divisions, avec des pratiques financières suspectes, se rassembler et proposer enfin un programme de gouvernement. Elle doit s’ouvrir au centre si elle veut garder à l’opposition une chance de remporter les élections de 2017.

La plus belle revanche des battus, si elle n’était mortelle pour le pays, serait d’offrir le pouvoir au FN, là, maintenant, tout de suite, et de le laisser gouverner non pas en théorie mais en pratique. Il ne tiendrait pas six mois et ça vaut pour tous ceux qui, surfant sur la rage ou la coupable indifférence de l’électorat, proposent des solutions dont l’effet serait cataclysmique. Le FN hait l’Europe comme si la France n’y était pas, comme si nous n’étions pas géographiquement, économiquement, culturellement au coeur du continent. La Suisse est neutre, hors de l’Union, mais l’Union est son habitacle. Elle ne survivrait pas si elle tentait de l’ignorer.

Tout ça pour ça.

À cette idée simple, les électeurs ont répondu par un choix qui effraie nos voisins, donne de notre pays une image souillée, et entame sérieusement notre influence en Europe et dans le monde. À la crise qui nous obsède, nous venons d’ajouter une tare nationale qui, par ailleurs, ne change rien à la marche de l’Union. Extrême droite et populistes seront certes largement représentés au Parlement de Strasbourg, mais ils sont divisés et incapables de former une majorité. Le président de la commission européenne serait donc choisi entre le candidat de la droite modérée (Jean-Claude Juncker) et celui de la gauche modérée (Martin Schultz). Le FN a gagné un match,  il ne domine aucune institution nationale ou européenne.

Nous pourrons nous consoler en notant que la Grande-Bretagne n’est pas mieux lotie que nous, avec l’UKIP, parti populiste mais non extrémiste, qui est arrivé en tête. En revanche, l’Italie vient d’accomplir un exploit. Le parti du président du conseil, Matteo Renzi, a obtenu 41 % des suffrages, battant à plate couture le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui recueille quelque 21 %. L’Italie de toutes les folies, celle des bouffons Berlusconi et Grillo, celle de la dette, vote enfin sagement pour un homme qui, il est vrai, a réussi à lui insuffler un peu d’espoir. Mais que fait M. Renzi que nous ne saurions faire ? Pourquoi, sous l’emprise de la colère, devrions-nous sauter dans le précipice ?

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Le mauvais choix

  1. A3ro dit :

    C’est un message, maladroit, mais assez clair. Les Francais ne comprennent pas l’Europe actuelle, trop de gens leur disent que les difficultés de la France sont de la faute de l’Europe pour s’affranchir de leurs responsabilités (Sarkozy, Hollande, Montebourg, c’est bien vous que je regarde) ou éviter de proposer des réformes douloureuses dans leur programmes (UMP, PS, Front de Gauche, qu’avez vous à dire pour votre défense ?).

    Donc ils envoient un message clair, mais en se trompant de messager. Ils jettent le bébé avec l’eau du bain en votant FN, parce qu’ils ont trop l’impression que l’Europe se fait en dépit de leur avis, par des technocrates qui n’y connaissent rien. Le vote « Debout la République » leur aurait probablement convenu sur le fond, par exemple, car ils ne sont pas fondamentalement xénophobes comme le FN peut l’être. Mais l’aura médiatique de Marine les a convaincus qu’en votant pour elle le message porterait loin.

    Et même si on est convaincu que l’Europe est une excellente chose, il est compliqué d’argumenter que l’Europe actuelle est idéale et qu’ils ont donc tort.

    Réponse
    Mais oui, ils ont tort. Pour retrouver la croissance, il faut réformer la France. L’Europe est une excellente chose si elle est gérée convenablement. Pour la rendre meilleure (« idéale »), il faut la réformer. Le vote pour le FN, c’est la politique de l’autruche. C’est nier la réalité, c’est croire que tout peut s’arranger par des mesures draconiennes qui ne nous enrichiraient guère et aggraveraient notre position morale, sociale, économique et politique. S’ils avaient voulu voter Debout la République, ils l’auraient fait.

    • A3ro dit :

      Je suis d’accord avec vous sur le fond, voter FN n’est pas un acte anodin. Et c’est d’une stupidité sans nom que de faire croire à Marine Le Pen que ses idées progressent. Mais les gens votent aussi pour une personne, pas tellement pour un programme. C’est pour ça que Sarkozy a été battu, c’est aussi pour ça que le vote FN était plus attractif que de voter Dupont Aignan, qui n’a pas du tout le charisme de Le Pen et gesticule un peu dans le vide.

      La phrase correcte que j’aurais du écrire était « et qu’ils ont donc complètement tort ». C’est une connerie, mais il y a res raisons derrière cette connerie.

  2. Dr Ivana Fulli dit :

    M Renzi n’aurait pas eu le pouvoir avant quelques décennies sans le succès spectaculaire du parti « anti-système » de Grillo lors d’élections précédentes. Les partis modérés n’ont pas pu ignorer que les électeurs italiens étaient nombreux à ne plus vouloir subir des candidats dignes de républiques corrompues d’Europe du Sud!

  3. Dr Delahousse dit :

    Le message semble pourtant clair.
    Vous tous, politicards de tout poil qui, depuis 40 ans paupérisez la France et désespérez les Français, réformez-vous, sinon nous faisons couler le navire, quitte à couler avec…
    (voir l’excellent article du sociologue Gérald Bronner dans « le Point » de la semaine dernière).

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