Outreau, procès de trop

Daniel Legrand (Photo AFP)

Daniel Legrand
(Photo AFP)

Je ne serai pas le premier à m’indigner du troisième procès Outreau, qui se déroule à Rennes, va durer quelques semaines et met en scène un homme déjà acquitté, Daniel Legrand, lequel se retrouve dans le box pour une dérisoire question de procédure : il avait été jugé en même temps que des adultes, les magistrats ont choisi de le faire comparaître de nouveau pour être jugé en tant que mineur, ce qu’il était à l’époque des faits. Mais je vous devais une brève réflexion sur cet incroyable rebondissement judiciaire.

DÉFENDU par l’avocat Éric Dupond-Moretti, ténor du barreau de célébrité nationale, Daniel Legrand n’a pas manqué d’exprimer sa surprise devant l’acharnement du sort… ou de la justice. Les procès d’Outreau, en effet, ont scandalisé l’opinion, d’abord parce que les faits étaient répugnants (il s’agissait d’agressions sexuelles contre des enfants commises par les parents), ensuite parce que la principale accusée, Myriam Badaoui, avait cru bon d’accuser une flopée d’innocents, dont un prêtre, couverts de boue par sa dénonciation calomnieuse et considérés comme coupables par le juge d’instruction (dont je préfère taire le nom) en dépit de l’absence de preuves.
Quand il est apparu qu’on avait cloué au pilori des citoyens totalement étrangers à l’affaire, la République, bouleversée par la cruauté indicible et par l’indignité de son comportement, décida de réviser le procès, sous la forme de trois enquêtes conduites par des parlementaires, forme de désaveu de la justice. La vérité fut enfin établie, mais des innocents avaient passé des mois en prison. Ils furent blanchis et indemnisés.

Une sorte de révisionnisme.

Quelle que fût la responsabilité personnelle du juge, il a semblé à l’opinion que la justice, en l’occurrence, avait commis une faute proche du crime. Les Français étaient en droit d’attendre de leur institution qu’elle se montrât plus précautionneuse après un échec aussi cuisant qui, nécessairement, implique l’ensemble de la hiérarchie judiciaire, car tout juge rend des comptes à ses supérieurs. Pourtant, ce fiasco historique n’a pas troublé les magistrats, qui pouvaient oublier leur décision de faire comparaître Daniel Legrand en laissant courir la prescription. C’est le contraire qui s’est produit, d’abord parce que l’affaire d’Outreau est si complexe et a déclenché un tel scandale national qu’il s’est trouvé, forcément, des gens pour qui les décisions rendues par trois commissions d’enquête n’étaient pas suffisantes et rendaient nécessaire un nouvel éclairage : le temps a joué non pas dans le sens de l’oubli mais dans celui de l’éternelle suspicion, à la manière du révisionnisme historique ; ensuite, fustigés par les médias, les juges, à mon avis, ont voulu prendre leur revanche, non pas pour réinventer la vérité à leur manière, mais pour montrer que, dans l’exercice du droit, ils sont souverains.

Pouvoirs exorbitants.

La justice n’est pas hors du monde. Elle s’exerce dans un environnement social et politique. Elle n’est pas la même sous une dictature ou dans une démocratie. Les magistrats français ne peuvent pas accomplir leur indispensable travail sans tenir compte du contexte dans lequel se déroulent l’instruction et le procès. Là où il eût été logique de tenir compte de l’acquittement, prononcé sans la moindre réserve, de Daniel Legrand, là où il fallait mesurer le prix moral et psychologique qu’allait coûter un nouveau procès au prévenu, là où il eût été préférable de se demander si le pays pouvait supporter, une fois de plus, l’effroyable déballage de souvenirs révoltants mais sans rapport, en définitive, avec le prévenu, des magistrats se sont montrés, en quelque sorte, irresponsables, en infligeant à M. Legrand et aux Français un spectacle inutile et pervers. Ils ne se sont même pas demandé si le procès méritait que l’on y consacre une dépense financée par les deniers de la République. Personne n’a envie de tomber sous la coupe de personnages qui, certes, ont raison en droit, mais disposent sur chaque individu de pouvoirs exorbitants et semblent plus intéressés par la protection de leur corporation que par la vérité pure et simple.

RICHARD LISCIA

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