De l’usage du Panthéon

Germaine Tillion en 2004 (Photo AFP)

Germaine Tillion en 2004
(Photo AFP)

Au cours d’une cérémonie solennelle, marquée par un discours de 45 minutes de François Hollande, les dépouilles de quatre résistants de la Deuxième Guerre mondiale, Germaine Tillion, Geneviève Anthonioz-De Gaulle, Jean Zay et Pierre Brossolette seront transférées cet après-midi au Panthéon.

JE VOUDRAIS BIEN que le discours du chef de l’État soit pédagogique et historique, qu’il explique comment le courage de femmes et d’hommes sublimés par l’épreuve leur a permis de contribuer au renversement du cours de l’Histoire au moment où la France vaincue, humiliée, exsangue traversait une épreuve infiniment plus douloureuse que la crise économique et sociale d’aujourd’hui. Je voudrais bien que le président de la République montre que, face à une catastrophe, et en dépit des conflits de tendances, la Résistance a permis à la France de sortir de la guerre grandie et meilleure, malgré les règlements de compte et les injustices propres à toute révolution. Je voudrais bien qu’il répète que, qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, quels que soient les idées, les désirs et les convictions de chacun, il existe un lien très fort qui nous unit tous au-delà de nos divergences et de nos différences. Qu’il dise que la France d’aujourd’hui vient de la France de 1945, qu’elle ne peut en aucun cas renier son passé et que tous les Français doivent le comprendre sauf à nier, au péril de tous et d’eux-mêmes, la chance, le sens, le destin d’être français.

Le mal finit par perdre.

Je voudrais bien que tous ceux qui ont boudé le 11 janvier, tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans la république, tous ceux qui, s’estimant différents ou écartés, abandonnés ou même persécutés comprennent enfin, à la lumière du sacrifice des résistants des années 40, que le pays a besoin d’eux et que, s’ils s’assument en tant que français, ils peuvent nourrir tous les espoirs. Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle, qui survécurent à la guerre, n’eurent plus d’autres préoccupations, en temps de paix,  que le sort des pauvres et des opprimés, preuve que dans le combat contre le nazisme, une éthique invulnérable était à l’oeuvre. Je voudrais bien  que, si certains croient qu’il existe un monde meilleur dominé par la sauvagerie, ils se trompent parce que, comme l’Histoire le raconte, l’injustice, la violence aveugle, le racisme, la cruauté, la brutalité du plus fort, l’inversion des valeurs finissent par perdre, tôt ou tard. Qu’une société comme la nôtre, construite par les arts et les lettres, par la lutte contre les inégalités, même si elle est en échec aujourd’hui, par la recherche du bien pour tous, contient assez de femmes et d’hommes généreux, capables d’offrir leur vie pour apporter la liberté à tous les autres.

Travail de Sisyphe.

Je le voudrais bien, et c’est pourquoi j’adhère à la démarche du gouvernement qui, en rappelant ce qu’il y a de sacré dans le passé du pays, espère faire la pédagogie du présent. Je devine que, en s’emparant de la gloire de jadis et de ses héros, François Hollande en récupère des parcelles à son profit personnel ; mais je ne crois pas nécessaire de dire, comme Jean-Pierre Raffarin, qu’il ferait mieux de créer des emplois. Il y a un temps pour lutter contre le chômage et il y a un temps pour que nous méditions sur qui nous sommes, d’où nous venons et où nous devons aller. Plus que jamais, nous avons le devoir de chérir nos libertés, celles dont des fanatiques veulent nous priver. Plus que jamais, nous devons inscrire notre façon de penser et d’agir dans la durée. Plus que jamais, nous devons recourir à nos références du passé. Nous avons d’excellentes raisons de préférer les systèmes fondés sur la démocratie parlementaire, de rejeter l’antisémitisme, de refuser les sirènes qui, négligeant le combat de nos aînés ou de nos ancêtres contre la barbarie, prétendent qu’il n’y a aucun risque, pour nos corps et pour nos âmes, à changer les principes qui nous animent et à adopter, fût-ce partiellement, les idées qui nous ont tous conduits autrefois au cataclysme.

En jetant un regard au passé, nous nous apercevons que nous n’avons même pas commencé à accomplir le travail de Sisyphe que les résistants, au mépris de la torture et de la mort, ont fait, eux, sans se soucier de leurs responsabilités matérielles ou familiales et sans s’accrocher aux bonheurs simples auxquels ils avaient, comme nous aujourd’hui, le droit d’aspirer. Si nous nous souvenons de la résistance plutôt que de la collaboration, ce n’est pas seulement parce que nous occultons ce qui nous déplaît et favorisons ce qui nous convient. Ce n’est pas seulement parce que la seconde a été vaincue et que la première a triomphé. C’est parce que le message des résistants a aujourd’hui encore une valeur didactique incomparable.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à De l’usage du Panthéon

  1. Laurent Liscia dit :

    Spinoza voyait dans la société la possibilité de sortir de l’état de nature sans jamais y échapper complétement : chacun(e) est inéluctablement guidé(e) par ses passions.
    Finalement le travail de Sisyphe c’est en effet de méditer sur qui nous sommes, et de rediriger le feu de nos passions vers la pensée et l’action qui privilégient moins la gloriole, la haine et la petitesse en général, et favorisent plutôt la compassion, l’acceptation et la compréhension de la différence – et forment la base d’un refus tranquille de l’intolérance.
    Quant à la dette que l’on doit aux hommes et femmes de la Résistance elle est sans égale, puisqu’à eux seuls ils ont rachetée l’ignominie de notre destin national. Merci de nous rappeler que c’est seulement en se souvenant de leur courage que nous trouverons le nôtre; non pas parce que le leur déteindra sur nous, mais parce que la crise de lâcheté que nous traversons collectivement requiert l’électro-choc de la mémoire.

  2. Alfandari Robert dit :

    Pour ceux qui, comme mes sœurs et moi, enfants, ainsi que nos parents, ont pu échapper à la barbarie nazie grâce aux grands résistants comme ceux qui viennent d’entrer au Panthéon, mais aussi grâce aux petites gens sans grade qui ont su nous prévenir des rafles, nous cacher chez eux pendant celles-ci, ou nous fournir d’authentiques faux papiers (des policiers courageux), cette journée est la symbolisation de la vraie France

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