L’OPINION était convaincue que François Hollande n’oserait pas se séparer de sa ministre, considérée comme sa « caution de gauche » au moment où, sur l’orientation économique du pays et sur la sécurité, il adoptait des mesures que Mme Taubira ne pouvait avaliser. Ce n’est pas elle qui a changé, c’est le président de la République qui, en nommant Manuel Valls Premier ministre, exigeait du même coup que la plus à gauche des membres du gouvernement procède à une révision déchirante de ses propres convictions. On peut adresser à Christiane Taubira plusieurs reproches, notamment sur sa conduite personnelle, autoritaire et insensible aux opinions contraires, souvent arrogante et même triomphaliste quand elle est parvenue à imposer la loi sur le mariage pour tous sans se soucier un seul instant de la forte fraction de l’opinion qui militait avec vigueur contre cette mesure. Elle s’est prise alors pour Mitterrand, qui abolit la peine de mort contre l’avis d’une majorité de Français. Mais elle n’est pas Mitterrand et elle n’a jamais compris que, si un projet de loi est soutenu par un parti majoritaire, un président de la République est le chef de tous les Français, pas seulement celui des gens qui l’ont élu.
Criminels et victimes.
François Hollande aurait sans doute souhaité que le mariage pour les homosexuels fût défendu par un ministre doté du sens diplomatique. Ce n’était pas le cas de Mme Taubira qui, sensible au sort jadis réservé aux Noirs par l’esclavagisme, a rédigé une loi en 2001 reconnaissant comme crimes contre l’humanité la traite négrière et l’esclavage. Là où son talent oratoire pouvait s’exprimer, là où elle occupait une place élevée dans la hiérarchie, c’est son propre programme qu’elle voulait appliquer, et elle était davantage guidée par un sentiment d’injustice né de ses origines guyanaises que par une nouvelle réalité sécuritaire qui n’autorisait plus le laxisme à l’égard des criminels et l’indifférence que lui inspirent les victimes. Elle reste animée par la furia révolutionnaire de l’époque où elle militait pour l’indépendance de la Guyane, elle garde son mépris pour les contingences, ce qui n’est pas synonyme de perfectionnisme dans l’exercice d’une magistère où les chausses-trapes sont nombreuses. De nombreux citoyens, outrés par ses projets, assénés comme des coups de massue, sans dialogue, sans le moindre souci des opinions divergentes, l’ont alors agressée avec une violence verbale sans précédent, tombant dans une ignominie qui ne grandissait par la cause qu’ils défendaient. Il y avait sûrement un moyen plus subtil d’accorder le mariage aux homosexuels. Il y avait sûrement une façon plus digne de combattre Mme Taubira.
Un danger pour Hollande.
Elle ne sera regrettée que par la gauche dure, celles des « frondeurs » qui perdent une figure de proue, les communistes, les mélenchonistes. L’extrême droite a bien sûr réagi positivement à son départ. « C’est une bonne nouvelle », a dit Marine Le Pen, tandis que la droite voit dans la démission de la ministre une clarification indispensable de la politique conduite par le président Hollande. Quoi qu’il en soit, une démission n’est pas un renoncement à la politique. « Parfois, résister, c’est partir », a dit Mme Taubira dans une expression laconique en apparence mais qui en dit long. Le président de la République, qui l’a gardée auprès de lui en dépit de divergences éclatantes, sait à quoi il doit s’attendre. Son ancienne ministre ne sera ni inerte, ni muette. Elle combattra ouvertement le gouvernement de Manuel Valls. Elle ira même, s’il n’y a pas de primaire à gauche, jusqu’à se présenter à l’élection présidentielle. Elle l’a fait en 2002 et obtenu 2,32 % des suffrages. Assez pour éliminer Lionel Jospin du second tour.
RICHARD LISCIA
Excellente analyse, comme très souvent. Cette femme est une caricature de sectarisme idéologique, se drapant dans sa suffisance pour masquer son incompétence. Ce qui, bien sûr, ne justifie en rien les attaques abjectes dont elle a pu être trop fréquemment l’objet.