Deux grands disparus

Élie Wiesel en 2006 (Photo AFP)

Élie Wiesel en 2006
(Photo AFP)

La coïncidence des événements me contraint à évoquer ici la disparition de deux hommes qui ont beaucoup compté, chacun à sa manière, l’un pour la France, l’autre pour le monde. Michel Rocard, ancien Premier ministre, est mort pendant le week end à l’âge de 85 ans et Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, a disparu à 87 ans.

MICHEL ROCARD a été nommé Premier ministre en 1988 par François Mitterrand. Il est resté trois ans à Matignon, qu’il a dû quitter sous la forte pression d’un président de la République qui ne l’y avait envoyé que parce qu’il n’avait pas le choix. Mais Rocard, c’est l’homme des accords sur la Nouvelle-Calédonie, qui ont probablement évité un bain de sang et représentent le modèle d’une décolonisation heureuse, c’est le chef de gouvernement qui a créé la CSG, sans laquelle nos déficits sociaux seraient beaucoup plus élevés qu’ils le sont déjà, c’est l’inventeur du revenu minimum d’insertion (RMI). Bon gestionnaire du pays, il n’a guère été apprécié par François Mitterrand qui, en 1991, n’avait plus qu’une hâte, celle de mettre un femme au pouvoir, en l’occurrence Edith Cresson. Mitterrand n’a jamais pardonné à Rocard sa candidature maladroite à la présidence de la République en 1981. On ne saura jamais si un président Rocard aurait été plus efficace que son rival, mais, jusqu’à sa mort, et notamment dans un entretien paru en juin dans « le Point » et que l’on peut considérer maintenant comme son testament politique, l’ex chef du gouvernement, n’a cessé d’accabler de critiques son ancien patron.

Une morale personnelle.

Michel Rocard n’avait ni le charisme ni le mystère qui ont permis à Mitterrand d’exercer deux septennats d’affilée et de se jouer de la droite malgré des erreurs de gestion manifestes, comme les nationalisations et des allers-retours idéologiques qui, en 1983, l’ont contraint à adopter des mesures d’austérité pour redresser le pays. Mais Rocard, contrairement à Mitterrand, était doté d’une morale personnelle, professionnelle et politique à toute épreuve. Avec lui, pas d’écoutes téléphoniques, pas de « scandale des Irlandais », pas de fille cachée, pas de suicide d’un collaborateur proche. Il était la chance que, jusqu’à présent, la gauche n’a pas vraiment saisie, une méthode de gestion qui inspire encore Manuel Valls et Emmanuel Macron, avec les conséquences que l’on sait. La gauche française, qui s’est littéralement soumise à Mitterrand bien qu’il ne fût pas authentiquement socialiste, est restée allergique à ce qu’il est convenu d’appeler « la deuxième gauche », incarnée par Jacques Delors et Michel Rocard.

Mémoire vivante.

Sur Élie Wiesel, on ne peut que contribuer au foisonnement mondial des éloges. Wiesel manquera à tous les juifs, mais aussi à l’humanité car, face au révisionnisme historique, il aura été la voix qui portait le plus. Il lui suffisait de raconter sa vie, commencée tragiquement à Auschwitz, ou d’écrire, pour démystifier les petits complots odieux et minables qui tentent de priver les victimes de leur martyre et de leur infliger ainsi une deuxième mort. Élie Wiesel n’entrait pas dans la polémique, il se contentait d’exprimer une douleur que le temps n’a pas effacée. Il lui suffisait d’apparaître, de dire les choses et la thèse mensongère des antisémites professionnels s’effondrait. Il s’est d’ailleurs engagé contre toutes les formes de génocide, au Rwanda par exemple. Avec lui, et après la mort de quelques grands témoins comme Imre Kertesz et Martin Gray, c’est la mémoire vivante de la Shoah qui disparaît et que les générations suivantes auront beaucoup de mal à alimenter.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Deux grands disparus

  1. OLIVIER COMTE dit :

    Michel Rocard, homme aux trois morales. Rien que ça. J’apprécie beaucoup vos chroniques du présent. Le passé semble moins vous réussir. Vous êtes vraiment jeune ou vous avez la mémoire courte.

    Réponse
    Salut, vieillard ! J’ai 81 ans et je suis les affaires politiques depuis près de 60. Mémoire courte ? Moi, je crois que vous avez perdu une occasion de vous taire. Et puis revenir sur un article d’il y a trois semaines…
    R. L.

    • OLIVIER COMTE dit :

      Je vous présente mes excuses embarrassées pour vous avoir rajeuni.
      N’ étant le titulaire que de 70 années, je cultive une méfiance de principe pour les jeunes qui auront le mauvais goût de me survivre. Dans un esprit d’ équilibre, je dois pratiquer le respect de mes aînés. J’ ai toujours le souvenir de mon père qui était un homme remarquable, jusqu’à sa mort à 89 ans, je ne suis donc pas étonné par la vivacité de votre plume et j’ admire celle-ci. Quand à me taire à propos du camarade Rocard, c’est beaucoup me demander. J’ai quelques vieux ennemis personnels. Rocard ou Daladier, en politique, le papa Bach et Puccini en musique, Sade ou Céline en sous-littérature. Je continuerai à sucer avec stoïcisme les sucres d’orge acides de mes ennemis. Rocard a prouvé sa crapulerie de révolutionnaire d’opérette Viennoise en 1968, je ne l’oublierai pas.
      Je vous ai découvert , grâce à Tribune Juive à qui je reprochais sa fantaisie dans le non-commentaire des meurtres de Nice. Je vous ai donc pris en enfilade mais je ne vous ai pas accablé de commentaires narcissiques. N’étant pas immortel, je n’aurai pas le plaisir de vous lire régulièrement et je le regretterai.

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