Adieu, l’Amérique !

Matthias Fekl (Photo AFP)

Matthias Fekl
(Photo AFP)

Le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Matthias Fekl, a annoncé ce matin que la France allait demander à la Commission européenne de mettre un terme aux discussions entre l’Europe et les États-Unis pour un nouveau traité de libre-échange.

SI LE TTIP (Transatlantic Trade Investment Partnership) n’était pas conclu, ce serait sans doute dommageable en termes d’échanges et de créations d’emplois. Mais l’abandon des pourparlers traduirait un phénomène plus grave, la montée du protectionnisme dans le monde, qui aurait des conséquences délétères. Le scepticisme de la France est largement partagé par d’autres États européens. Même en Allemagne, il n’y a guère plus que la chancelière Angela Merkel pour y croire encore. Enfin, les Américains, soupçonnés pourtant de vouloir imposer des normes commerciales qui favoriseraient leurs intérêts au détriment de ceux des Européens, ne sont nullement convaincus des bienfaits du TTIP. Donald Trump y est profondément hostile et Hillary Clinton a pris ses distances vis-à-vis du traité.

Le vent a tourné.

Du coup, on ne comprend pas bien ce qui s’est passé : si personne n’est enthousiaste au sujet du traité, sauf le président Obama, qui voulait couronner son double mandat de ce succès diplomatique, pourquoi avoir engagé les discussions ? En réalité, depuis que les négociations ont commencé en 2014, le vent a tourné. Le ressentiment contre la mondialisation est devenu si fort qu’il est désormais politiquement correct d’en dénoncer les effets sur l’emploi dans les pays dits riches. Et ce qui apparaissait au début comme le complément du traité conclu entre l’Amérique et l’Asie a été finalement perçu comme une menace. M. Fekl, il est vrai, fait état de désaccords profonds entre Américains et Européens (alors que d’autres sources indiquent des progrès, notamment en Allemagne). Techniquement, la conception d’une zone de libre-échange ne semble pas au point et c’est pourquoi le ministre français exprime le souhait de son gouvernement de rompre les discussions pour envisager une négociation entièrement nouvelle dont l’agenda serait fixé avant qu’elle ne commence. M. Fekl n’a d’ailleurs dit que ce que François Hollande a confirmé quelques heures plus tard. Le président a déclaré qu’il n’était pas question de signer l’accord avant la fin de l’année sous le prétexte de faire un cadeau à Barack Obama avant son départ.
Il est possible que les représentants des États-Unis se soient montrés trop avides ou trop égoïstes. On devine pourquoi : il était essentiel à leurs yeux de ne pas accorder à leurs interlocuteurs des avantages qui auraient fait hurler les syndicats américains et le parti républicain. Il n’empêche que les discussions battent de l’aile depuis plusieurs mois et que le scepticisme s’est étendu à toutes les parties en présence. Les attaques contre les multinationales, contre les délocalisations, contre les grands ensembles comme l’Europe ont fini par porter leurs fruits. Il devient périlleux politiquement pour notre gouvernement de signer un traité de libre-échange alors que l’extrême gauche et l’extrême droite sont vent debout contre toute forme d’internationalisation de l’économie. Le signal donné ce matin par M. Fekl a aussi une signification électorale : on reprendra la négociation après l’élection présidentielle.

Une victoire pour le protectionnisme.

L’Europe et les États-Unis peuvent continuer à vivre sans la mise en place de règles commerciales nouvelles régissant leurs échanges. De ce point de vue, le report, et même l’abandon, du TTIP ne seraient pas une catastrophe. Mais ce serait une victoire pour tous ceux qui présentent le protectionnisme et l’isolationnisme comme les remèdes indispensables au traitement de la crise économique et sociale, et ils sont presque aussi nombreux à gauche qu’à droite. Leur pensée pénétrante va d’ailleurs plus loin. Elle conçoit un renversement des alliances, comme si la Russie de Vladimir Poutine pouvait remplacer avantageusement l’Amérique de Barack Obama. Est-ce vraiment souhaitable sur les plans technologique, industriel et culturel ? Elle fait de l’intérêt national immédiat le seul critère de l’action politique, au mépris des conséquences : si nous n’élaborons pas de compromis avec nos alliés, nous les perdrons sans nécessairement gagner la confiance de partenaires nouveaux. Le TTIP se meurt donc d’une méfiance qui s’est infiltrée dans toutes les consciences, européennes ou américaines ; son report symbolise l’influence exercée par des personnalités aussi diverses que Marine Le Pen, Donald Trump ou Viktor Orban (Hongrie). Il n’était peut-être pas viable en l’état, mais le renoncement euro-américain est inquiétant.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Adieu, l’Amérique !

  1. lionel dit :

    Un grand homme a dit un jour que l’Europe ne se ferait que de l’Atlantique à l’Oural. Je pense qu’une fois de plus il avait raison. Cette entité aurait à mes yeux plus de chances de réussite que le TTIP du fait d’une continuité géographique sans un océan au milieu des deux parties.

    Quant aux progrès allemands vis à vis de cet accord ils ne servent qu’à amadouer les EU afin de modérer l’amende que les EU vont infliger à Volkswagen dans le scandale des moteurs truqués.

    Réponse
    Et amadouer les Etats-Unis en infligeant à Apple une amende de 16 milliards d’euros ? Il faudrait essayer avec Poutine, cet ami qui ne nous veut que du bien.
    R.L.

    • lionel dit :

      L’amende Apple est infligée par l’Europe et non par l’Allemagne. Les intérêts européens étant divergents de ceux de l’Allemagne sur ce sujet.
      Réponse
      Autrement dit, vous avez toujours raison, même lorsque vous inventez une divergence qui n’existe pas. L’amende, je vous le signale, doit être versée à l’Irlande.
      R.L.

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