L’impasse syrienne

Poutine complique le jeu (Photo AFP)

Poutine complique le jeu
(Photo AFP)

Cinq ans après le printemps arabe, la guerre civile en Syrie continue à faire rage. Un cessez-le-feu péniblement négocié entre la Russie et les États-Unis n’a pas empêché quelques massacres et a capoté au bout d’une semaine. Russes et Américains s’accusent réciproquement de l’avoir violé.

LA DIPLOMATIE américaine a quelque peu perdu de sa prudence quand le secrétaire d’État John Kerry a prononcé à l’ONU un discours où il mettait en cause la Russie en des termes plutôt brutaux. Son homologue russe, Serguei Lavrov, a quitté la salle. Ce qui n’empêche pas les deux hommes d’essayer de relancer la négociation, tandis que le secrétaire général des Nations-Unies, Ban-Ki-Moon, ne trouvait pas mieux que de souligner sa propre impuissance en parlant de culpabilité « mondiale ». Son analyse tient compte du nombre élevé de parties prenantes dans le conflit : Iran, Arabie saoudite, États-Unis, Russie, Hezbollah libanais, chiites, sunnites, et, pour faire bonne mesure, le prétendu État islamique (EI), installé dans la zone irako-syrienne, mais qui a perdu beaucoup de terrain.

Compères en dictature.

Que la Russie s’efforce, par tous les moyens dont elle dispose, de faire contrepoids aux États-Unis dans la région, on peut à la rigueur le comprendre. Qu’elle ait axé sa politique sur la protection d’un dictateur qui a sur la conscience la mort d’au moins trois cents mille personnes et l’exil d’une bonne fraction de son peuple ne fait pas d’elle une puissance exemplaire. D’autant que son obsédante stratégie, qui consiste à conserver ses bases militaires en Syrie et à tenir tête à l’Amérique en toute occasion, l’a conduite à frapper les mouvements rebelles syriens bien plus souvent que Daech. Elle a monté de toutes pièces, avec l’aide de l’Iran, un camp favorable à Bachar Al-Assad. Celui-ci, que les scrupules n’ont jamais étouffé, ne voit aucun inconvénient à ce que la guerre implique de nombreuses factions, toutes hostiles les unes aux autres, parce que l’instabilité et l’impossibilité pour chaque partie de remporter une victoire décisive entretiennent le statu quo, c’est-à-dire le maintien d’Assad au pouvoir.
Pendant cette fameuse semaine de cessez-le-feu, Russes et Américains devaient continuer à combattre l’EI. Les Américains ayant repéré une offensive par des soldats qu’ils croyaient djihadistes, ont bombardé leurs positions, faisant en réalité quelque 90 morts dans les forces loyalistes. Les Russes, indignés par le bombardement américain, ont attaqué à leur tour un convoi humanitaire, tuant beaucoup d’innocents, ce qui a scandalisé les ONG. Dans la barbarie, toujours plus. Personne ne parle plus de la chute de Bachar Al-Assad. Moscou refuse de l’abandonner à son sort, et les Américains eux-mêmes considèrent qu’il est possible de négocier avec lui une sortie de crise tout en réaffirmant, comme François Hollande, que Bachar ne saurait faire partie de la solution.

Ce que Poutine apporte au monde.

Tous ceux qui, de Trump à Marine Le Pen, voient en Vladimir Poutine un chef pourvu de compétence et d’autorité, semblent ignorer que, en réalité, il entretient avec constance des foyers de crise dans le monde, en Ukraine, en Syrie, en Géorgie (dont il amputé le territoire) et ailleurs. Il a annexé la Crimée par la force pure, donc de manière illégale. Son aviation défie les forces de l’OTAN qu’elle harcèle en volant en rase-mottes au-dessus de ses navires, au risque de déclencher un conflit. Partout, et sous le prétexte que la Russie serait cernée par des forces hostiles, il provoque, défie et se moque des lois internationales. Sa politique syrienne n’est que violence, bombardements, massacres. Elle alimente le chaos et l’anarchie. Elle fait des victimes quotidiennes. Elle finira par transformer la Syrie une nouvelle Somalie, c’est-à-dire un territoire incontrôlable. L’idée que M. Poutine apporte une alternative à je ne sais quelle suprématie américaine est absurde. Il apporte l’arbitraire, le non-droit, le cynisme, la destruction, la mort. Sans Assad, la Syrie aurait beaucoup de mal à se reconstituer. Avec lui, elle continuera à agoniser.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à L’impasse syrienne

  1. Michel de Guibert dit :

    La réalité n’est peut-être pas aussi manichéenne…

  2. lionel dit :

    Poutine est un pragmatique, son intervention au sol afin de conserver Lattaquié (son seul accès à la Méditerranée) aura stoppé net les ventes de pétrole de l’EI à la Turquie ce qui a permis une suspension de son essor à la fois financier et territorial. Si la Russie n’était pas intervenu, l’EI serait aujourd’hui en train d’assiéger Bagdad. Poutine est certes sans scrupule mais son intervention en Syrie fait régresser et surtout disparaître L’EI.

    Réponse.
    Un pragmatique qui bombarde des convois humanitaires. N’étant pas intervenu en Irak, il n’empêche rien dans ce pays. Son intervention en Syrie est uniquement dirigée contre la rébellion, non contre l’EI. Je veux bien que disiez systématiquement le contraire de ce que j’écris, mais vous pourriez vous informer avant de vous exprimer.
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Parmi les islamistes, il n’y a pas que Daech,
      Dans ce que vous qualifiez pudiquement de « rébellion », il y a aussi le Front Fatah al-Cham (ex Front al-Nosra), le mouvement Ahrar al-Cham, le Jaysh al-Islam, etc., je ne peux les citer tous.

  3. anached dit :

    Par prétexte de combattre le terrorisme de l’EI, ils tuent des innocents tous les jours et ile détruisent les trésors de ce manifique pays, dont je suis originaire.
    C’est vraiment honteux de qualifier ce mercenaire affreux de sauveur .

Répondre à Michel de Guibert Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.