Juppé dans l’étau

Juppé, ou la violence de la défensive (Photo AFP)

Juppé, ou la violence de la défensive
(Photo AFP)

Deux cent quinze élus de droite et du centre publient aujourd’hui dans « le Figaro » une tribune dans laquelle ils apportent leur soutien à François Fillon et dénoncent les attaques trop vigoureuses à leurs yeux d’Alain Juppé contre le favori de la droite.

CETTE INITIATIVE augmente sensiblement la tension au sein de l’opposition, à quelques heures du débat final de sa primaire. M. Juppé a soudainement choisi l’agressivité parce que, dimanche dernier, il est devenu minoritaire après avoir fait toute la campagne en tête de son camp. Il décrit le programme de son adversaire comme inapplicable, met en doute le bien fondé de la politique étrangère qu’il pourrait conduire en tant que président de la République, dénonce son conservatisme sociétal, s’inquiète, dans ces conditions, de sa capacité à battre la gauche et l’extrême droite lors du second tour de la présidentielle. Ce sont des arguments que l’on peut certes contester, surtout si l’on considère que le bilan de la gauche mérite un traitement radical. De ce point de vue, il est évident que François Fillon est inspiré par l’échec de la gauche et par ses désastreuses conséquences sociales. Il estime que, si sa réforme ne prend pas l’allure d’une lame de fond, il ne rendra pas au pays le tonus nécessaire pour se redresser.

Attendre dimanche.

Le peuple qui s’est rendu aux urnes dimanche dernier avait pour principal objectif d’éliminer Nicolas Sarkozy, ce qui a été fait. Il ne souhaitait pas pour autant renoncer aux changements que M. Fillon présente comme indispensables et que M. Juppé considère comme dangereux. La prise de position des 215 élus, les cris scandalisés poussés par les fillonnistes, le rejet violent du « candidat du rassemblement » tendent à clore le processus électoral avant son terme. M. Juppé aurait été tenté au soir du premier tour de se retirer de la course. Il ne l’a pas fait et a jugé au contraire qu’il devait se battre avec toutes les forces qu’il lui reste. Mais il est le seul en tout cas à pouvoir dire que le second tour est inutile ; et toutes les pétitions du monde n’y changeront rien. Aussi virulente qu’elle soit, son agressivité est celle de la défensive. En d’autres termes, il offre à l’électorat de la droite et du centre une alternative censée être plus efficace lorsqu’il faudra battre la gauche et le Front national. Ce raisonnement n’a rien de choquant et encore moins de monstrueux, même si on peut lui reprocher une accusation relative à l’IVG que M. Fillon n’a jamais remise en cause. Qui, dans cette campagne, n’a pas menti au moins une fois ?
Bien entendu, les 215 élus volent au secours de la victoire, ce qu’exprime bien le ralliement d’élus centristes à la tribune publiée dans « le Figaro ». Bien entendu, l’écart énorme qui a séparé M. Fillon de son challenger au premier tour, les sondages qui évoquent au second tour un rapport 65/35 en faveur de M. Fillon, le raz-de-marée apparent qui porte le député de Paris invitent la droite à en finir avec un débat qui risque de la diviser, bien que, à mon avis, Alain Juppé soit assez respectueux des règles électorales et éthiques pour concéder sa défaite le moment venu et laisser ses propres troupes rejoindre son adversaire. On pourrait au moins lui accorder le crédit d’une vertu dont on se gausse par ailleurs. On pourrait garder la maîtrise de ses nerfs pendant quelques jours. On pourrait prolonger de quelques heures la qualité d’une campagne dont tout le monde reconnaît qu’elle a été exemplaire jusqu’à présent. On pourrait enfin se souvenir de quelques attaques immondes dont M. Juppé a fait l’objet et n’ont soulevé aucune indignation, mais 215 élus n’ont pas de mémoire.

La gauche se remobilise.

Dans l’ivresse d’une victoire à la fois imprévue, immense et surprenante, les soutiens de M. Fillon ne semblent pas déceler un phénomène pourtant bien visible, la re-mobilisation de la gauche, brusquement galvanisée par les craintes que M. Fillon suscite dans les disparates éléments de la majorité actuelle. Imperturbable, François Hollande, estimant que M. Fillon possède, presque autant que M. Sarkozy, les ingrédients qui feraient de lui un adversaire idéal, aurait déjà décidé de se présenter pour un second mandat et entendrait apparaître comme un rempart contre le retour du conservatisme « thatchérien » qui, selon la gauche, serait la marque de M. Fillon. Le président se trompe sans doute s’il croit qu’il est le mieux placé pour combattre le chef de file de la droite. Emmanuel Macron lui-même, à mon sens, ne ferait pas le poids. En revanche, si Manuel Valls était consacré comme candidat de toute la gauche, la bataille serait rude. Réforme contre réforme.
La prudence commande néanmoins de ne pas faire des prévisions appelées à se modifier dans les semaines qui vont suivre. C’est pourquoi le respect scrupuleux de la séquence actuelle de la droite est indispensable. M. Fillon, à n’en pas douter, a construit un programme qui est le plus élaboré à droite. Il semble ne souffrir nullement d’avoir été pendant cinq ans le Premier ministre obéissant de M. Sarkozy. Il y a, dans son triomphe, un souffle qui a balayé toutes les réticences. Il lui suffit d’attendre son heure.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Juppé dans l’étau

  1. Hassold dit :

    Quel bel édito et quelle jolie analyse de la situation présente et future. Victime d’une campagne dégueulasse, ce sont ses termes, Alain Juppé a été taxé à tort de salafiste, d’antisémite, d’avoir une réelle amitié pour l’imam de Bordeaux, ayant pour projet de construire une mosquée au point de le surnommer Ali Juppé… Oui ces rumeurs, dont il est forcément resté quelque chose, alliés à la déception du résultat du premier tour ont poussé le maire de Bordeaux à se défendre et à marquer sa différence avec son adversaire. Cet homme droit dans ses bottes, trop bien élevé, respectueux des règles, refusant longtemps le dénigrement et l’invective a vu le rêve de toute une vie (ētre président de la République) s’effondrer et son ultime combat devenir presque inutile. Son courage de poursuivre aurait mérité d’être souligné. Beaucoup ont préfèré le salir. Que la politique est cruelle.

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