Les désarrois de la campagne

La tentation des vacances
(Photo AFP)

La campagne électorale est lourde de suspense et d’inconnues, elle n’en est pas plus agréable. Les candidats, conscients de la versatilité de l’électorat, naviguent entre des propos contradictoires et sont ainsi poussés à la faute. Les électeurs, si unanimes dans le rejet de la politique, ne mâchent pas leurs mots, mais ne sont guère préparés à faire leur choix.

LE CONSTAT est accablant : toutes les catégories professionnelles, tous les corps de métiers, y compris ceux de la politique, tous les groupements d’intérêt sont soumis au même opprobre. La victimisation est donc unanime : tout le monde souffre d’une injustice que la démocratie est incapable d’endiguer. Et lorsqu’on défend cette idée, on le fait avec une hystérie telle qu’on ne respecte plus les arguments contraires, qu’on les balaie de quelques grossièretés qui mettent le feu au débat et le consument. Mais alors, s’il n’y a que des victimes, qui sont les bourreaux ? La classe politique, accablée d’humiliation par la succession de ses échecs, tente de cacher ses blessures sous un sourire ou dans la main tendue à ses pires détracteurs. Ce serait presque comique. Pendant ce temps, l’opinion, si multiple, si complexe, si contradictoire, se range d’emblée dans le groupe qui subit, par opposition aux malandrins qui recourent à leur pouvoir pour lui infliger tant de souffrances. Pourtant, l’élection au suffrage universel est censée donner le pouvoir au peuple. De quoi se plaint-il donc ? Qu’il commence par voter, au lieu de se répandre dans les réseaux sociaux si souvent et si méchamment qu’il en oublie d’aller aux urnes.

Crise de nerfs.

La tension entre électeurs et candidats risque de plonger les seconds dans une crise de nerfs. Le candidat le plus exaspéré pourrait même décider que, au lieu de briguer un mandat, il dirait leurs quatre vérités à ceux dont il sollicite les suffrages, quitte à perdre. Il crèverait l’abcès, en quelque sorte. Il laisserait enfin son caractère, sa nature, ses convictions réelles s’exprimer. Il présenterait le programme qu’ils craignent parce que, de toute façon, quand ils énoncent leurs doléances personnelles, ils attendent qu’elles soient satisfaites au détriment des groupes qui ont des doléances différentes. Il leur jurerait qu’ils n’ont pas le choix, non pas parce qu’il serait un apprenti-dictateur mais parce que les éléments de la crise sont tels qu’ils réclament une thérapie sévère. Que leur clameur recouvre en vérité leur égoïsme. Que leur violence traduit une douleur prétendument insupportable même quand, en réalité, elle est tolérable. Que leur mécontentement les rend aveugles aux horreurs qui se produisent tous les jours dans le monde. Que le pessimisme maladif, la peur de tout, la haine de l’autre, si complaisamment entretenus par les candidats des extrêmes, ne sont pas les bons véhicules pour les solutions.

Les électeurs se trompent aussi.

Le candidat exaspéré, comme le juge exaspéré, comme le journaliste exaspéré par le déchaînement du verbe insolent et gratuit, par l’infantilisme des commentaires sur les réseaux sociaux, par l’arrogance incroyable des jugements, par l’usage inconsidéré de mots inappropriés ou simplement diffamatoires, par l’ignorance de ces experts spontanés, par leur inculture, pourrait penser que, après tout, rien ne le contraint à sombrer dans tant d’infamie et que, avant de renoncer, il pourrait tenter une dernière fois de dire à ces foules qui votent ou non, mais libèrent leurs instincts sur Facebook ou sur Twitter, de quoi elles aussi sont coupables, en quoi elles se gourent, et ce qui fait qu’elles n’ont pas de mémoire, ne connaissent rien à l’histoire, et croient vivre aujourd’hui des maux qui ont pourtant jalonné les siècles.
Peut-on éduquer les électeurs ? Ils finiront par prouver que leurs travers sont le produit de l’éducation que les politiques, ou les experts, ou les philosophes, ou les maîtres à penser n’ont pas su leur inculquer. On peut toujours rêver d’un peuple plus placide, un peu moins pré-révolutionnaire. On peut essayer de montrer que le désordre des sociétés qui ont cyniquement choisi les pires des dirigeants ne saurait nous inspirer. Mais on peut aussi se contenter de ferrailler dans le pré-carré des iconoclastes professionnels et de leur tenir le langage qu’ils utilisent, le seul qu’ils comprennent.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Les désarrois de la campagne

  1. JMB dit :

    Éditorial auquel je souscris des deux mains.
    Nous serions dans une société de haute technologie, pourtant l’esprit rationnel stagne ou même régresse. Les opinions (on ose dire les jugements) ne sont plus déterminées par les faits mais par des croyances. C’est à partir de celles-ci que l’on détermine les faits à prendre en considération. N’ont de poids que les faits confortant la croyance. Leur poids ne dépend pas d’une importance objective mais de leur compatibilité avec celle-ci. Si des faits la contredisent, ces faits sont jugés erronés, et leur élaboration la conséquence d’un complot.
    Malraux pensait que le XXIè s. serait religieux. Il est en tout cas celui de la croyance plutôt que celui de la rationalité. La création d’outils technologiques sont le fait d’esprits rationnels, leur utilisation ne l’implique pas nécessairement.

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