Le bras-de-fer Macron-Villiers

Le président et le général le 14 juillet
(Photo AFP)

Le président de la République est engagé, avec le chef d’état-major des Armées, dans une polémique dont l’issue ne fait aucun doute mais qui risque d’affecter sérieusement les relations entre la « Grande Muette » et M. Macron.

LE CARACTÈRE emporté du général Pierre de Villiers lui a fait prononcer, mercredi dernier, devant une commission parlementaire, des propos à l’emporte-pièce qui ont été rapportés au chef de l’État. La querelle entre le président et son chef d’état-major, qui vient d’achever un mandat de cinq ans prorogé tout récemment d’une année supplémentaire, porte évidemment sur cette fameuse coupe de 850 millions d’euros dans le budget militaire de cette année. La mesure consterne d’autant plus la communauté militaire que tout le monde s’accorde à dire que nos armées accomplissent un travail magnifique sur plusieurs théâtres, y compris sur le territoire national, que nos soldats sont à bout de force, qu’ils ont besoin de matériel performant, probablement d’effectifs supplémentaires et qu’on ne peut pas les mettre en danger avec des équipements usés ou qui manquent de fiabilité.

Un choix irrationnel.

Dans ces conditions, le choix d’Emmanuel Macron de réduire les crédits militaires pour ramener le déficit budgétaire sous la barre des 3 % est jugé comme irrationnel par l’opposition, les médias et nombre de proches du pouvoir que la décision du président rend perplexes. Comment ne pas partager cette perplexité quand nous savons que, loin d’être réduits, les crédits militaires doivent être portés progressivement à 2 % du produit intérieur brut parce que la discipline de l’OTAN et Donald Trump l’exigent et parce que les besoins en sécurité ont vivement augmenté à cause du terrorisme, dont la France est l’une des cibles principales ? La diminution de 850 millions du budget militaire cette année traduit en fait l’incapacité du gouvernement à réduire la dépense publique dans des secteurs moins névralgiques et à mettre un peu de cohérence dans une politique fiscale improvisée, uniquement dictée par la soudaine « découverte » d’un « trou » de huit milliards.
Donc, le pouvoir semble avoir commis une erreur et nos généraux sont en colère parce que cela fait plusieurs années qu’on leur demande le maximum et qu’en échange de leurs loyaux services et de leurs succès militaires, notamment au Sahel, ils n’ont jamais obtenu que des compliments. Le général Pierre de Villiers a cru bon de crever l’abcès en se dressant contre le chef de l’État, alors que rien ne lui interdisait d’avoir avec lui une bonne explication pour faire valoir des desiderata que n’importe quel citoyen lambda peut comprendre. Peut-être l’a-t-il déjà fait, ce qui expliquerait qu’il ait en quelque sorte décidé de défendre les intérêts de ses subalternes en s’exprimant, pas toujours avec finesse, devant la commission parlementaire, puis en se servant de Facebook pour invoquer les mânes du général Delestraint, mort à Auschwitz en 1945 après avoir dit un jour qu’il rejetait « toute mentalité de chien battu ou d’esclave ». La comparaison avec la lutte contre le régime nazi est tout simplement scandaleuse mais, dans le désir de dénoncer l’amateurisme apparent du gouvernement, les médias l’ont ignorée.

La force de la riposte.

Elle explique pourtant la force de la riposte « jupitérienne ». Le président Macron a recadré le général de Villiers en lui reprochant, sans le nommer, d’avoir mis la politique budgétaire « sur la place publique, et de façon indigne ». Dimanche, dans « le JDD », M. Macron, dont on dit qu’il s’exprime peu, a déclaré dans le cadre d’un long entretien : « Si quelque chose oppose le chef d’état-major au président de la République, le chef d’état-major change ». Bien entendu, il aurait mieux valu pour M. Macron, qu’il eût raison à cent pour cent. Mais ce qu’il a dit au « JDD » est essentiel. En démocratie, l’autorité militaire est soumise au pouvoir politique. Le général de Villiers ne peut pas et surtout ne doit pas croire que, en s’adressant directement à l’opinion, il peut l’emporter contre un président élu au suffrage universel. Il existe au moins un précédent à ce genre de crise entre pouvoir politique et pouvoir militaire, c’est celui du général Douglas McArthur, militaire américain de très haut rang, encensé par ses compatriotes, vainqueur du Japon en 1945 mais qui, en 1953, voulait « nucléariser » la guerre de Corée. Le président Harry Truman, décrié à l’époque comme un ancien marchand de chemises, n’a pas hésité. Il a limogé le général le plus populaire dans l’histoire des États-Unis et son geste, à l’époque, fut salué par les journaux français.
Bien entendu, la France aujourd’hui n’est pas confrontée à un tel risque dramatique et le général de Villiers n’a pas demandé 50 milliards de plus pour l’armée française. Mais il devrait méditer sur ce précédent et se rappeler que la démocratie a ses propres contraintes qu’aucun démocrate ne peut ignorer.

RICHARD LISCIA

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14 réponses à Le bras-de-fer Macron-Villiers

  1. Forban78 dit :

    Vous oubliez juste qu’en 2014, le général de Villiers étant déjà en poste, les 3 chefs d’état-major d’armées (terre, marine et air) et avec eux 20 généraux avaient menacé de démissionner en bloc. Si je ne me trompe pas, M. Macron là où il se trouvait, a été au coeur de cette crise. L’alerte avait été donnée, elle a été chaude, Hollande ne s’y est pas trompé. Le résultat ? + 3 milliards sur 3 ans, ne compensant en rien les 20 % de baisse de budget des 20 dernières années et 10 000 hommes de plus ne compensant pas non plus la chute d’effectifs de 20% en 10 ans (70 000 hommes)… Si le gouvernement n’a pas la capacité de donner les moyens nécessaires pour assurer les missions qu’il commande, alors l’adage « un chef, une mission, des moyens » rend en cas d’équilibre rompu, le contrat caduc. Les hommes acceptent d’aller au casse pipe, mais pas au suicide ! Quant à votre argument concernant les nazis, il est particulièrement vicieux, choquant et malsain… car vous savez pertinemment que les armées sont à l’opposé de ce genre d’idées. Salir un peu au passage ne vous fait apparemment pas peur.

    Réponse
    Premièrement, vos réflexions ne répondent nullement au problème posé par les rapports entre militaires et pouvoir politique.
    Deuxièmement, je ne salis personne et le général de Villiers a toute ma considération. Mais ce n’est pas moi qui ai évoqué Auschwitz à propos de cette affaire, c’est lui et c’est d’une maladresse insigne. Les insultes que vous m’adressez et qui sont purement gratuites affaiblissent et même réduisent à néant votre propos.
    R.L.

  2. Num dit :

    Heureux de voir que vous revenez à un propos plus équilibré et un peu moins macrolâtre…
    Au delà de cette provocation (gratuite), je vous rejoins sur le fond.
    Mais si Macron joue le rapport de forces avec le général de Villiers, Macron en sortira perdant et je prédis même le début de sa chute de popularité. En effet, le CEMA est extrêmement populaire et reconnu comme étant éminemment compétent. De plus, sur le fond, tout le monde sait qu’il a raison et une immense majorité de Français attend que les moyens de leur sécurité soient fortement renforcés. Macron ne gagnerait pas à le limoger et pêcherait par son point faible: sa crédibilité sur le régalien et la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité. C’est sa limite: son extraordinaire assurance peut se retourner contre lui en devenant de l’autoritarisme.

    Réponse
    Le pire, dans tout commentaire, c’est l’exagération. Je n’ai pas cessé de critiquer les divers programmes de M. Macron et voilà que maintenant je suis macrolâtre ! Pourquoi ne reconnaissez-pas plutôt, M. Num, que vous êtes farouchement anti-Macron pour la seule raison que vous ne pouvez pas vous faire à l’idée, depuis deux mois et demi, que François Fillon a perdu le premier tour ! Permettez-moi de vous dire que je m’adapte plus facilement que vous aux nouvelles situations. Quand mes lecteurs auront enfin compris que je n’appartiens à aucun bord ni aucune chapelle, peut-être comprendront-ils que j’ai un peu de lucidité ?
    Quant à ce que vous dites du CEMA, et des risques mortels que M. Macron prendrait dans son différend avec le général de Villiers, évitez ce genre de prédiction. Vendredi, le général sera reçu par le président : s’il ne démissionne pas, c’est qu’il accepte la coupe budgétaire et alors il aura fait beaucoup de bruit pour rien et ravalera son orgueil. S’il s’en tient à ses propos, il démissionnera. M. Macron perdra ou non en popularité, on verra. Mais lui ne démissionnera pas.

    R.L.

    • Num dit :

      Si Villiers démissionne, ca sera la première grande crise du quinquennat. Villiers donnera l’image d’un homme courageux et cohérent auquel les Francais sauront gré d’avoir dit la vérité. Macron, qui aura perdu un CEMA hautement compétent seulement 2 mois après son intronisation sera perdant et passera pour autoritaire et inconscient de la priorité que doit constituer la lutte contre le terrorisme.
      S’il ne démissionne pas et que Macron ne le limoge pas alors c’est qu’il lui aura donné raison. Mais, vous avez raison, attendons vendredi.

      • Michel de Guibert dit :

        Il n’aura pas fallu attendre vendredi.
        Le Général Pierre de Villiers a démissionné, il ne pouvait faire autrement après le désaveu de Macron.
        C’est la première grave crise politique après un parcours presque sans faute ; cette crise sera lourde de conséquences car Macron avait promis de hausser le budget de la Défense à 2% du budget et fait le contraire.

    • Num dit :

      La pique ne se voulait pas agressive mais un clin d’œil.
      Blague à part, je ne suis pas farouchement anti-Macron mais je déteste ces périodes de consensus médiatique sans sens critique.
      Je suis, comme vous, un fervent supporter de son programme économique (j’ai trouvé déplacé et inconsistant les critiques de LR contre la hausse de la CSG pendant la campagne législative car c’est une bonne mesure que la droite aurait pu porter). Je reste vigilant à ce qu’il l’applique et ne fasse pas certains renoncements (notamment sur la réforme du code du travail qui est hautement importante). À ce titre, la correctif fait au discours de politique générale du premier ministre, même s’il a été confus, est une bonne chose.
      Je suis également assez impressionné et surpris par ses premiers pas de politique étrangère et sa façon de tenir tête à Poutine et Trump et sa volonté d’assumer une politique pro européenne. Sarkozy n’avait pas osé autant.
      Je reste en revanche ultra dubitatif sur les sujets régaliens, la lutte contre le terrorisme, l’immigration, l’insécurité, sa politique de justice, etc. Notamment parce que je ne pense pas que Macron connaisse vraiment la France au fond et ait cette passion pour son pays et son histoire. Les nombreux discours de repentance déjà effectués dans la continuité de ses prédécesseurs ne marquent pas une rupture de génération qu’on aurait pu attendre de sa part.
      Enfin et surtout, je me méfie de sa pratique des institutions fondée sur la réduction du premier ministre au rang de chef de cabinet, l’anéantissement systématique de l’opposition parlementaire, les débauchages individuels, la caporalisation de son parti, le libre choix dès questions posées par les médias, etc. En ça, il ressemble un peu à Sarkozy (en pire) ce qui, à terme, pourrait lui coûter très cher.
      Voilà, c’était long, mais, j’espère utile.

    • Num dit :

      Au vu des réactions ce jour des médias, des politiques, des militaires (feutrées) et de l’opinion, ma prédiction n’était donc pas infondée.
      Macron a commis une erreur de jugement qui constitue la première faute de son quinquennat. Déboulonnant la statue du Commandeur, elle risque de lui coûter cher politiquement. Il a perdu son crédit au sein de l’armée et des électeurs qui lui sont attachés. Beaucoup de gens portent maintenant un autre regard sur lui (autoritaire, anti-armée…), ce qui va mettre brutalement fin à l’état de grâce.
      Le plus surprenant dans cette crise (mais c’est sans doute révélateur), c’est que Macron n’ait pas compris que, quand bien même, comme vous l’indiquez à raison, l’impératif budgétaire soit central, la défense et la sécurité nationales le sont encore davantage et que, pour cette raison, leur budget devait être sanctuarisé. Comme si Macron n’avait pas pris la mesure des conséquences des attentats djihadistes commis sur notre sol depuis 2015 : les Français aspirent d’abord et avant tout à vivre en sécurité. On peut donc faire des économies sur tout sauf sur l’armée qui est redevenue une fierté nationale et l’objet de l’admiration populaire. Que Macron ne l’ait pas compris me semble plus grave qu’il n’y paraît : il se trompe de priorité et ne réalise pas que 2015 a tout changé, et profondément.
      Quant à la forme, je comprends encore moins. Lui qui est si adroit et habile communicant, que lui a-t-il pris de recadrer si sévèrement et injustement un homme respecté et compétent ? À part une grave erreur de jugement, je n’ai pas trouvé d’autre hypothèse.

      Réponse
      Votre réaction était prévisible.

  3. Michel de Guibert dit :

    Il me semble que le Général de Villiers s’est exprimé devant une commission parlementaire qui l’interrogeait et non sur la place publique ; il était donc dans son rôle d’alerter sur les conséquences d’une baisse drastique des crédits militaires.

    Réponse
    Faux. Le débat était à huis-clos mais ce genre de huis-clos permet ensuite la révélation du contenu de tous les discours. Il savait pertinemment ce qu’il faisait. Il est à son poste depuis cinq ans. Le général aurait dit qu’il n’allait pas se faire b… par une décision gouvernementale. Encore une fois, il pouvait dire directement au président tout ce qu’il pensait. Et sa démission aurait été tout à son honneur.

    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Aurait-il fallu que le général de Villiers se taise devant la commission parlementaire ou qu’il dise le contraire de ce qu’il pensait ?
      Si on l’interrogeait, c’était bien pour connaître le point de vue du chef d’état-major des armées!

      Réponse
      Je vous ai indiqué le langage qu’il a utilisé. La question ne porte pas sur le fond mais sur la forme. Quand partez-vous en vacances ?
      R.L.

      • Cassandre dit :

        Sauf que M. Macron avait fait la promesse de « respecter les contraintes humaines et matérielles ». Bien entendu « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».
        Personnellement, j’ai beaucoup de difficultés à comprendre l’intérêt de prolonger l’état d’urgence alors que l’on donne un coup de rabot à nos forces armées et à la police et la gendarmerie. Le dévouement ne suffira malheureusement pas à permettre la sécurité des citoyens. Il est à noter que les différents pays occidentaux ont tous augmenté leur budget de défense. J’aurais tendance à comparer l’attitude de nos dirigeants successifs à celle des années 30 avec la ligne Maginot.

  4. Chretien patrick dit :

    « De Jupiter Macron devient Janus  »
    Christine Clerc. Sans autre commentaire !

    Réponse
    Bouleversant.
    R.L.

  5. Michel de Guibert dit :

    « Un pouvoir fort se caractérise par sa capacité à se faire obéir sans recourir à la violence, légalisée ou non. Mais comment parvient-on à se faire obéir ? Quand et comment n’y parvient-on plus ?

    …Une force qu’on ne craint plus perd le pouvoir et « N’ayez pas peur » dit cette règle secrète. Ainsi le pouvoir ne vient-il pas de lui-même…

    …Le pouvoir ne devient stable et éventuellement légitime que quand il rencontre et suscite une obéissance volontaire et spontanée. Si donc aucun pouvoir ne vient de lui-même (de sa force, de sa violence), d’où tire-t-il son efficacité ? De son autorité.

    …Le pouvoir résulte de l’autorité, mais il ne la produit pas (et il ne déploie ses fastes que pour faire accroire qu’il la produit, alors qu’en fait il ne l’a pas). L’autorité, au contraire du pouvoir, ne se proclame pas, ne fait pas violence, ne se donne pas en spectacle, et même, à la limite, ne se voit pas. Car l’autorité n’a jamais besoin de demander l’obéissance, parce qu’elle l’obtient immédiatement, puisqu’on la lui donne volontairement.

    …L’autorité d’un vrai professeur se résume à sa capacité à mettre ses auditeurs d’accord avec ce qu’il dit, et non pas avec lui mais finalement avec eux-mêmes ; tandis qu’un mauvais professeur voudra se les soumettre, à lui, avec violence et séduction (qui peuvent coïncider). »

    Jean-Luc Marion

  6. de noblens cécile dit :

    Bonjour
    Voilà de très nombreuses années que je lis l’édito de Richard Liscia avec beaucoup d’assiduité et de bonheur.
    Cette fois-ci, je riposte !
    Je ne vois pas l’intérêt de cette rubrique de doit de réponse puisque systématiquement la réponse de M. Liscia est désagréable vis-à-vis du commentaire du lecteur.
    Je vais donc m’en prendre également pour mon grade, je m’y prépare mais au moins j’aurai exprimé ma déception. Si R.L ne supporte pas la contradiction, il ne faut pas qu’il sollicite nos commentaires.

    Réponse
    Mais je ne sollicite rien ! Personnellement, je n’ai jamais écrit à un journaliste pour m’élever contre ce qu’il dit. Ce n’est pas du tout la contradiction que je ne supporte pas, c’est le harcèlement, dans les réseaux sociaux se sont fait une spécialité. En vous souhaitant assiduité et bonheur.
    R.L.

  7. Num dit :

    Intéressant de constater que tous les commentaires sont très critiques envers Macron. Celui-ci aurait mieux fait de s’éviter cette réaction autoritariste puérile, injustifiée sur la forme (le recadrage aurait pu se faire à huis clos) et sur le fond. Jupiter n’a pas marqué de points dans cet épisode. Je lui souhaite de conserver le général de Villiers comme CEMA s’il veut éviter une crise d’Etat.

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