La roue de secours du libéralisme

Le colossal « Harmony of the seas »
(Photo AFP)

Le gouvernement a décidé de nationaliser les chantiers navals de Sain-Nazaire pour empêcher l’Italien Ficantieri, déjà présent dans le capital, de prendre la majorité absolue. C’est une mesure presque inattendue, à contre-courant du libéralisme et particulièrement mystérieuse.

LA DÉCISION du gouvernement fait consensus en France, avec des commentaires chaleureux de la droite et de la gauche, un soutien sans failles des syndicats, et les applaudissements de l’opinion en général. Il s’agit d’un choix hautement politique, mûrement réfléchi, et destiné essentiellement à protéger les emplois des chantiers navals. Il a été rendu possible par une loi qu’Arnaud Montebourg a fait adopter quand il était ministre de l’Économie. Quel rapport y a-t-il entre MM. Macron et Montebourg ? Aucun, sinon que la législation est tombée à point nommé pour empêcher le triomphe de Ficantieri. Au demeurant, le rachat des parts nécessaires pour assurer la majorité absolue à l’État ne coûte pas cher : 80 millions d’euros seulement, les chantiers navals commençant à peine à faire des bénéfices, mais disposant de commandes qui assurent l’activité de l’entreprise pendant plusieurs années.

La fureur des Italiens.

L’inconvénient de la mesure, c’est qu’elle est très mal accueillie à Rome où l’on dénonce amèrement le comportement français, nationaliste, fort peu européen, et qui consiste à traiter l’Italie comme une puissance de seconde zone. Aussi bien, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, artisan de l’opération, part pour la capitale italienne où il va tenter de calmer l’ire du gouvernement, après qu’Emmanuel Macron a appelé le président du conseil de la péninsule, Paolo Gentiloni, pour le rassurer sur les intentions françaises. En effet, il ne s’agit que d’une nationalisation temporaire et non d’un basculement idéologique du gouvernement français. D’ailleurs, le ministère de l’Économie a fait fuiter des rumeurs sur de nouvelles privatisations. L’objectif de M. Macron n’est pas de nationaliser, mais seulement d’assurer un avenir à une technologie et à des salariés qui ont fait largement leurs preuves en produisant les plus beaux navires, du « Queen Mary » à de gigantesques paquebots de croisière. Le marché des chantiers navals devient essentiellement chinois. Ficantieri travaille beaucoup avec la Chine, d’où viennent et viendront les plus grosses commandes. La France craint que les chantiers navals soient délocalisés.

Un précédent.

Un compromis peut-il être trouvé entre Paris et Rome ? C’est peu probable, sinon impossible. Les deux logiques s’opposent : l’une, la française, donne la priorité à la pérennité de l’emploi, l’autre, l’italienne, ne raisonne qu’en termes de marché. Les salariés de « Naval Group » (nom des chantiers navals de Saint-Nazaire) sont d’ailleurs convaincus que les Italiens sont infiniment plus intéressés par l’outil technologique français, de niveau supérieur, que par le sort des ouvriers. On ne sait pas trop bien comment la commission européenne va réagir, mais nul doute que les autorités françaises vont multiplier les déclarations rassurantes et mettre l’accent sur le caractère temporaire de la nationalisation. De toute évidence, après le « rabotage » de l’aide au logement, le gouvernement a voulu envoyer un signal à forte connotation sociale, et il a réussi, si l’on en juge par le concert harmonieux des approbations qu’il entend.
Il faut néanmoins espérer que la France saura calmer le jeu. La prochaine fois qu’elle voudra acheter une entreprise en Europe, elle, qui a vendu quelques bijoux de famille à des pays beaucoup moins sûrs que l’Italie, risque de rencontrer de vives difficultés et sera sans défense si on lui fait valoir que son attitude, dans l’affaire des chantiers navals, mérite rétribution.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à La roue de secours du libéralisme

  1. Galex dit :

    Face au social et aux propriétés intellectuelles et technologiques, le débat n’est-il pas alors celui du libéralisme à tout-^va ?
    Le président Macron, recevant ce 31/07 le statminister suédois Stefan Lofven, faisait l’éloge du « Svensk Model » dont il dit que c’est « source d’inspiration ». Ce modèle suédois qui a laissé partir ses plus beaux fleurons : Saab, Ericsson, et Volvo (en Chine) qui fait sa réclame à présent avec l’expression « Made by Volvo », et non plus « Made in Sweden ».
    On peut alors s’interroger sur la stratégie de M. Macron et l’idéologie sous-jacente.

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