ISF : le débat de trop

Macron avec Bayrou
(Photo AFP)

L’Assemblée nationale commence aujourd’hui l’examen du projet de budget, avec notamment la réforme de l’ISF, que le président défend avec vigueur et que les oppositions contestent farouchement. Mille deux cents amendements ont été déposés.

L’IMPÔT de solidarité sur la fortune a au moins un mérite : il rapporte plus de cinq milliards par an à l’État et, dans un contexte de retour du budget à l’équilibre, ce n’est pas une petite recette. L’idée de le supprimer, assortie du gel des pensions et de la stabilisation des revenus des fonctionnaires, de la diminution de l’aide au logement, toutes dispositions assorties d’une hausse de la CSG de 1,7 %, a enflammé les esprits les plus dociles et donné aux syndicats et à la gauche un très gros os à ronger. Dans son entretien télévisé de dimanche, le président de la République a réitéré une argumentation connue de tous, à savoir que l’argent rendu aux riches doit être et sera investi dans l’économie.
Il ne s’agit pas du tout de la théorie du « ruissellement », contrairement à ce que disent beaucoup de journalistes. La théorie du ruissellement a été inventée par l’économiste américain (et très libéral) Arthur Laffer, auteur de la courbe en J. Sur la notion selon laquelle « trop d’impôt tue l’impôt », il a montré (sur le papier) que, en baissant les impôts, on faisait remonter la croissance. La tige du J, c’est la réduction fiscale, la partie de la lettre qui remonte vers le haut, c’est la croissance. Dans les années 80, Ronald Reagan s’est emparé de l’idée, sans obtenir de résultats, au moins pendant son premier mandat. La suppression de l’ISF consiste à donner un stimulant aux riches pour qu’ils placent leur argent dans l’industrie. Le feront-ils ? Rien ne permet de le croire avec certitude.

L’étendard de la lutte des classes.

La seule question qui vaille, s’agissant de l’ISF, est de savoir pourquoi la France est le seul pays qui applique cet impôt depuis plus de trente ans (avec une courte interruption), pourquoi c’est devenu un tabou plus sacré qu’une croyance religieuse et pourquoi il a résisté jusqu’à présent à toutes les tentatives de réforme. L’ISF est devenu le symbole de la lutte contre les inégalités, mais celles-ci continuent à se creuser ; il est payé par des gens assez prospères pour conserver le même train de vie, mais aussi par des épargnants qui ont commis l’erreur de garder de l’argent pour leur fin de vie ou pour leurs enfants. C’est l’étendard de la lutte des classes, c’est une façon de désigner les « riches » et d’élargir une fracture dans la société française. De toute façon, on ne peut pas accumuler une fortune sans avoir payé auparavant tous ses impôts, dans un pays où la pression fiscale est de 45 % du PIB. Il est même surprenant que le conseil d’État n’ait pas censuré un impôt qui ne porte ni sur le fruit du travail ni sur celui de l’épargne, mais sur l’épargne elle-même. Le message de l’ISF est le suivant : si vous ne voulez pas le payer, surtout travaillez moins, produisez moins, n’épargnez pas, dépensez ce que vous gagnez.

Une philosophie égalitaire.

C’est de cette façon qu’il devient contre-productif. Il ne s’agit pas du tout d’éprouver de la commisération pour tous ceux qui ont un million trois cent mille euros ou plus. Non sans naïveté, Emmanuel Macron a encouragé ses concitoyens à devenir « milliardaires ». Cela revient à imiter François Guizot, figure centrale de la monarchie de Juillet, qui donnait le conseil suivant aux Français : « Enrichissez-vous ! ». La proposition de M. Macron est encore moins raisonnable que celle de Guizot. À la fin des fins, on peut toujours s’opposer à l’ISF en montrant que cet impôt n’a jamais tué personne. Pour autant, sa suppression ne mettra pas davantage la France à genoux. On pouvait parfaitement envisager un nouveau barème de taxation pour éviter aux petits possédants de ne pas le payer ou de payer moins. Si Emmanuel Macron a voulu le supprimer, c’est tout simplement parce qu’il est archaïque. Mais voilà que des bataillons d’élus en ordre serré entrent dans l’arène pour dénoncer l’injustice que serait la suppression de l’ISF, voilà que chacun va arriver à l’Assemblée cet après-midi avec son propre projet de réforme, comme François Bayrou (MoDem), qui a exposé son idée sur la question. Il me semble néanmoins utile de traiter par la chirurgie pure et simple les tabous anachroniques, les habitudes ancrées en France depuis des décennies, une philosophie égalitaire qui nous a plongés dans l’endettement et le chômage. Si l’ISF meurt, le fisc, lui, est éternel.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à ISF : le débat de trop

  1. Scalex dit :

    A titre personnel, la loi Macron me convient bien. Payer des impôts sur des biens déjà taxés à l’origine est déjà une absurdité. Dans certaines familles, l’ISF favorise les donations. Celles ci permettent à l’argent de recirculer.

  2. JB7 dit :

    Analyse très intéressante.
    Il existe une source d’impôt gaspillée bêtement et dont on ne parle jamais : si l’on diminuait fortement la paperasse que les artisans, les indépendants et les petites entreprises doivent remplir, ils pourraient consacrer plus de temps à leur « vrai » travail et augmenteraient leur chiffre d’affaires. Ce qui rapporterait plus d’impôt.
    Alain Juppé avait proposé dans son programme de faire une « task force » comme aux Etats-Unis (cf le petit livre qu’il avait publié pour son programme économique), afin de mettre fin aux blocages administratifs. Il serait judicieux de lui piquer son excellente idée, tout en la présentant autrement pour faire croire que c’est une idée du président.

  3. phban dit :

    L’impôt qui rapporterait le plus serait celui sur la bêtise, mais est-elle mesurable ?
    Encore une excellente analyse qui montre bien les ressorts du problème et la difficulté à réformer rationnellement ce pays.

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