Le retour de l’esclavage

Le « remède » : manif’ anti-esclavage à Paris
(Photo AFP)

Parmi les nombreuses malédictions de ce début de millénaire, l’esclavage vient de faire un retour triomphal : la chaîne d’information américaine CNN a révélé, film à l’appui, que des migrants étaient vendus comme du bétail sur le marché libyen.

LA RÉACTION d’Emmanuel Macron, qui a dénoncé un crime contre l’humanité, est salutaire, mais, pour le moment, il hurle dans le vide. On attend plutôt une mobilisation mondiale contre une pratique qui nous renvoie tous à des moeurs que l’on croyait révolues, mais qui persistent. Comme il fallait s’y attendre, les mea culpa occidentaux sont nombreux. C’est forcément notre faute. C’est nous qui sommes intervenus en Libye et y avons aggravé le chaos, c’est nous qui n’ouvrons pas les bras à l’immigration et livrons à des brutes assoiffées d’argent les malheureux fuyant cette terre de douleur qu’est l’Afrique. C’est nous qui, après avoir poursuivi les passeurs, avons conclu des accords avec eux (les soupçons concernent les autorités italiennes) pour qu’ils empêchent les émigrés clandestins de franchir la Méditerranée. Il est inutile de démontrer, par exemple, qu’Angela Merkel paie aujourd’hui sa générosité à l’égard des migrants et que, si nous, Européens, cédons à la compassion, aussi légitime qu’elle soit, nous finirons tous par être gouvernés par l’extrême droite.

Sommes-nous coupables ?

Nous ne sommes pas formidablement organisés pour faire face au phénomène de l’immigration, et lui trouver des solutions humanistes, mais l’Europe n’est pas responsable de tout. Elle n’est pas responsable d’une immigration massive et censée diminuer grâce à la croissance en Afrique, qui est élevée. Elle n’est pas responsable de l’apathie des gouvernements africains qui ne font strictement rien pour empêcher leurs nationaux de quitter la mère patrie. La France n’est pas totalement responsable du chaos indescriptible qui règne en Libye. Elle n’y est intervenue que pour empêcher la destruction de Benghazi voulue par Mouammar Kadhafi. Elle s’est sans doute retirée un peu vite, mais elle est engagée dans le Sahel et n’a pas les moyens humains et matériels de combattre sur plusieurs fronts à la fois. L’Allemagne, de son côté, a accueilli en une fois un million d’immigrants, dont elle s’occupe à grands frais et elle a réussi à tarir l’immigration en provenance du Proche-Orient en payant la Turquie en monnaie sonnante et trébuchante. L’Italie a fait tout ce qu’elle a pu pour recevoir les immigrés, pour les sauver de la noyade, pour leur assurer un traitement correct et c’est en désespoir de cause, face à un problème qui engloutit ses personnels et ses finances, qu’elle a tenté de fixer les migrants en Libye par des moyens occultes.

Les fous de Libye.

Le vrai problème, c’est que, avec ou sans l’intervention militaire des Occidentaux en Libye, ce pays aurait de toute façon plongé dans le chaos. Dans les milices qui s’affrontent sur une terre brûlée par le soleil et par les bombes, qui compte deux parlements et deux Premiers ministres différents, la raison politique n’existe plus. Toutes les interventions diplomatiques venues de l’étranger ont échoué. Ni la religion, ni l’idéologie ni la simple et urgente nécessité n’ont permis de rapprocher des points de vue soutenus par l’unique force militaire. Aucune de ces factions n’est prête à déposer les armes pour donner le temps aux Libyens de choisir ceux qui les gouverneraient un jour. On s’entretue au nom de l’endroit où l’on s’est installé et qui devient pays, nation, patrie. Tripoli combat Benghazi et Misrata se méfie de Syrte. Dans le désert, se promènent des bandes surarmées de terroristes qui vivent de la contrebande, franchissent les frontières pour aller déstabiliser les pays africains, n’obéissent ni à des convictions, ni à un chef. Sur un tel terreau, l’esclavage ne pouvait que fleurir et l’indignation des médias ou des gouvernements étrangers leur fait oublier qu’il n’a pas encore été vaincu et qu’il y a d’autres pays qui le pratiquent clandestinement ou sous la forme de contrats de travail léonins.
Pourquoi les jeunes Africains qui rêvent d’Europe ne sont-ils pas informés de l’enfer qui les attend en Libye, esclavage ou pas ? Pourquoi leurs gouvernements ne font-ils aucun effort pour leur montrer les dangers d’une traversée du désert ? Pourquoi le monde entier en est-il réduit à exprimer son épouvante, ses regrets ou ses remords, une compassion tardive qui ne coûte rien, alors que la crise migratoire empire chaque jour et devient, avec la traite des êtres humains, intolérable, anachronique, et bien sûr, répugnante ?

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Le retour de l’esclavage

  1. François LE LAY dit :

    J’aime vraiment beaucoup vos articles-éditoriaux, marqués du bon sens, de la lucidité et de la générosité.
    J’essaie de n’en rater aucun car ils sont l’oeuvre de quelqu’un dont l’oeil sur l’actualité est étonnamment réaliste.
    Merci, vraiment.
    Réponse
    Je suis très sensible à votre appréciation.
    R.L.

  2. CHAMBOULEYRON JACQUES dit :

    Alors oui ou non Mme Merkel a-t-elle bien ou mal fait d’accueillir les migrants ? Moralement, mille bravos, politiquement elle ouvre la voie à l’extrême droite en Europe et à Laurent Wauquiez fort subtil selon vous. Vrai, je suis relou ! Parfois vos commentaires me semblent fort emberlificotés. Et tant pis si nous ne pouvons nous congratuler.

    Réponse
    Emberlificoté au point que vous n’avez pas bien compris : je n’ai jamais écrit que Wauquiez était subtil.
    R. L.

  3. JB7 dit :

    François Le Lay exprime très bien pourquoi nous avons tant de plaisir à vous lire.

  4. CUNY Michel dit :

    Vous écrivez : « C’est nous qui sommes intervenus en Libye et y avons aggravé le chaos, » Avant l’intervention de la France en Libye, il n’y avait pas de chaos. La Libye était un pays prospère. Ce sont les groupes d’Al-Qaïda qui ont commencé à déstabiliser ce pays, comme ils l’ont fait en Tunisie et en Egypte et ce sont eux – pas les prétendus rebelles bien vêtus, bien proprets – qui ont fait la guerre, non contre « l’armée de Kadhafi » mais contre l’armée du peuple libyen, contre la police du peuple libyen, et donc contre le peuple libyen.
    Vous écrivez : « La France n’est pas totalement responsable du chaos indescriptible qui règne en Libye. Elle n’y est intervenue que pour empêcher la destruction de Benghazi voulue par Mouammar Kadhafi. » La France est totalement responsable du chaos, non seulement en Libye, mais dans les autres pays africains déstabilisés par cette intervention.
    Vous ne vous êtes pas documenté pour écrire cela.
    Il existe un livre boycotté par les médias-menteurs : « La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011) », Éditions Paroles Vives, 2014. L’auteuse, Françoise Petitdemange, s’appuie sur des documents et non sur des pensées approximatives.

    Réponse
    Quand on cite un texte, on a l’honnêteté de le citer correctement. J’ai repris une série d’accusations lancées contre la France et auxquelles je n’adhère pas. Vous les mettez dans ma bouche. Sur le fond, vous avez le droit de porter l’opinion selon laquelle le régime Kadhafi était le meilleur que la Libye puisse espérer, ce qui vous classera dans une nano-minorité. Vous n’avez pas le droit de prétendre que je ne suis pas documenté. J’estime, et je le répète, que nous avons seulement voulu défendre la population civile de Benghazi. Nous y sommes parvenus, au prix d’un éclatement du pays entre différentes milices qui se battent encore aujourd’hui. L’auteur que vous citez a son propre agenda qui est peut-être le vôtre mais pas le mien. Vous vous documentez, mais seulement à charge, ce qui ne rend pas objectif votre commentaire.
    R. L.

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