Turquie : liaison dangereuse

Macron et Erdogan
(Photo AFP)

Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui semble souhaiter une relance de ses relations avec l’Europe. Depuis la tentative de coup d’État à Ankara de juillet 2016, M. Erdogan se livre à une répression impitoyable de son propre peuple. On ne peut donc envisager un rapprochement que si le régime turc met fin à ses violations des droits de l’homme.

M. ERDOGAN, avant de s’envoler vers Paris, a mis l’accent sur le développement des rapports commerciaux entre la France et la Turquie. Celle-ci, assurément, représente un partenaire important pour la France et pour l’Europe, mais il se trouve que son gouvernement n’a aucun respect pour les libertés essentielles : depuis le coup d’État manqué, 140 000 Turcs ont perdu leur emploi sous le prétexte qu’ils représentaient un danger pour le pouvoir et 55 000 personnes ont été arrêtées. Une purge énorme qui affecte la gestion administrative du pays dès lors que des fonctionnaires, des enseignants, des militaires ont été écartés de toute responsabilité ou simplement jetés en prison. M. Erdogan livre en outre une guerilla permanente contre les journalistes, ceux de Turquie, dont quelques dizaines sont détenus, et même des correspondants étrangers. Sans les efforts du gouvernement français, deux journalistes, Loup Bureau et Mathias Depardon, ne seraient toujours pas libérés.

Une dictature qui ne dit pas son nom.

La pression du Quai d’Orsay sur la Turquie a été salutaire, mais il semble que M. Erdogan estime, après ce geste, être devenu le créancier de la France. M. Macron le laisse venir. Il a raison de ne refuser le dialogue à personne, ce qui ne doit pas l’empêcher de rester vigilant. Car le régime turc, décrit par des gens minutieux comme « islamo-conservateur », n’est pas autre chose  qu’une dictature qui ne dit pas son nom. Certes, Recep Erdogan est porté par une forte popularité et par les élections qu’il a gagnées. L’usage qu’il fait de ses victoires est néanmoins inacceptable. Secoué par un soulèvement militaire qui a failli le renverser, il a réagi par les méthodes classiques de la chasse aux sorcières, dans un pays qui mérite beaucoup mieux que son comportement anachronique. Quoique affaiblie ces derniers temps sur le plan économique, la Turquie est un grand pays moderne. M. Erdogan a beaucoup d’ambition : il souhaite acquérir le leadership du monde musulman que se disputent déjà l’Iran d’une part, et l’Arabie saoudite et l’Égypte d’autre part. Dans l’espoir d’y parvenir, il a procédé à un renversement d’alliances et, si la Turquie est encore membre de l’OTAN, elle s’est alliée à l’Iran et à la Russie pour empêcher la chute du régime syrien. Son objectif réel était de repousser les Kurdes de Syrie avec lesquels elle a depuis longtemps des relations conflictuelles.

Le loup dans la bergerie.

Dans ce cheminement diplomatico-militaire, on remarque que M. Erdogan est désormais hostile aux États-Unis auxquels il reproche l’asile accordé à Fetullah Gülen, fondateur d’un mouvement islamique que le président turc combat de toutes ses forces, et qu’il a choisi Vladimir Poutine et Bachar Al-Assad. La dérive du régime turc est surtout alarmante pour un peuple auquel l’histoire semble avoir refusé le système démocratique auquel il a droit. Une histoire jalonnée de coups d’État militaires jusqu’au moment où Erdogan a déjoué le dernier en date, mais pas pour donner aux Turcs les libertés dont ils sont privés. Face à l’homme colérique et arrogant qu’est Erdogan, que l’on pourrait décrire comme un Trump ottoman, M. Macron, toujours convaincu qu’il est capable de séduire le pire des interlocuteurs, s’efforce de le ramener à la raison. Mais la politique d’Erdogan n’est pas improvisée : elle s’appuie sur un système qui, pour mieux renforcer son pouvoir, s’associe à des régimes dont l’objectif est de dominer le Proche-Orient. Entre les ayatollahs, Erdogan, Poutine et Al-Assad, la complicité est celle de personnages sans scrupules, même si on peut pas comparer le président turc au tueur de Damas.

Quant à l’accession de la Turquie à l’Union européenne, elle ne peut qu’être une chimère dans les circonstances actuelles. Angela Merkel a proposé de rompre les négociations, mais Emmanuel Macron veut maintenir le dialogue. La question est de savoir si on peut amadouer le loup quand on le fait entrer dans la bergerie.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Turquie : liaison dangereuse

  1. admin dit :

    LL écrit :
    Disons plutôt que Erdogan n’est pas compatible avec l’Europe. Sous un régime différent, la Turquie le serait peut-être.

  2. Michel de Guibert dit :

    M. Macron a raison de vouloir dialoguer avec tous les dirigeants, même s’ils sont peu recommandables ; la politique « droit-de-l’hommiste » et du « devoir d’ingérence » a fait trop de dégâts et couvert trop de manœuvres politico-militaires douteuses et aux conséquences néfastes.

  3. Jean Wolga dit :

    La Turquie a de graves contentieux avec l’Europe. Erdogan n’est pas responsable des deux premiers, mais il refuse d’en discuter.
    1°) La Turquie n’a toujours pas reconnu le génocide arménien, premier génocide du 20ème siècle, qui fit 1,5 million de morts ; rappelons que la France a accueilli de nombreux rescapés de ce génocide
    2°) La Turquie occupe toujours illégalement depuis 1974 plus du tiers du territoire de Chypre, qui est un état membre de l’Union Européenne
    3°) La Turquie a toujours combattu les Kurdes, à qui on avait promis l’indépendance lors du traité de Sèvres de 1920, et Erdogan continue à les combattre avec férocité et à les poignarder dans le dos, alors qu’ils sont les principaux alliés de l’Occident dans sa lutte contre Daech, et qu’ils sont pratiquement les seuls combattants au sol de cette organisation terroriste en Syrie et en Irak.

Répondre à Jean Wolga Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.