Le risque de la proportionnelle

M. Philippe hier à Matignon
(Photo AFP)

En annonçant le contenu de la réforme de la Constitution, le Premier ministre, Edouard Philippe, a clairement réduit les ambitions du gouvernement.

M. PHILIPPE, de toute évidence, a voulu éviter un conflit avec le Sénat, dont le président, Gérard Larcher (LR), menaçait de mener la vie dure au gouvernement. Si le Premier ministre a maintenu le rythme, parfois vertigineux, des réformes en exposant sans attendre celle des institutions, qui n’est pas une mince affaire, il n’en a pas moins déclaré qu’elle ne serait pas adoptée avant 2019, alors que le président de la République souhaitait la mettre en oeuvre dès cette année. La grève de la SNCF et la pression ainsi exercée sur le gouvernement et surtout sur le public, sont passées par là.

Un cadeau aux nationalistes corses.

Il n’y a pas de grosse surprise dans les informations fournies par Edouard Philippe, sinon la référence, inédite, à la Corse dans la loi fondamentale, qui satisferait au moins une des revendications des nationalistes. Ce qui risque d’ailleurs d’entraîner un débat très tendu avec l’opposition de droite. Pour le reste, il s’agit plutôt de confirmations, parfois de taille, par exemple la réduction de 30 % du nombre de parlementaires, actuellement 577 députés et 348 sénateurs. Le gouvernement a renoncé à la limitation du nombre des amendements proposés par les élus, projet qui avait soulevé un tollé général, car il s’apparentait à un affaiblissement de la démocratie. Le Conseil économique, social et environnemental, dont l’utilité a souvent été remise en cause, sera réduit de moitié (305 membres actuellement). Enfin, 15 % des représentants du peuple seront élus au scrutin proportionnel.

Cette dernière disposition continuera à faire débat. La proportionnelle est le mode de scrutin le plus juste, celui qui correspond le mieux à l’expression « un homme, une voix ». Idéalement, une représentation du peuple à la proportionnelle intégrale est le degré le plus élevé de la démocratie.  Par rapport au scrutin majoritaire à deux tours, elle présente néanmoins le grave danger d’empêcher la création de majorités de gouvernement stables pour la durée du mandat présidentiel. La proportionnelle à 15 % est une forme de service minimum, consenti du bout des lèvres par Emmanuel Macron, contraint de l’adopter pour complaire à François Bayrou, qui a joué un rôle dans sa victoire et exige aujourd’hui sa récompense. M. Bayrou s’est hâté de déclarer que ce n’est qu’un début tandis que Marine Le Pen considère les 15 % comme une « aumône ». Si, par la suite, et à la faveur des débats parlementaires, le pourcentage d’élus à la proportionnelle devait augmenter au moment précis où le nombre global d’élus diminue de 30 %, les conditions seraient réunies pour que la prochaine Assemblée nationale soit placée dans l’incapacité de fournir une majorité au président élu.

Quelques exemples.

Le justice démocratique ne doit pas entraîner une instabilité très dommageable pour la gouvernance. Les pays où le scrutin proportionnel est appliqué à des degrés divers, par exemple l’Allemagne, viennent de fournir des contingents massifs à l’extrême droite, ce qui a compliqué la tâche d’Angela Merkel pour la formation d’un gouvernement de coalition. En Italie, les récentes législatives ont laminé le centre-gauche et donné la même importance numérique à deux mouvements populistes.  En Israël, la proportionnelle intégrale est la première responsable du statu quo. Lequel offre à des partis minuscules un rôle-charnière dans l’exercice du pouvoir et force le parti leader, le Likoud, à leur donner des gages au lieu de prendre des décisions courageuses. Le blocage de toute négociation avec les Palestiniens résulte principalement de l’influence des partis religieux.

C’est assez dire qu’il faut prendre le scrutin proportionnel avec des pincettes et que, à terme, il finira par favoriser l’extrême droite et l’extrême gauche, qui, lors de la présidentielle et des législatives de l’an dernier, ont déjà fait des scores considérables. Bien entendu, il est tout à fait anormal que, avec plus de dix millions de voix au second tour, Marine Le Pen ne soit représentée que par quelques députés à l’Assemblée. Mais c’est toute l’Europe qui est menacée par la montée du populisme, et l’époque ne se prête guère à un mode de scrutin qui, par ses conséquences, pourrait être suicidaire.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à Le risque de la proportionnelle

  1. admin dit :

    Michel Gorfinkel dit :
    Le meilleur système est le système anglais majoritaire à un tour qui préserve les petits partis politiques implantés localement et favorise les majorités stables

  2. Michel de Guibert dit :

    Merci pour votre remarquable et lucide article.
    Déjà Chirac avait institué le quinquennat à la place du septennat, ce qui a été une grave erreur dénaturant nos institutions.
    L’introduction de la proportionnelle serait une autre grave erreur.

  3. admin dit :

    LL dit :
    En attendant, la réforme sera salutaire.

  4. woznica dit :

    La proportionnelle est un déni de la démocratie car elle donne le pouvoir aux groupes de minoritaires qui par le chantage de leurs alliances successives changent les majorités et imposent leur volonté minoritaire.

  5. mathieu dit :

    « Un homme, une voix », « la proportionnelle, degré le plus élevé de la démocratie »… désolé mais non: la proportionnelle est le contraire de « un homme, une voix »; on vote pour une liste de noms, pas pour un nom. Les élus passent « dans un lot », sans avoir fait leurs preuves ni mené campagne individuelle pour soi-même! Le FN non représenté à l’Assemblée malgré 1/3 de l’électorat à la présidentielle? qu’est-ce qui l’empêche? pas la loi! Le FN a des candidats dans toutes les circonscriptions, avec les mêmes chances que les autres. C’est au candidat député, sur le terrain, de gagner SON élection…et d’amener, circonscription par circonscription, son parti à la représentation nationale proportionnelle! Mais peut-être que ces partis « extrêmes », de bordure d’échiquier, droite et gauche, malgré leur grand nombre de candidats, n’ont pas les talents (politiques, techniques, humains…), pour convaincre leur électorat, ni peut-être pour administrer et légiférer en cas de victoire…
    Le scrutin majoritaire est implacable…de justesse et de justice! Il n’exclut, de principe, aucun candidat d’aucun bord, il lui impose simplement de gagner, individuellement, sur son nom, sur son projet et son programme, une élection! Cela vaut pour le président autant que pour le député!
    …Mais peut-être manque-t-il aux extrêmes les gens de talent capables de convaincre et de gagner? Cela aussi peut expliquer la sous-représentation du FN et des Insoumis à l’Assemblée?

    Réponse
    Vous êtes plus prompt à écrire qu’à me lire. Si j’ai bien compris, vous êtes d’accord avec moi.
    R. L.

    • mathieu dit :

      Absolument quant à la conclusion, à la finalité d’une élection et au nécessaire pragmatisme de la démocratie… mais je vais plus loin que vous sur le concept fondateur de la représentativité: même en théorie, la proportionnelle – si elle devient légale – n’est pas une légitime expression de la volonté du citoyen, elle représente les partis, pas les individus (combien d’encartés politiques parmi les 65 millions de français?)…
      Mais sur l’esprit général, totalement d’accord avec votre analyse…après sa lecture minutieuse!

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