Le parti du mal

Le chantage de Poutine
(Photo AFP)

La  décision des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni de procéder à une « frappe » contre le régime syrien semble compliquée et dangereuse : la menace de Poutine de riposter contre les lanceurs de fusées, avions, navires ou submersibles représente une surenchère capable de provoquer un conflit militaire beaucoup plus large.

BIEN QU’IL multiplie, dans ses tweets, les avertissements sans nuance qu’il adresse à Vladimir Poutine, Donald Trump semble sensible à la prudence exprimée par son entourage, ce qui explique que, à ce jour, la « frappe » n’ait pas eu lieu. De son côté, le gouvernement de Theresa May manque d’enthousiasme. Seul Emmanuel Macron a réaffirmé hier qu’il avait des preuves sûres de l’usage d’armes chimiques (chlore et gaz sarin) par Bachar Al Assad et confirmé l’engagement de la France à participer à une action militaire collective. De leur côté, les organisations humanitaires remarquent qu’ajouter des bombardements à d’autres bombardements ne peut qu’augmenter les souffrances des Syriens, toutes tendances confondues, et réclament l’ouverture de négociations entre les parties en présence.

Sur la fiabilité de Trump.

Aucune des solutions proposées n’est satisfaisante : il est indéniable que la « frappe » ne serait que symbolique et que, comme les précédentes, elle ne changerait pas un iota à la réalité du rapport de forces. L’objectif des Occidentaux doit être de contribuer à une solution politique de la crise syrienne, mais ils n’arriveront à rien s’ils ne réussissent pas à mettre Poutine dans leur jeu. « Frappe » ou non, on peut être sûr, pour le moment, que le trio Russie-Iran-Turquie mène le bal, quitte à se quereller après avoir instauré la paix russe. La réinsertion des Occidentaux dans la relation diplomatique est particulièrement compliquée : ils ont affaire à trois adversaires pour qui le langage de la force est le seul qui puisse déboucher sur une concertation. Ce qui implique que les forces américaines, présentes dans le nord-est de la Syrie devraient recevoir des renforts en nombre. Ce n’est pas la tasse de thé de Trump, qui a pensé à plusieurs reprises à retirer ses troupes de Syrie.

Et, bien entendu, ni la France, ni la Grande-Bretagne, ni aucun autre pays occidental n’entend se jeter dans la fournaise syrienne. C’est en quoi une simple volée de bombes ou de fusées traduit plus le non-engagement des pays démocratiques que leur volonté d’en découdre. Un fait intolérable demeure : la crise humanitaire syrienne, les quelque 400 000 morts, les blessés innombrables, le déplacement de millions de civils, la brutalité indescriptible des forces loyalistes, toute la douleur d’un peuple martyrisé, amputé, paralysé, étouffé par le chlore, gisant au fond d’immeubles détruits, soumis quotidiennement à tous les explosifs que le régime, aidé par les Russes, peut déverser sur lui. Un peuple désigné comme « terroriste » par Bachar qui, en matière de terreur, pourrait donner des cours à la faculté. Or beaucoup d’observateurs français, admirateurs des régimes russe et syrien, estiment qu’il ne faut pas prendre en considération le problème humanitaire et que l’intervention des Russes en Syrie ne mérite aucune critique depuis que Bush a envoyé un corps expéditionnaire en Irak et que Sarkozy a fait bombarder la Libye.

Aveugles et sourds à la violence.

Ce « parti du mal » (qui comprend l’extrême droite, une fraction de la droite et des éléments islamo-gauchistes) pense que les exactions d’une puissance valent celles d’une autre puissance. Il dépêche des estafettes obséquieuses à Moscou et à Damas. Anti-américain par principe, il est totalement aveugle et sourd à la violence et à la fureur des assassins professionnels qui ont mis la Syrie à sac. Il applaudirait au renoncement des Occidentaux à toute opération militaire. Il saluerait la victoire de Poutine, associé à l’Iran et à la Turquie. Il n’aurait pas un mot au sujet d’un triomphe obtenu par la destruction à peu près totale du pays. Personne n’a la solution, et l’idée même d’une négociation proposée par les ONG semble totalement inapplicable pour le moment, et le sera encore moins si les forces obscurantistes l’emportent. Avec Poutine, pourtant, nous n’avons droit qu’à des menaces de guerre généralisée, comme si un tel conflit ne serait pas pour la Russie le début de la fin. C’est sa promesse d’élargir le champ de bataille qui semble faire reculer les Occidentaux, sans doute parce que la paranoïa de Poutine est plus grave que celle de Trump.

RICHARD LISCIA

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10 réponses à Le parti du mal

  1. Michel de Guibert dit :

    « Parti du mal », parti du bien… toujours cette vision manichéenne… La seule urgence, c’est d’œuvrer pour la paix en Syrie, et cela nécessite de parler avec tous, les bons et les méchants.
    Réponse
    Je maintiens chaque mot de ce que je viens d’écrire. Je ne comprends même pas comment vous pouvez parler de paix quand il s’agit d’assassins professionnels.
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Comme si les assassins n’étaient pas dans les deux camps… c’est le drame des guerres civiles, à plus forte raison quand les puissances étrangères s’en mêlent.

      Réponse
      400 000 morts. Il y a des degrés dans l’assassinat. La puissance étrangère qui s’en mêle, c’est la Russie.
      R.L.

  2. admin dit :

    L. L. dit :
    Ce « parti du mal » (qui comprend l’extrême droite, une fraction de la droite et des éléments islamo-gauchistes). C’est bien de les nommer ! Il est egalement vrai que cette frappe ne servirait à rien. Il y a peut-être des symboles plus puissants que la frappe au hasard. Les Israéliens détruisent des installations spécifiques sans faire de symboles. Peut-être faut-il être plus pragmatique et identifier une cible qui fasse vraiment mal.
    Réponse
    La riposte, si elle a lieu, sera ciblée, mais elle ne fera pas mal.
    R.L.

  3. Chretien dit :

    Bravo et merci pour votre éclairage de la situation. Bombarder:la France a tout à y perdre !
    Le plus important concerne la tragédie de ce peuple qu’il faudra, un jour, absolument aider car les Syriens aiment la France.
    L’Allemagne et l’Italie sont présentes dans la région et en particulier à Beyrouth où elles préparent déjà la reconstruction du pays .

  4. PICOT dit :

    C’est fait, Macron a obéi comme un caniche à l’oncle Sam et a envoyé des missiles sur la Syrie. Une erreur monumentale sur le plan militaire, politique, diplomatique et géostratégique, en violation complète du droit international et sans mandat de l’ONU. Aucun impact, effectivement, sur le plan purement militaire. Nous punissons quelqu’un au nom du bien? D’abord nous voulons voir ces fameuses preuves d’utilisation d’armes chimiques par Bachar el Assad. Ensuite de quel droit nous prenons-nous pour le camp du bien ayant tous les droits ? Les Etats-Unis dans le camp du bien ? On se taperait sur les cuisses si ce n’était pas tragique : les Etats-Unis sont les seuls à avoir balancé deux bombes nucléaires sur des populations civiles à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Ils n’ont aucun droit, après ça, de donner des leçons sur la façon de faire une guerre « propre ». La France les suit comme un laquais. Une honte pour notre pays.

    Réponse
    La honte est dans votre commentaire.
    R.L.

    • Chambouleyron dit :

      Picot bat M de G dans le commentaire à vomir. Bravo pour votre chronique. Quant à « Le droit en perdition » que j’approuve, vous oubliez (mes infos viennent de France Inter, TF1 et la 2, l’obs et le point) les médias font leur travail certes mais beaucoup à sens unique CGT et zadiste éructifs sont dans l’émotion et non suivi de commentaires . On nous prend pour des branquignols.

      • Michel de Guibert dit :

        Pourquoi n’a-t-on pas attendu les résultats de la commission d’enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), ni même l’arrivée des observateurs mandatés pour cela ?
        La précipitation punitive des auto-proclamés gendarmes du monde sans attendre les preuves est suspecte.

    • Picot dit :

      Je ne me permet pas de dire que vos commentaires sont honteux. Faites en de même avec vos correspondants.

      • admin dit :

        J’aimerais bien bénéficier de MA liberté sur MON propre blog. Je ne vous oblige pas à me lire et encore moins à m’écrire. Cet espace n’est pas fait pour vos idées, mais pour les miennes et chaque fois que vous interviendrez, vous aurez ma réponse.

  5. Michel de Guibert dit :

    La réalité et le drame du Proche Orient et du Moyen Orient, c’est ce conflit majeur entre les sunnites et les chiites, les premiers derrière l’Arabie saoudite, les rebelles islamistes en Syrie et la Turquie, les seconds derrière l’Iran, le Hezbollah libanais et la Syrie alaouite.
    On parle beaucoup de la Syrie, on parle moins du Yémen, même conflit inversé.
    Les grandes puissances ont choisi leur camp et contribuent à alimenter la guerre, le plus souvent pour des raisons d’intérêt économique ou stratégique, les Etats-Unis, Israël et leurs alliés ont choisi le camp sunnite, la Russie a choisi le camp chiite…
    Comme l’a justement dit Hubert Védrine, sans doute notre meilleur ministre des Affaires étrangères, il faut parler avec la Russie.

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