Antisémitisme : le clash

 

Valls signataire
(Photo AFP)

Dimanche, « le Parisien-Aujourd’hui » a publié un manifeste contre le « nouvel antisémitisme » signé par plusieurs centaines de personnes et qui s’en prend directement aux « islamistes radicaux » responsables des agressions, verbales et physiques, contre des Français juifs. Le texte a été dénoncé par certains imams et surtout par Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, qui le considère comme « injuste et délirant ».

LES SIGNATAIRES de la tribune, parmi lesquels Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Jean-Pierre Raffarin, Bertrand Delanoë, Laurent Wauquiez,  des intellectuels comme Eric-Emmanuel Schmidt, Boualem Sansal, Pascal Bruckner, Philippe Val, et des artistes comme Gérard Depardieu et Charles Aznavour, met les pieds dans le plat en désignant les antisémites musulmans, en réclamant une révision du Coran (ce que les spécialistes ont aussitôt réfuté avec l’argument qu’on ne modifie pas un texte sacré) et en s’indignant non seulement des agressions et parfois des assassinats commis contre des juifs, mais des contraintes qui pèsent sur eux à cause de l’insécurité. Plus particulièrement, des quartiers entiers ont été vidés de leurs juifs, forcés d’aller habiter ailleurs, ce que le manifeste appelle sans ménagements « une épuration ethnique à bas bruit ».

Le déménagement ou l’exil.

D’autres musulmans ont approuvé le texte, mais le sentiment apparent d’une majorité de musulmans, c’est qu’on les désigne comme boucs émissaires. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, parle, pour sa part, d’interprétation du Coran plutôt que de modification. Il a néanmoins signé le texte qu’il présente comme un cri d’alarme. Effectivement, depuis que, sous l’influence des réseaux sociaux et des professeurs de haine, de nombreux jeunes musulmans véhiculent le vocabulaire antisémite, le jugent justifié et s’en prennent aux Français juifs, phénomène répétitif, fréquent et largement documenté, la tension interethnique devient insupportable. Ce qui a provoqué la rédaction et la publication de la tribune publiée dimanche dernier, c’est certainement l’impression générale que, en France et en 2018, on se contente de parler de l’antisémitisme sans agir pour le contenir ou, mieux, pour le juguler. Les statistiques montrent que le nombre d’actes antisémites diminue d’année en année. En revanche, le nombre d’agressions physiques augmente, créant un climat qui invite les juifs au déménagement, pour autant qu’ils en aient les moyens, ou à l’exil.

Une trentaine d’imams français ont à leur tour publié dans « le Monde » un texte qui exprime leur désarroi. D’un côté, disent-ils, « la situation devient pour nous intenable. Tout silence de notre part serait complice et même coupable ». Ils dénoncent « des lectures et pratiques subversives qui conduisent à l’anarchie religieuse ». De l’autre côté, ils affirment que les « attentats récents » sont une « occasion attendue pour incriminer toute une religion ». Même s’ils ont rédigé cette tribune sans connaître le contenu de celle du « Parisien », leur propre manifeste a au moins l’avantage de reconnaître l’acuité du problème. Il est tout à fait normal que des imams défendent le contenu du Coran. Toutefois, le manifeste de dimanche contre l’antisémitisme n’est pas du tout une condamnation de l’islam, c’est au contraire un appel aux musulmans de bonne volonté pour qu’ils participent eux aussi à la lutte contre l’intolérance. Ce sur quoi les deux textes se rejoignent.

Une prise de conscience.

On ne luttera pas efficacement contre l’antisémitisme si on n’admet pas, une fois pour toutes, qu’il a pris une forme nouvelle en France, à cause du conflit israélo-palestinien et parce qu’une fraction de la jeunesse musulmane est fascinée par le terrorisme, si on ne stigmatise pas, avec tous les mots utiles du vocabulaire, ces comportements délétères, si on ne redit pas sans cesse que, en une décennie, dix juifs ont été assassinés uniquement parce qu’ils étaient juifs. Des musulmans voient dans le manifeste une provocation, tout juste bonne à dresser une communauté contre une autre. Mais il s’agit en réalité de la contribution de personnalités ou d’intellectuels à une prise de conscience nationale. Les Français de confession musulmane doivent, comme les imams cités plus haut, saisir l’occasion qui leur est ainsi offerte de lutter contre l’antisémitisme et de démontrer que la cohabitation de groupes différents est possible en France.

La crise actuelle est compliquée par l’immigration. Ceux qui ont échappé aux conflits du Proche-Orient et arrivent en Europe partagent souvent les stéréotypes antisémites les plus éculés. Du coup, ils offrent un argument supplémentaire à cette large partie de la population française qui est franchement hostile à l’immigration. Dans cette configuration, le philosémitisme affiché  par certains n’est que la prolongation de leur racisme. La preuve en est que l’antisémitisme se porte hélas fort bien en Hongrie ou en Pologne, deux pays qui ont fermé leurs frontières aux réfugiés du Proche-Orient et d’Afrique. Il y a en effet bien plus que cinquante nuances de la xénophobie. Ce qui est sûr, c’est que le manifeste du « Parisien » a fait progresser le débat.

RICHARD LISCIA

 

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5 réponses à Antisémitisme : le clash

  1. Michel de Guibert dit :

    Dans le même sens que le grand rabbin Haïm Korsia, Rachid Benzine a déclaré justement à propos de ce manifeste contre le ‘nouvel antisémitisme’ : « L’urgence n’est pas d’expurger le Coran mais d’en faire une lecture critique ».
    Il est sage d’employer les mots justes et d’avoir une pensée juste si l’on veut être entendu.

    • Picot dit :

      La lecture critique du Coran a déjà été tentée, et l’est encore dirait on, par nombre d’intellectuels musulmans, mais ils sont tous mis au pas plus ou moins brutalement, semble-t-il. On ne discute pas un texte sacré. Lutter contre les juifs et des chrétiens, voire les tuer, fait partie de cette religion, même si tous les musulmans, heureusement, ne souhaitent pas le faire. Ce n’est pas seulement une religion c’est aussi une politique, incompatible avec nos coutumes, notre histoire, nos lois. Aucune discussion n’est possible : ici on ne tue pas nos concitoyens au nom d’Allah. Boubakeur et consorts se disent scandalisés ? Il ne peut nier que ces meurtres ont été commis par des musulmans, et il est musulman.

      Réponse
      Il n’empêche que les auteurs du texte parus dans « le Monde » se sont affranchis de toutes les contraintes et ont fait preuve de beaucoup de courage. Comme pour n’importe quel sujet, il n’y a pas de fatalité.
      R.L.

      • Picot dit :

        Je ne crois pas : ils ne risquent pas grand chose et nous allons voir par la suite ce qui va se passer. A mon avis il n’y aura aucun bouleversement, mais « wait and see ».

      • Michel de Guibert dit :

        Et pourtant tous les textes sacrés demandent à être interprétés si on ne veut pas tomber dans le fondamentalisme.
        Il est vrai que la chose est plus compliquée pour les musulmans qui considèrent le Coran comme « incréé », descendu du ciel dans une pure langue arable et sous une forme parfaite…
        Il n’en demeure pas moins que l’Islam traverse une grave crise dont il ne pourra sortir qu’en acceptant de remettre en cause cette notion de Coran incréé et celle lecture littérale qui en découle et en acceptant de faire une lecture historico-critique du Coran en contextualisant les sources.
        Les mutazilites l’avaient tenté aux VIIIème/IXème siècles, mais ils ont été éliminés.
        Des intellectuels musulmans, essentiellement en Occident, le tentent à nouveau avec lucidité et courage ; c’est eux qui pourront faire évoluer l’Islam.

  2. Berdah dit :

    Il ne s’agit pas ici « d’un sentiment » apparent d’une majorité de musulmans mais bien de faits réels puisque que je sache tous ces actes barbares commis à l’encontre des juifs ont été commis par des musulmans et la plupart aux cris de Allah ouakhbar. Et ce avec raison puisque le Coran encourage la lutte contre les « mécréants ». Ils ne font là donc que leur devoir de bon croyant.

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