La politique du déjà vu

Flics et zadistes
(Photo AFP)

Pour ceux qui se sont égarés dans les tensions internationales puis ont rouvert les yeux sur ce qui se passe en France, la permanence des conflits internes de tous ordres apporte lassitude, fatigue intellectuelle et le sentiment que, dans la notion de France éternelle, l’ingrédient principal se résume à une sorte de bellicisme routinier et confortable.

APRÈS avoir renoncé à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, après avoir procédé à une première évacuation des zadistes, après avoir demandé à ceux d’entre eux qui avaient un projet agricole sérieux de présenter leur candidature, après avoir accepté plusieurs dizaines de dossiers ainsi élaborés, le gouvernement a demandé aux forces de l’ordre d’évacuer aujourd’hui les personnes qui ont refusé d’entrer dans le cadre de la loi. Les irréductibles, avec une surprenante inconscience, crient à la manoeuvre diabolique qui les priverait d’un droit dont ils sont seuls à croire qu’il est supérieur à la loi en vigueur. A ce jour, tous les actes du pouvoir concernant la Zad correspondent à des reculs de l’autorité publique. Que l’exécutif, avec une patience infinie, que la police, avec un doigté de dentellière, tentent de rétablir l’ordre est interprété par une poignée d’illuminés comme un crime contre le peuple.

Avenir incertain.

On les abandonnera à leurs divagations, mais, dans la France en marche, on constate beaucoup d’abcès de fixation. On ne sait pas quand ce site qui a le si beau nom de Notre-Dame-des-Landes sera rendu à son bonheur bucolique, pas plus qu’on ne sait quand se terminera, et dans quelles conditions, la grève à la SNCF, dont un nouvel épisode commence ce soir, pas plus que les étudiants soucieux de passer leurs examens ne savent s’ils vont perdre ou non leur année, pas plus qu’on est assuré que la faillite d’Air France, épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des pilotes de la compagnie (et du reste du personnel) sera évitée. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il y aura de nouvelles manifestations le 26 mai, que cette fois, si l’on en croit Jean-Luc Mélenchon, ce sera une sorte de soulèvement populaire et que, selon le chef de la France insoumise, qui avait accordé « un point » à Emmanuel Macron au terme de la « première manche »,  c’est l’opposition de gauche qui emportera la deuxième, en attendant les suivantes. On s’interroge sur ce qu’il faut penser de cette fanfaronnade qui trouve sa justification dans une sorte de réalisme politique de façade, M. Mélenchon s’étant montré capable de reconnaître une défaite pour mieux, ensuite, annoncer sa victoire.

Le fracas et le nombre.

Tout laisse croire pourtant qu’il va vite en besogne, car la répétition des manifestations dont les médias ont trop vite décrit le succès, alors que l’extrême gauche, lors de la dernière livraison de son feuilleton, n’a pu réunir que 40 000 personnes à Paris, ne garantit pas du tout le recul du gouvernement. Faire un fracas assourdissant pour cacher sa faiblesse, voilà le secret de la manif à la française. La sérénité qui règne à l’Élysée et peut-être encore plus à Matignon, où le Premier ministre, Édouard Philippe, applique les réformes avec une inébranlable constance, ne révèle pas la moindre peur, la moindre inquiétude, le moindre de ces frissons qu’engendre habituellement la violence des conflits. Les médias, avec une certaine inconséquence, assistent au match comme s’il y avait deux légitimités, celle du pouvoir et celle de l’opposition. Bien entendu, il est logique que l’extrême gauche qui, selon un récent sondage, incarne le mieux l’opposition à Macron, mieux en tout cas que Marine Le Pen ou Laurent Wauquiez, conteste un programme diamétralement opposé à ce qu’elle-même préconise. Mais enfin, il y a quelque chose de profondément malsain dans l’interdiction de passer leurs examens faite par la force à des étudiants et il est scandaleux qu’Éric Coquerel, député LFI, soit allé encourager les bloqueurs à empêcher la tenue des partiels. De même qu’il est scandaleux qu’une grève à la SNCF ou à Air France puisse saper l’économie française pendant des semaines ou des mois et rendre la vie impossible aux usagers, ou que, tous les moyens de la persuasion étant épuisés, des individus qui n’ont pas le moindre droit sur le sol de la Zad, lancent encore des cocktails Molotov et se livrent à des exactions et  à des brutalités.

L’amour du désordre.

Il existe toute une école pour dire que la brutalité est policière, que les zadistes sont des victimes et que les bloqueurs ne font qu’exprimer un jugement bien mérité par le gouvernement. Il existe dans ce pays un amour profond pour le désordre, pour la réinvention du droit, pour la violence gratuite et désespérée, pour la cible qu’il faut frapper, pour la désignation d’ennemis internes, ces Français qui seraient en quelque sorte les nouveaux envahisseurs, briseurs de rêve venus d’une obscure cinquième colonne, laquelle aurait pris racine dans le tréfonds immoral de la société. En réalité, nous n’aurions besoin d’aucun policier si tous les citoyens professaient le même civisme et si le terrorisme n’existait pas, danger auquel les casseurs de l’extrême gauche ou les identitaires de l’extrême droite ne semblent accorder aucune importance, eux qui n’hésitent pas à mêler leurs actes de violence à ceux des djihadistes dans le même pays et au même moment, un peu comme s’il y avait une concurrence entre les délits des uns et les crimes des autres.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à La politique du déjà vu

  1. JB7 dit :

    Remarquable analyse ! C’est toujours un plaisir de vous lire !
    Réponse
    Je vous remercie chaleureusement.
    R. L.

  2. Stiers dit :

    Comme il est dit plus haut, « remarquable analyse ». Je confirme.
    Macron va-t-il terminer comme ses prédécesseurs par céder sous les diverses pressions ou, pour une fois l’autorité, de l’État l’emportera ? Les paris sont ouverts.

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