Daech : au cas par cas ?

Mélina dans le box, avec son quatrième enfant
(Photo AFP)

La condamnation par un tribunal irakien de Mélina Boughedir, mère de quatre enfants, âgée de 27 ans, à au moins vingt ans de réclusion criminelle, a provoqué en France un débat sur le sort des djihadistes après la disparition de l’État islamique.

LE GOUVERNEMENT français est mis en difficulté dans cette affaire parce que Mélina Boughedir, visiblement désorientée par ses démêlés judiciaires, ne ressemble pas du tout à une femme qui aurait combattu contre les forces irakiennes. Elle a été arrêtée à Mossoul au moment de la reconquête de la ville et elle a déjà été condamnée à une peine de courte durée qui laissait présager sa prochaine libération, car elle avait déjà fait de la détention préventive. Or voilà qu’elle a comparu de nouveau, cette fois pour un verdict infiniment plus sévère, auquel ses trois avocats français, dont le célèbre William Bourdon,  ont assisté impuissants. Le débat est né du refus de la France de réclamer le retour en France de ses ressortissants arrêtés en Irak ou en Syrie et jugés sur place par des tribunaux dont il n’est pas excessif de contester la fiabilité. Personne ne comprend d’ailleurs pourquoi une femme (de nationalité française) est condamnée deux fois, d’autant que, comme l’a souligné M. Bourdon, c’est le même juge qui, en moins d’une heure, a alourdi la peine sans que des éléments nouveaux aient été apportés. Cela s’appelle de toute évidence un procès expéditif.

L’indifférence du gouvernement.

Le gouvernement français s’est rangé d’emblée à l’idée qu’il n’interviendrait pas dans le fonctionnement de la justice irakienne.  Mme Boughedir a quatre enfants, dont trois ont été rapatriés sains et saufs en France, le quatrième partageant pour le moment sa détention. Elle nie avoir commis le moindre acte de violence, affirme qu’elle a été moralement contrainte de se rendre en Irak et attendait de l’Irak et de son propre pays un peu moins de revanchisme et un peu plus de compassion. Ce que nombre d’observateurs reprennent d’autant plus à leur propre compte que d’éminents représentants du macronisme, par exemple le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, Christophe Castaner, expriment leur totale adéquation avec la justice irakienne . Leur position va au-delà du cas par cas qui semblait représenter le credo gouvernemental. Elle reflète plutôt la parfaite indifférence des pouvoirs publics à l’égard de tous ceux qui, de près ou de loin, se sont compromis avec Daech et passent devant les tribunaux irakiens. Le gouvernement ne cherche pas à réclamer le rapatriement des anciens combattants de Daech, probablement parce qu’il ne souhaite ni entrer dans des relations conflictuelles avec l’Irak ni se retrouver avec quelques centaines de djihadistes que la justice française aurait beaucoup de mal à gérer.

Un séjour en enfer.

Si l’on se penche sur le seul cas de Mme Boughedir, il est en effet difficile d’enquêter sur ce qu’elle a fait pendant son séjour à Mossoul et de trouver les faits qui la condamnent ou l’exonèrent. Une procédure judiciaire appliquée à quelques centaines d’individus serait donc coûteuse et longue. Mais, bien sûr, ignorer son sort et refuser de se poser la question de sa culpabilité réelle, c’est un jugement à la Ponce Pilate. Il est logique que des avocats français multiplient les efforts pour accorder à Mme Boughedir quelques garanties judiciaires. Il est plus étrange de voir nombre de commentateurs voler au secours de la condamnée en se hâtant de confisquer l’humanisme à leur profit, comme si ceux qui expriment leur perplexité étaient des monstres. Mme Boughedir était adulte quand elle a pris la décision d’aller à Mossoul avec armes et bagages. La moindre des choses, s’agissant de son prochain, c’est de lui accorder le sens de la responsabilité. Bien entendu, un procès équitable aurait fait la lumière sur la part de contrainte qui lui était imposée, mais il existe cent façons d’échapper à une invitation à un séjour en enfer.

Même si Mme Boughedir n’est pas responsable des crimes et exactions commis par Daech,  la compassion dont elle bénéficie devrait aller plutôt vers les victimes du terrorisme. On ne peut pas à la fois clamer « Je suis Charlie » et « Je suis Mélina ». Par leurs conséquences, souvent indescriptibles, les crimes de Daech inspirent la plus grande sévérité à la société française. Des centaines de personnes assassinées, des centaines d’autres meurtries à vie, des gens qui, à ce jour, ne parviennent pas à vivre normalement de nouveau. L’État islamique est le pire avatar de l’humanité, un cancer qui ne peut être guéri que par l’ablation, une violence démesurée, animée par une haine sans le moindre fondement, qui se traduit par des décapitations mises en scène par des bourreaux d’une cruauté inexpiable. Mme Boughedir est-elle la victime collatérale d’une guerre atroce ? En tout cas, aller à Mossoul, c’était choisir le pire des camps.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Daech : au cas par cas ?

  1. Stiers dit :

    Question : qui finance le célèbre Willaim Bourdon ? Ou bien s’agit-il d’un avocat au grand coeur devenu le défenseur bénévole d’une cause pour laquelle on comprend l’attitude négative du gouvernement.

  2. Jérôme Lefrançois dit :

    Qu’elle soit punie pour ses crimes, selon la loi; et que l’on pense aux multiples victimes innocentes depuis de nombreuses années, en France et ailleurs, victimes de l’organisation terroriste à laquelle semble-t-il appartient cette femme.

    Dr Jérôme Lefrançois

  3. En allant à Mossoul , cette personne savait très certainement qu’elle n’y allait pas pour faire du tourisme, avec en plus 4 enfants ! Qu’elle assume jusqu’au bout son regrettable choix, et que ses défenseurs prennent en charge ses enfants.

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