La culture du scandale

Alexis Kohler
(Photo AFP)

Les « affaires » liées à la politique sont nombreuses et donnent lieu à des enquêtes et des condamnations. On ne peut qu’en regretter le nombre et on s’interroge sur l’extension de la corruption en dépit des multiples garde-fous qui ont été mis en place. « Mediapart », dont c’est la spécialité, a mis en cause Alexis Kohler, conseiller d’Emmanuel Macron, pour un conflit d’intérêts. La justice s’est saisie du cas (« prise illégale d’intérêts et trafic d’influence »), mais le président confirme qu’il maintient sa confiance à son plus proche collaborateur.

LE PROBLÈME, avec les « affaires », c’est qu’elles nuisent à la réputation du principal intéressé avant même que la justice ne se soit prononcée. Il serait hâtif, et même précipité, pour l’Élysée, de signifier déjà son départ à M. Kohler. Mais l’action de celui-ci, au coeur du pouvoir, risque d’être freinée ou compliquée. Comme toujours, les événements se sont déroulés selon un canevas impitoyable. Ce n’est pas la première fois que « Mediapart » dénonce le fait que M. Kohler, 45 ans, a été pendant quelques mois directeur financier de MSC, une société de croisières, alors qu’il a eu aussi les fonctions d’administrateur à STX (les chantiers navals de Saint-Nazaire), dont MSC est le client principal. On ne voit pas bien  néanmoins, comment des fonctions différentes, et à des époques différentes, sont incompatibles. Les questions posées par « Mediapart » ont trouvé leur traduction dans une plainte déposée par l’association Anticor, qui fait métier de poursuivre les personnages politiques tentés par la corruption. Et le parquet national financier (PNF) a décidé d’ouvrir une enquête.

Fausses accusations.

Elle prendra des mois. Peut-être que M. Kohler saura prouver que le conflit d’intérêts est inexistant, comme il l’affirme déjà. Mais il sera obligé de s’expliquer devant les juges, et, sans doute, à plusieurs reprises. Ce qui est dommageable, car ses fonctions l’absorbent complètement. Et, bien sûr, s’il sort totalement blanchi de sa confrontation avec la justice, l’épisode aura été inutile, non sans avoir contribué à la mauvaise réputation de nos politiciens. Certes, les cas de corruption dans le monde politique sont nombreux et scandaleux, mais les cas de personnes accusées à tort ne sont pas rares non plus. Tout récemment encore, Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, a été blanchi par la justice. Il avait fait l’objet de fausses accusations.

On ne peut pas critiquer « Médiapart » pour son rôle de lanceur d’alerte. Ses journalistes ne font que leur travail, même si leurs convictions les conduisent à s’intéresser surtout aux hommes politiques auxquels ils sont idéologiquement hostiles. On ne peut pas non plus reprocher à Anticor  de porter plainte sur la base d’un soupçon de conflit d’intérêts, c’est sa vocation. Et encore moins au PNF de lancer une investigation, dès lors qu’il a été créé très précisément pour le faire. On peut suggérer qu’il existe une sorte de courant continu entre presse, associations et juges qui explique l’enchaînement des faits. On exprime l’espoir que cet enchaînement est impartial et qu’il ne va pas toujours dans le même sens, à savoir qu’il n’aurait pour finalité que l’affaiblissement du pouvoir par tous les moyens non-électoraux.

Passion partisane et justice.

Pour être clair, il est arrivé que des dossiers aient été montés de toutes pièces par des médias cherchant à se faire valoir au détriment de leurs victimes désignées ; et que les juges aboutissent dans ces cas à des non-lieux, sans trop se soucier du tort que l’enquête a causé au prévenu. Bien entendu, il n’est pas possible d’affirmer une vérité avant d’en avoir réuni les preuves. Il n’empêche que la justice, toute indifférente qu’elle soit aux pressions sociales, ne doit pas ignorer le contexte politique dans lequel elle travaille. Dès qu’il est révélé, le scandale résonne dans tout le pays ; quand un prévenu est innocenté, on publie deux lignes dans un journal. Je ne préjuge nullement du résultat lointain des investigations du PNF. J’aimerais seulement savoir si ceux qui s’acharnent contre M. Kohler ne le font pas sous l’empire de la passion partisane, plutôt que par amour de la justice.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à La culture du scandale

  1. Num dit :

    « Pour être clair, il est arrivé que des dossiers aient été montés de toutes pièces par des médias cherchant à se faire valoir au détriment de leurs victimes désignées ; et que les juges aboutissent dans ces cas à des non-lieux, sans trop se soucier du tort que l’enquête a causé au prévenu. »
    Vous mentionnez l’affaire Fillon ?
    😉
    Réponse
    Non. J’ai cité un cas.
    R.L.

  2. JMB dit :

    Il semble que la mère de M. Kohler soit la cousine germaine de l’épouse d’un des fondateurs de la société MSC. Lors des réunions familiales, on ne discute que de la pluie et du beau temps ?
    À l’exemple du Sunshine Act américain, il est suggéré aux auteurs d’articles médicaux d’indiquer leurs éventuels conflits d’intérêts. Leur crédibilité en est accrue. Sauf dans le domaine de la défense, ce principe devrait s’appliquer bien au-delà de la seule médecine.
    La suspicion est alimentée par la dissimulation, volontaire ou non.
    Réponse
    Si vous le permettez, je dirai qu’avoir pour mère la cousine d’un fondateur d’une entreprise n’implique nullement que l’on parle d’entreprise dans les dîners familiaux. Il y a d’autres sujets de conversation entre cousins et entre les enfants des cousins. Suspicion, certes, mais inquisition aussi.
    R.L.

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