La Turquie a son sultan

Erdogan et son épouse
(Photo AFP)

Recep Yassip Erdogan a été réélu, dès le premier tour, par 53 % des suffrages, à la tête de la Turquie, alors qu’on attendait naïvement une mise en ballottage.  C’était oublier que le chef de l’État turc peut à sa guise manipuler les élections.

AUSSI BIEN les partis turcs d’opposition que les observateurs internationaux ont commis une erreur d’évaluation parce qu’ils ont omis un paramètre essentiel de ces élections : la capacité d’Erdogan de bourrer les urnes, d’intimider les foules, d’augmenter le nombre de ses fidèles par de fallacieuses promesses. Nul ne doute qu’il dispose d’un soutien populaire puissant et que, au terme d’une consultation honnête, il aurait de toute façon triomphé. Mais, dans le ciel lumineux d’un pouvoir incontesté, il n’y a pas de place pour le moindre nuage. Il aurait pu, pour donner le change, s’offrir le luxe d’un second tour. Il a préféré faire la démonstration de sa toute-puissance et en finir dès le premier tour. Et tant pis pour les commentaires acerbes des Européens, dont, après tout, il n’attend plus rien. Bienvenue au club des dictateurs. Vladimir Poutine l’a félicité chaleureusement pour sa victoire. Dans la sphère croissante des dirigeants autoritaires, sa présence augmentera la sentiment que la bonne façon de gouverner, c’est la force et la répression. On ne s’inquiète pas davantage pour la majorité qui sortira des élections législatives.

La fin du kémalisme.

La Turquie met ainsi un terme au kémalisme dont Erdogan a prétendu s’inspirer pendant la campagne électorale alors qu’il en représente le courant politique diamétralement opposé. Il n’est ni républicain ni laïc, il cherche à reconstituer à Ankara un pouvoir fort qui ne rend de comptes à personne et à islamiser son pays. Il y réussit fort bien, car en dépit des difficultés économiques et sociales qu’il commence à rencontrer, du défi que les Kurdes lui ont lancé, de la présence de partis d’opposition non négligeables, il savait que des élections peuvent être contrôlées et que son parti, l’AKP, accompagne un courant qui se renforce dans un grand nombre de pays d’Europe et d’ailleurs. En dehors de la dimension islamiste de l’AKP, il n’y a rien de ce qui se passe en Turquie qui ne soit  identifiable  au basculement populiste d’un nombre croissant de sociétés, pas seulement des démocraties fragiles comme la Hongrie ou la Pologne, mais d’autres naguère plus solides, comme l’Autriche ou l’Italie.

La dérive de ces États vers un régime autoritaire suppresseur des libertés est inquiétante pour tous ceux, en Europe, qui continuent à défendre le système des démocraties parlementaires. Le pire, avec Erdogan, c’est qu’il singe ces démocraties, qu’il feint d’en observer les règles, comme en témoignent les élections de dimanche, mais qu’il assure sa victoire avant le scrutin, par des procédés qui relèvent de la fraude pure et simple et de l’intoxication de l’opinion par de fausses informations. Ce qui ne veut pas dire qu’une bonne partie de l’électorat turc saisie par le culte de la personnalité, ne voie pas en Erdogan le sauveur de la patrie. On a eu un échantillon de ce nationalisme quand des Turcs installés en France ont démoli un kiosque à journaux qui affichait la « Une » du « Point » consacrée à la dérive du régime.

Erdogan dispose d’atouts essentiels pour ne pas subir les foudres de l’Europe. D’abord, la Turquie, qui occupe une position géopolitique irremplaçable entre l’Occident et l’Asie, est membre de l’Otan. Donald Trump se moque éperdument du régime politique turc et a plus de sympathie pour Erdogan et Poutine que pour les dirigeants de l’Union européenne. La Turquie ne demandera pas, dans un avenir proche, à quitter l’Organisation atlantique, laquelle ne lui demandera pas davantage de la quitter. Un accord entre Ankara et l’Union européenne permet, contre espèces sonnantes et trébuchantes, de « parquer » littéralement trois millions de réfugiés en Turquie,  ce qui évite pour le moment une nouvelle invasion d’immigrés. Ainsi Erdogan peut faire ce qu’il veut sans fournir la moindre explication aux gouvernements donneurs de leçons. C’est là que réside la plus triste des vérités : non seulement plusieurs membres de l’UE sont contaminés par le populisme ou le néo-fascisme, mais les plus rigoureux d’entre eux ne disposent d’aucun levier pour faire reculer l’autoritarisme.

RICHARD LISCIA

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