Sainte Simone

Simone Veil en 2005 à Auschwitz

La cérémonie, dimanche, de transfert au Panthéon de Simone et Antoine Veil, a été beaucoup plus qu’une consécration nationale. Ce fut un moment d’unité et de réaffirmation des principes républicains qui fondent la société française.

DANS UN ÉTÉ éblouissant, l’hommage rendu à Simone Veil a pris un air de fête. Il y a un an, sa mort nous consternait. Hier, nous poussions un soupir de joie, si j’ose dire, tant nous étions nombreux à ressentir, face aux menaces qui pèsent sur nos sociétés civiles, une sorte de soulagement. L’exemple donné par cette femme en tous points remarquable renforçait notre détermination à nous inspirer de ce qu’elle fut, une personne intègre, ferme, visionnaire, incroyablement digne et distinguée, une grande dame dont la politique n’a jamais pu ternir la moindre de ses qualités. A observer cette sorte de communion autour de la disparue, à entendre ce que disaient d’elle et de leur indispensable présence à la cérémonie des gens célèbres ou anonymes, je me disais qu’il y avait à ce moment une ferveur presque élégiaque inspirée, en quelque sorte, par cette cathédrale laïque qu’est le Panthéon. La béatification d’une juive par la patrie reconnaissante est un formidable pied-de-nez à l’obscurantisme.

Le triomphe de la victime.

Magistrate, ministre de la Santé, première présidente du Parlement européen, académicienne, Simone Veil aurait pu prétendre aux fonctions les plus élevées si seulement elle avait voulu passer les nécessaires compromis avec ceux dont la politique est le métier et sans lesquels la plus libre et démocratique des élections ne peut tourner à l’avantage de celui qui brigue la fonction suprême. Mais en refusant cet ultime combat non par pusillanimité mais par souci de rester elle-même, c’est-à-dire intacte, de demeurer la martyre juive qui comprend mieux que quiconque la souffrance des autres, elle a gagné l’affection de son pays. « Nous vous aimons, Madame », lui disait Jean d’Ormesson en la recevant à l’Académie française. Nous l’aimons en effet pour son parcours entre le pire et le meilleur, pour ce qu’elle a fait au nom des femmes et pour les femmes, pour sa contribution à l’intégration européenne, pour ce regard clair, direct et intimidant, pour cette invraisemblable discrétion, cette pudeur, cette simplicité qu’elle avait en évoquant l’horreur d’Auschwitz, ses deuils, ses chagrins et ses peines qui auraient pu l’anéantir mais dont elle est ressortie encore plus forte, encore plus décidée à parler vrai et à agir pour le pays et pour l’Europe. Le triomphe sur le nazisme, Simone Veil  l’incarne à elle seule.

À quoi sert la politique.

Je plains les misogynes, les populistes, les néo-fascistes, les conservateurs, les xénophobes, les antisémites, les racistes, les calculateurs, les ennemis de l’Europe, les anti-républicains, les extrémistes de tout poil qui, cherchant l’absolu, versent dans une haine inextinguible, alors que, à peine sortie de l’enfer nazi, Simone Veil a préconisé la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Elle ne pouvait rien changer à ce qui lui était arrivé, mais elle a tout fait pour que les crimes contre l’humanité ne se reproduisent plus en Europe, même si la guerre des Balkans a apporté un terrible démenti à ses espérances.  Son souci des autres, sa façon d’y croire tout de même en s’inscrivant dans l’action concrète, l’usage magnifique qu’elle a fait de sa renommée naissante, puis internationale, et même son comportement parfois autoritaire furent ses atouts. Aujourd’hui, la France se cherche, l’Europe est en crise, le Royaume-Uni abandonne l’Europe, l’Amérique tombe dans l’affreuse ornière du cynisme et du mensonge. De grands pays ont sombré ou sombrent dans la dictature. Si nous cherchons un rayon dans cette accumulation de nuages, c’est à Simone Veil que nous devons penser. Parce qu’elle était au-dessus des partis, des clans et des camps.  Parce que, comme de Gaulle,  Mendès-France ou Jacques Delors, elle a compris que la politique n’a de signification et d’utilité que si elle est mise au service des gouvernés, et non des gouvernants.

Faire bien, faire mieux, n’accepter aucune entorse à la rectitude et à l’honnêteté intellectuelle, admettre le progressisme comme seul vecteur de l’action politique, et aussi réformer une société enlisée dans ses habitudes, dans ses craintes, dans ses aversions. Emmanuel Macron, qui avait déjà organisé des funérailles exceptionnelles pour Simone Veil l’an dernier, sans doute parce qu’il retrouve en elle sa propre philosophie, a voulu faire de sa panthéonisation un moment pour tous ses concitoyens. Ceux qui n’ont pas partagé cette célébration d’une femme unique qui nous a donné à tous une surprenante leçon de politique, doivent être bien malheureux.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à Sainte Simone

  1. ostré dit :

    Oui pour tout sur Simone.
    Mais pour Emmanuel Macron qui rencontre le président de Mauritanie.
    A- t-il vraiment la même philosophie ?

    Réponse
    Quel rapport ?
    R.L.

    • ostré dit :

      Le président de la Mauritanie est raciste, sexiste, homophobe.
      Le rencontrer va contre toutes les valeurs de Simone Veil.
      Des pétitions ont d’ailleurs été faites sur ce sujet mais les intérêts économiques passent avant tout pour un ex banquier…
      Réponse
      Non, ce sont des intérêts sécuritaires et, si je vous suis bien, il n’est plus question de parler à beaucoup de présidents. Je persiste : aucun rapport.
      R.L.

      • ostré dit :

        Au nom de la sécurité (pas pour les journalistes en Mauritanie) perte des valeurs des libertés etc…je persiste
        Réponse
        Bon, on peut s’arrêter là ?
        R.L.

  2. Chretien dit :

    Je partage tout à fait votre brillante célébration, celle de ses fils et celle de Macron et ceci en mémoire de mon père, médecin de campagne qui a sauvé plusieurs Français de la déportation et en particulier son confrère juif que les nazis s’apprétaient à déporter.
    Merci à vous.
    Réponse
    Votre témoignage est très émouvant.
    R.L.

  3. bnfm dit :

    C ‘était magnifique, cette célébration.

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