L’enfer du Brexit

May (à droite) avec les Trump
(Photo AFP)

La position de la Première ministre britannique, Theresa May, devient intenable. Deux de ses ministres, et pas des moindres, Boris Johnson (Affaires étrangères) et David Davis (Brexit) ont démissionné. Ils estiment que le « Livre blanc » qu’elle a publié et qui contient toute sa méthode, fondée sur le principe d’un Brexit « doux », ne correspond pas aux engagements gouvernementaux tels qu’ils ont été prescrits par le référendum de 2016.

MME MAY, lorsqu’elle a pris la la succession de David Cameron, a été placée dans un dilemme qui continue à la torturer jusqu’à présent : elle n’était pas favorable au Brexit mais, nommée à ses nouvelles fonctions, elle ne pouvait faire autrement qu’appliquer la décision du peuple britannique. Dès qu’elle s’est plongée dans le dossier, elle en a vu tous les écueils et s’est donc orientée vers un vaste accord de libre-échange avec l’Union européenne pour préserver les positions commerciales du Royaume-Uni. Cependant, elle refuse la libre circulation des personnes, règle d’or européenne, et souhaite conserver ses services financiers. Tout le monde s’est employé alors à démontrer la faiblesse de ses propositions : les ministres démissionnaires parce qu’ils exigent la rupture complète des amarres avec l’Europe, la commission de Bruxelles parce qu’elle ne veut pas que les Britanniques aient le beurre et l’argent du beurre,  les Irlandais du nord qui craignent la fermeture de la frontière avec la république irlandaise, ce qui serait une catastrophe commerciale, susceptible de relancer la guerre civile qui a ravagé l’Ulster pendant des décennies, les Écossais qui, eux, ne veulent pas du Brexit et qui, s’ils veulent y rester, doivent déclarer leur indépendance et faire exploser l’unité du royaume.

Un gouvernement divisé.

Or Mme May dirige un gouvernement divisé entre brexiters et anti-brexiters. Sa majorité à la chambre des communes ne tient qu’à une coalition avec un petit parti très à droite qui ne demande qu’à jouer les empêcheurs de tourner en rond. Les Tories risquent bel et bien d’être battus si Theresa May annonce des élections anticipées. Dirigés par l’impénétrable Jeremy Corbyn, qui n’est pas à proprement parler favorable au maintien du royaume dans l’Union, les travaillistes, pour leur part, n’ont pas une idée claire de ce qu’ils feraient au pouvoir. Récemment, une énorme manifestation anti-Brexit a eu lieu à Londres. D’aucuns se demandent s’il n’est pas possible de procéder à un nouveau référendum. Mais Mme May, par honnêteté et respect du suffrage universel, refuse cette option.

La voilà donc qui est menacée par le démantèlement de la Grande-Bretagne, par une nouvelle crise irlandaise, par la certitude que son plan, de toute façon, mécontentera la moitié de son peuple, par une chute de la livre, par un ralentissement sérieux de la croissance, alors même que le Brexit n’est pas encore en place, et par les déclarations de Donald Trump, qui est arrivé à Londres aujourd’hui et dont le premier propos a consisté à assassiner le plan de la Première ministre. Or la démission de Davis et de Johnson montre que le plan de Mme May est le maximum que les Britanniques puissent faire pour éviter les conséquences les plus néfastes du Brexit. Tandis que les anti-brexiters ne cessent de crier que le pays va dans la gueule du loup, Boris Johnson continue à dire que la sortie de l’Europe conduira le pays au paradis. Pur mensonge, bien sûr, mais son objectif n’est pas idéologique ou économique : il s’agit pour lui de prendre la place de Mme May.

Le malheur britannique.

Toutes les solutions à la crise invraisemblable que les Britanniques se sont infligée à eux-mêmes sont du type cataclysmique : si Mme May se ravise et décide de ne pas sortir de l’Union, il s’en suivra une crise politique capable de déboucher sur l’effondrement institutionnel du pays ; si elle fait trop de concessions, par exemple sur la circulation des personnes, elle devra démissionner et l’accord conclu avec Bruxelles sera dénoncé par ses successeurs ; si elle durcit ses positions, il n’y aura pas d’accord, incertitude presque mortelle pour l’économie britannique ; si elle peut garder l’espoir de préserver son économie en faisant du Royaume-Uni une zone de liberté commerciale et financière absolue, un peu comme Singapour, c’est l’Europe qui paiera les pots cassés. Car nous n’avons aucune raison de nous réjouir du malheur britannique, et j’emploie ce mot à dessein. La perte de la Grande-Bretagne sera, pour l’Union, une très mauvaise nouvelle. Comment le grand peuple britannique a-t-il pu se lancer dans une telle mésaventure et nous y entraîner restera à mes yeux un mystère.  Qui pose le problème de la compétence de l’électeur. Le dossier anglais est d’une complexité inouïe à laquelle la plupart des gens ne comprennent rien. La question, en effet, portait sur le sort d’un pays associé à l’Europe par une multitude de liens tissés pendant 45 ans. Des liens si touffus et enchevêtrés qu’il est peut-être impossible de les rompre. Les Britanniques pouvaient-ils vraiment voter en connaissance de cause ?

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à L’enfer du Brexit

  1. Michel de Guibert dit :

    Qui en effet peut vraiment voter en connaissance de cause ?
    Vous n’avez pas tort de poser le problème de la compétence de l’électeur…
    Vaste sujet !

  2. mathieu dit :

    Un grand Britannique, en son temps, n’avait-il pas déclaré (j’inverse à dessein l’ordre de sa phrase): « je n’en connais pas de meilleur…mais la démocratie est le pire des régimes! ». C’est le cas quand un électeur dit non sans trop savoir pourquoi, pour crier son insatisfaction ou son désarroi, sans vraiment lire jusqu’au bout la question qui lui est posée ! Populistes du monde entier, unissez-vous, vous avez le droit de casser vos jouets, comme des enfants gâtés…mais il n’est pas sûr qu’on vous les remplace !

  3. Scalex dit :

    Heureusement pour nous, nos électeurs ont voté contre Le Pen et contre Mélenchon. Mais savoir voter « pour », c’est bien aussi.

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