Sur la robe de Cécile Duflot

 

Cécile Duflot à l’Assemblée (AFP)

Mardi dernier, à l’Assemblée, Cécile Duflot, ministre du Logement, est venue prononcer un discours. Habituée des jeans, elle portait, pour la première fois peut-être dans l’hémicycle, une robe à fleurs mauve et blanc, qui lui a valu divers sifflements et grognements de fausse admiration du côté des députés mâles, probablement ceux de droite plutôt que ceux de gauche. Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, a dit tout le mal qu’il pensait du machisme.

LE SUJET mérite-t-il le moindre commentaire ? Oui, dans la mesure où ce bref incident de séance, largement rapporté dans la presse et sur Internet, montre que ce qui manque le plus à l’immense effort national pour normaliser le rôle des femmes en politique ou en entreprise, c’est la sérénité masculine face à toutes les manifestations de la féminité, fussent-elles aussi modestes que le port d’une robe. On ne dira même pas que Mme Duflot, grande porteuse de pantalons, est embarrassée par un faux dilemme vestimentaire et qu’elle a cru bien faire, mardi à l’Assemblée, en s’habillant en femme. Il est grand temps, en effet, que les hommes commencent à avoir sur les professionnelles un regard neutre. C’est difficile, puisqu’il faut bien conserver la distinction marquée qui existe entre les deux sexes et qu’aucun homme normalement constitué ne peut échapper au charme ou à la beauté des femmes. Mais rien ne l’empêche de garder ses sentiments pour lui.

Pauvre parité.

L’incident s’est produit quelques semaines après la formation d’un gouvernement de gauche qui respecte, au chiffre près, la parité hommes-femmes. Accorder aux dames l’égalité en toute circonstance, cela revient à respecter leur look, c’est-à-dire à ne les combattre ou à ne les approuver que pour le contenu de leurs idées.  Les sifflets qui ont salué la robe à fleurs de Cécile Duflot indiquent que, dans la tête des siffleurs, elle est une femme et seulement une femme, pas une ministre ou la dirigeante d’un parti politique. Ce préjugé, apparemment indéracinable, fausse le jeu politique et fait de la parité un exercice presque inutile. C’est inacceptable.

On trouvera d’ailleurs toutes sortes d’arguments dans la bouche des hommes qui ne se résignent pas à considérer les femmes comme leurs égales. Il n’est pas compliqué de retrouver l’anthologie des propos masculins qui, en France et ailleurs, stigmatisent la féminité, par exemple le « qui va garder les enfants ? » de Laurent Fabius à propos de Ségolène Royal ou la déclaration de l’ancien président de Harvard, Lawrence Summers,  pourtant considéré comme intelligent, qui a cru bon de dire un jour que le cerveau des femmes n’avait pas une capacité de comprendre les sciences comparable à celle des hommes. Peu importe que des prix Nobel aient été conquis par des femmes dans diverses disciplines, de la médecine à la littérature. Un peu comme le racisme, dont la ténacité est si forte qu’on la croirait atavique ou biologique, le machisme semble encore indestructible.

De sorte que, pour une femme, l’exercice d’une profession ou d’un mandat électoral est nécessairement plus malaisé que pour un homme. On attribuera ses erreurs, ou son lyrisme, ou ses excentricités, à sa féminité. Souvenez-vous : quand les femmes ont commencé à occuper des positions de chef de gouvernement ou de chef d’État, on a pensé et dit qu’elles apporteraient au monde la douceur des mères et qu’elles contribueraient donc à la disparition de la violence. Erreur monumentale si l’on juge par les exemples que nous ont fournis Golda Meir, Margaret Thatcher et Indira Gandhi. On peut juger leur bilan comme on veut, on ne saurait nier qu’elles ne transigeaient pas sur les intérêts de leur pays. On a même dit de Mme Meir qu’elle était le seul homme d’Israël, propos éminemment machiste, car elle ne s’est guère inspirée de l’exemple masculin pour gouverner. Croire qu’une femme dure en politique ou en affaires est une sorte d’homme, c’est se tromper lourdement au sujet de deux sexes.

On peut craindre qu’existe, chez encore beaucoup d’hommes qui n’ont pas renoncé au machisme, un sentiment plutôt ignoble qui ne serait rien d’autre que la haine des femmes, la haine de ce qu’elles deviennent sous l’effet de la modernisation et le regret de ce qu’elles ne sont plus, c’est-à-dire une moitié de l’humanité dominée par l’autre moitié, la haine d’une inexorable émancipation. Chère Mme Duflot, habillez-vous comme vous l’entendez et ignorez  « ces serpents qui sifflent sur nos têtes ».

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Sur la robe de Cécile Duflot

  1. Gérard dit :

    Je pense comme vous que le sifflement de certains était stupide mais de là à parler de » haine » des femmes ,je trouve votre commentaire un peu extrémiste!

  2. alfredo sorrentino dit :

    il faudrait remplacer tous ces vieux cariatides que ne font riens d’autre que du nombrilisme monotone sans couleur et sans issue………..VIVA Cecile ouvrez le portes à la jeunesse qu’apportent des nouvelles idées plus adapté au futur . ps: à quand la retraite pour ces voraces sans dents mais avec du venin dans leur salive ?????

  3. J’apprécie beaucoup vos analyses qui, depuis des années, ont éduqué mon sens politique, quand presque tous les journalistes sont des tendeurs de micro, confondant vérité et témoignages choisis, versant de l’essence, craquant des allumettes, puis osant crier « C’est terrible, il y a le feu »… et la flambée des racismes, et l’extrême droite au deuxième tour.
    Je me permets très respectueusement trois remarques :

    1) Vous portez le « diagnostic » d’un refus d’égalité hommes-femmes à propos de la robe de Cécile Duflot. Un préalable pour porter scientifiquement ce diagnostic serait de voir la réaction de l’Assemblée devant un Ministre homme, en smoking blanc et nœud papillon, par exemple. A défaut de pouvoir réaliser ce test, on doit imaginer cette réaction. SI on imagine que Monsieur le Ministre provoquerait aussi des réactions, l’égalité hommes-femmes est peut être sauve. Peut-être, car même dans ce cas, on peut présumer que certains sifflements étaient malsains. Pas tous.

    2) La vraie parité nécessaire au pouvoir n’est pas la parité homme-femme. Mais cette vraie parité est l’outil pour conduire à une parité homme-femme spontanée et non décrétée par une discrimination positive, dont les femmes n’ont pas besoin pour être égales des hommes.
    La vraie parité nécessaire au pouvoir, c’est permettre l’accès au pouvoir d’individus qui ne sont pas prêts à exposer, à sacrifier « tout », dont leur famille, mais aussi parfois (souvent?) leurs convictions pour arriver au pouvoir. D’hommes et de femmes qui refusent ce qu’implique l’accès au pouvoir et les compromissions qu’implique le mode de scrutin actuel. Ce sont les règles de l’accès au pouvoir et de l’exercice du pouvoir qui éloigne de la décision la majorité de nos concitoyens. Et bien peu de femmes parvenues au pouvoir font partie de cette majorité.

    3) Si des hommes et des femmes qui vivent les pieds sur terre, dans la réalité de notre société, avaient « du » pouvoir, ou si les journalistes vrais étaient plus nombreux, nous discuterions déjà dans de la mise en place de préalables à l’égalité hommes-femmes. Au travail, par exemple,
    tous les politiques clament sans rougir qu’ils veulent l’égalité homme-femme. Pourtant le préalable évident serait qu’employer une femme ne revienne pas plus cher qu’employer un homme. Sinon, préférer employer des hommes n’est pas forcément du pur machisme. Prétendre vouloir la parité hommes-femmes au travail, sans faire prendre en charge par la collectivité tout surcoût éventuel lié à l’emploi d’une femme plutôt que d’un homme, n’est qu’une posture, une imposture.
    Merci de bien voir que ce propos est hautement féministe : je dis que l’absence de surcoût est une condition nécessaire, pas qu’elle est suffisante. Je dis qu’il est anormal que les facilités accordées pour faire des enfants, s’occuper des enfants malades (ce qui incombe plus souvent à la mère qu’au père : l’employeur n’est pas macho de le penser, ce sont les pères qui sont machos de trouver ça tout naturel, d’estimer leur travail plus important que celui de leur conjointe !) coûtent de l’argent aux entreprises, quand elles relèvent de la solidarité nationale. Mais aucun homme de pouvoir, fut-il une femme, ne fera une telle analyse aux conséquences anti-démagogiques. Les femmes de pouvoir ne sont vraiment pas si différentes des hommes.

    Eugène Neutrino

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