Monde musulman : une crise fabriquée

John Christopher Stevens

John Christopher Stevens
(photo AFP)

La diffusion, sur YouTube, des extraits d’un film américain, intitulé « L’Innocence des musulmans », qui insulte l’islam, a provoqué l’embrasement du monde islamique où les émeutes se multiplient du Maroc au Pakistan. À Benghazi, l’ambassadeur des États-Unis et trois de ses collaborateurs ont été tués il y a une semaine après l’assaut donné par des salafistes contre le consulat américain, qui a été incendié. Ce vendredi, de nouvelles émeutes pourraient se produire, notamment en Égypte et en Tunisie.

ON A VITE prétendu que le film avait été produit par un Israélo-Américain du nom de Sam Bacile. Une enquête publiée par « le Monde » aujourd’hui montre que cette oeuvre maléfique a été financée par une coalition de Coptes et d’évangélistes chrétiens américains. Il s’agit d’une provocation grossière, dénoncée notamment par nombre des acteurs figurant dans le film, dont les propos ont été falsifiés et qui semblent avoir ignoré sincèrement l’objectif de l’entreprise. Ce dont on peut être sûr, c’est que, quels que soient les commanditaires du film, il fait le jeu de tous les groupes violents et intolérants du monde arabo-musulman. La plupart des émeutiers n’ont pas vu la video ; il leur a suffi d’en entendre parler pour descendre dans la rue et incendier des immeubles ou des voitures.

Un désastre pour la diplomatie américaine.

Pour les États-Unis, cette crise imprévue est désastreuse, non seulement parce que quatre de ses diplomates ont perdu la vie dans cette affaire, mais parce que l’opinion musulmane, exaspérée, n’entendra guère leurs protestations de bonne foi. Depuis la semaine dernière, on a vu à l’oeuvre la pasteur évangéliste qui a brûlé le Coran et rejette de nouveau les objurgations du chef d’État-major des armées, le général Dempsey, qui lui demande de ne pas mettre en danger par ses propos la vie des militaires de son pays stationnés à l’étranger. Le principal bénéficiaire de cette initiative absurde, c’est Al-Qaïda, qui veut récupérer à son profit la déstabilisation politique qu’a entraînée le printemps arabe.

Le gouvernement américain peut craindre de nouveaux attentats contre ses installations, alors qu’il remporte chaque de nouveaux succès contre les groupes terroristes basés notamment au Pakistan et plus encore au Yémen, où la population accepte maintenant les interventions de l’armée américaine. Al-Qaïda n’a certes pas disparu. Sa présence au Mali ou dans la Péninsule arabique, ses actions en Irak contre le pouvoir chiite montrent qu’elle est encore très menaçante. Elle n’en a pas moins subi de lourds revers, d’autant que les populations locales, dans les pays où elle sévit encore, se retournent maintenant contre l’organisation terroriste.

Ce qui n’empêche pas les islamistes d’avoir conquis un terrain important dans les sociétés libyenne, égyptienne et tunisienne. On note que les pouvoirs en place, bien qu’ils contiennent des éléments intégristes, s’efforcent de maîtriser la situation. Le gouvernement provisoire libyen a adressé ses excuses aux États-Unis et arrêté quatre suspects. La tuerie de Benghazi exprime en effet le comble de l’injustice, les dirigeants de Libye étant parfaitement conscients du rôle joué par l’Amérique dans l’élimination de la dictature kadhafiste, de l’aide militaire et économique des Américains pour la remise sur pied de leur pays, et de la personnalité de l’ambassadeur assassiné, John Christopher Stevens, dont la sympathie pour le peuple libyen était connue dans le pays en général et à Benghazi en particulier. De son côté, le président égyptien, Mohamed Morsi est partagé entre son appartenance aux Frères musulmans et la nécessité de contenir une vague de colère capable de donner aux salafistes le combustible de la violence qui affaiblirait la société fragile mise en place par les élections. Il en va de même pour la Tunisie, où le président Marzouki tente de minimiser l’agitation salafiste. Il n’avait pas besoin d’une provocation conçue aux États-Unis après les graves incidents provoqués par une minorité de fanatiques qui se sont livrés à diverses exactions, notamment l’agression à Bizerte contre un élu français d’origine tunisienne qui a fait scandale l’été dernier en France.

Les excités de tous les pays trouvent dans la provocation et la violence de quoi unir leurs efforts pour que la prédiction d’une « guerre de civilisations » trouve sa confirmation. Il est difficile pour un pays libre d’empêcher des gens de fabriquer un film écoeurant et pervers. Il est tout aussi difficile pour des pays qui viennent d’abattre leur dictatures de juguler des activistes dont l’influence est renforcée par des élections libres. On ne mettra un terme à cette dérive que lorsque les peuples arabes admettront qu’ils n’ont rien à gagner en élisant des extrémistes.

RICHARD LISCIA 

 

 

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Une réponse à Monde musulman : une crise fabriquée

  1. Abdoullah dit :

    On ne mettra un terme à cette dérive que lorsque les peuples arabes admettront qu’ils n’ont rien à gagner en élisant des extrémistes.
    Peut-être la dérive est quand certains veulent que les peuples élisent des « modérés » alors que toute la population veut désormais revenir à ses fondamentaux, longtemps bafoués par les dictateurs (dits « modérés ») qui leurs ont été imposés par des « démocraties ».

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