Le triomphe de l’ignominie

Mohamed Merah
(Photo AFP)

La soeur de Mohamed Merah, Souad, se déclare « fière » de son frère qui, selon elle, a « combattu jusqu’au bout » et « sauté le pas ». « Les juifs, a-t-elle ajouté, tous ceux qui massacrent les musulmans, je les déteste ». Une enquête préliminaire pour « apologie du terrorisme » a été ouverte lundi par le parquet de Paris. On a du mal à se convaincre que cette réaction de la justice suffira à mettre un terme à la vague d’antisémitisme que la tuerie à l’école juive de Toulouse a déclenchée.

SI ON ÉTAIT tenté d’argumenter, on s’empresserait de souligner, pour toutes les femmes portant un voile intégral en France, que Souad Merah, qui tient un langage de haine et de violence sans la moindre réserve, s’habille aussi de cette façon et qu’elles devraient se hâter de ne pas lui ressembler. On rappellerait en outre à Souad qu’il n’y a pas de plus grands tueurs de musulmans que les musulmans eux-mêmes, comme en témoignent les massacres de Syrie, qui ont fait 40 000 morts à ce jour, score monstrueux qu’Israël, en 64 ans de conflits avec le monde arabe, n’a jamais approché alors que, dans la plupart des cas, il s’agissait de guerres qui faisaient des victimes dans les deux camps. En réalité, si Souad tenait compte des conséquences du printemps arabe, de l’effroyable guerre qui a opposé l’Iran à l’Irak dans les années quatre-vingt, et des quatorze siècles pendant lesquels les Chiites ont combattu les Sunnites et vice versa, elle serait presque contrainte de haïr les siens. C’est ainsi : quand on commet un non-sens, on en paie les conséquences sur le plan dialectique. On croit défendre une vérité, on se situe dans le mensonge absolu.

Antisémitisme et réseaux sociaux.

Mais, après tout, Souad tente désespérément de glorifier l’un de ses frères. Elle ne prononce pas des paroles pires que tous ceux qui, sur Internet ou ailleurs, considèrent Mohamed Merah comme un héros contemporain. Ils n’ont même pas l’excuse de faire partie de sa famille. Lutter contre ce flot intarissable d’une haine dépourvue de toute justification est pratiquement impossible dès lors que le raisonnement le plus controuvé est alimenté par les moyens modernes de la communication, les réseaux sociaux par exemple, dont tout le monde use et abuse. On peut traîner Souad en justice, on peut dissuader les colporteurs de diffamation de prendre des risques judiciaires, il est improbable qu’on les fera changer d’avis. Être apparenté à Mohamed Merah n’implique pas qu’on se range à ses côtés. L’un des frères de Mohamed, Abdelkader, est soupçonné d’avoir inspiré les massacres commis par Mohamed, l’autre, Abdelghani, publie aujourd’hui un livre où il affirme qu’il est menacé par sa famille, qu’il désapprouve totalement les activités de Mohamed et d’Abdelkader, et qu’il ne « partage avec sa famille que le nom. »

La dérive meurtrière de Mohamed Merah a donc produit le pire : l’apologie du crime. On ne débarrassera la société française de ce cancer que par un effort didactique sans précédent. Il est déjà utile, indispensable, que le Conseil français du culte musulman se soit élevé avec force contre les propos de Souad et les ait condamnés. Il est nécessaire qu’aucune victime de Merah, les trois militaires musulmans qu’il a assassinés, l’enseignant et les enfants de l’école juive de Toulouse, ne soient jamais considérés comme des « tueurs de musulmans » à part l’ignare Souad et ceux qui tiennent le même discours qu’elle dans leurs tweets ou dans leurs courriels. Nous assistons à un renversement des valeurs qui, pour n’être porté que par une minorité infime et dévoyée, n’en est pas moins alarmant. C’est moins leur bêtise qui nous accable que la tranquillité, souvent l’arrogance, avec lesquelles ils affichent leur enthousiasme pour la mort, dans une société qui fait du maintien de la vie à tout prix, de sa préservation, l’objectif prioritaire.

Inlassable combattant de la paix, Marek Halter a emmené à Jérusalem des imams français, dont Hassen Chalghoumi, l’homme qui, à Drancy, subit constamment des sévices commis  par des salafistes ou par des intégristes sous le prétexte qu’il milite en faveur d’un rapprochement judéo-musulman.  L’initiative de M. Halter et le courage des imams, qui ont ravivé la flamme du souvenir à Yad Vashem, sont extraordinaires. C’est le choc du meilleur et du pire, de la violence et de la sérénité, du crime et de l’amour des autres. On ne sait plus s’il faut s’indigner des propos de Souad ou s’enthousiasmer pour les imams pacifistes. On fait donc les deux.

RICHARD LISCIA

 


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2 réponses à Le triomphe de l’ignominie

  1. Levadoux dit :

    Merci pour la clarté de votre article

  2. Alain dit :

    Bravo pour votre article
    Dommage que les médias habituels et notamment les radios et les grands quotidiens ne publient pas votre analyse…

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