Les fossoyeurs de la démocratie


Supprimer la présomption d’innocence ?
(Photo AFP)

Les partisans d’une solution radicale, c’est-à-dire inapplicable, sont prêts à proposer des chamboulements politiques dont le pays en crise a autant besoin que d’un poison. Cette observation ne minimise pas la gravité du cas Jérôme Cahuzac ; elle n’exonère pas le pouvoir des changements rapides et profonds qu’il doit apporter à sa gouvernance. Elle vise seulement à mettre en garde contre des modifications institutionnelles qui, à coup sûr, causeront de nouveaux dommages au pays.

L’IDÉE MÊME que les partis de gouvernement sont un cloaque et que les partis extrémistes, n’ayant pas gouverné, sont parés de toutes les vertus, est simplificatrice. La preuve en est que les socialistes, écartés du pouvoir pendant dix ans et qui se sont fait élire sur le thème de la République exemplaire, sont aujourd’hui dans la nasse du scandale. On peut être sidéré par les agissements de M. Cahuzac ou des élus qui ont été impliqués dans diverses affaires, on ne peut pas ignorer que la politique, et pas seulement le pouvoir, corrompt énormément. Le pire est de réagir au nom de la colère. De proposer des remèdes de cheval sous l’empire de la fureur. De croire que la totalité des élus seraient corrompus, ce qu’ils ne sont pas à 99%. Et de vouloir se présenter, un peu comme M. Mélenchon, comme l’homme qui serait providentiel parce qu’il est pur.

Ce qu’il faut, c’est du sang-froid.

Sûr et certain, notre démocratie a besoin d’être rafraîchie. Pour s’améliorer, elle va de toute façon entrer dans une ère de contrôles stricts et compliqués loin de l’époque où tout se faisait sur la base de la bonne foi. Mais la France, déstabilisée par une crise économique et sociale sans précédent, peut-elle se permettre, au milieu de gué, de procéder à un changement d’institutions et d’hommes, ou de prendre des décisions d’une telle ampleur qu’elles prendraient un temps très long dans une période où au contraire il faut aller très vite pour remédier au chômage et à la précarité ?

Marine Le Pen demande la démission du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée. Pour M. Hollande, les deux démarches seraient l’aveu même de son désarroi. Il ne s’y risquera pas pour ne pas affaiblir encore le pays. Certes, la position de Jean-Marc Ayrault est plus fragile que jamais, certes le rôle de Pierre Moscovici dans l’affaire Cahuzac doit être éclairci, certes on se pose des questions sur les protections dont M. Cahuzac aurait bénéficié. La tentation est grande, pour tous ceux qui ne pensent pas au-delà de leurs pulsions, de guérir l’abcès en effaçant le pouvoir. On aura noté pourtant que la droite et le centre, très critiques, n’envisagent pas un instant de revenir aux affaires. Jean-Pierre Raffarin estime même que l’UMP n’est pas prête parce qu’elle est en pleine réforme.

De l’usage du chaos.

Quant aux extrêmes, ils ne souhaitent que le chaos, sans trop savoir ce qu’ils en feraient. Quand on entend Eva Joly dire que la présomption d’innocence (principe que M. Hollande invoque pour justifier le fait qu’il a laissé M. Cahuzac à son poste) empêche la vérité judicaire de triompher, on imagine les aberrations à venir si le pouvoir est confié aux irresponsables qui préconisent la table rase. Mme Joly est juge. Elle a mené avec brio des enquêtes au cours desquelles elle ne s’est jamais laissé intimider par les hommes puissants qu’elle poursuivait. Cependant, elle n’a pas réussi à accrocher sur un mur de son salon la tête empaillée de Roland Dumas, ex-ministre, qui, en dépit de toutes les humiliations que lui a infligées la juge, a été relaxé. Alors, bien sûr, la présomption d’innocence la gêne. Peut-être croit-elle bon de condamner parfois des innocents ?

Ce n’est pas parce qu’il pleut à verse qu’il faut se jeter à l’eau. La meilleure parade contre la crise, contre les scandales, contre toutes les menaces qui pèsent sur le pays, c’est le sang-froid. Le président de la République est amené à prendre des dispositions susceptibles de garantir la moralité des élus, il peut changer de Premier ministre après les municipales, il ne saurait réagir à chaud, au moment où tout va mal, par une précipitation qui traduirait plus la panique que la détermination.

RICHARD LISCIA

 

 

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6 réponses à Les fossoyeurs de la démocratie

  1. Chambouleyron dit :

    Tout à fait d’accord avec vous. Mais il va falloir des actes. Les paroles lénifiantes ne sont hélas plus de saisons. Cette histoire Cahuzac est proprement époustouflante pour un citoyen lambda. Mais le monde politico-médiatico-show-biz devait bruisser depuis de longs mois de tous les chuchotements et SMS qui pullulent dans ces cas-là. Et c’est cela qui fait mal au cœur et aux tripes. Et la manière de se défausser de tous. « Le Monde » qui attend l’Aveu pour faire la part belle à des informations qu’il gardait sous le coude par exemple. Médiapart qui triomphe mais oublie ses casseroles et va en guerre contre les autres journalistes d’investigation. France-Inter qui nous parle des paradis fiscaux et invite les amis à pleurer sur les souffrances de M. Cahuzac. Les amalgames avec M. Tiberi, Eric Woerth , M. Sarkozy et ses abus de faiblesse (qui traînent mais là, on va voir ce qu’on va voir, ce sera réglé rapidement) d’autant plus faciles que toutes les mises en examen sont d’une opacité telle qu’il faut être de la partie pour en apprécier toutes les nuances.
    M. Cahuzac, c’est vraiment le vilain petit canard, le cas à part, mais personne ne veut le dire, semble-t-il. C’est l’aspect politique qui nous intéresse. Expliquez nous, M. Liscia comment on en est arrivé là.

  2. Dr Jérôme Lefrançois dit :

    Bravo, une fois encore, pour le bon sens et la sagesse de l’article de Richard Liscia.
    Mme Joly est le contre-exemple vivant de la notion de « responsable » politique.
    Probablement qu’elle n’aurait pas dénoté pendant l’administration stalinienne.
    Par ailleurs, pour l’instant, ce qui m’écoeure profondément, c’est la façon dont les amis politiques de M. Cahuzac le piétinent et le poussent au suicide, et je lis ce soir dans le Quotidien du médecin que des confrères s’y mettent !
    La France est en grand danger d’implosion, cessons de verser de l’huile sur le feu, et d’accabler un homme en cours de jugement, et qui a montré beaucoup plus de qualités que de défauts dans ses responsabilités ministérielles.

  3. dr.mezhoud dit :

    Les agissements supposés du Docteur Cahuzac ont été me semblent-ils sanctionnés comme il convient du côté du gouvernement. Le président a exigé qu’il parte et il est parti. La curée ou l’émotion en sa faveur ne doivent effectivement pas remettre en cause l’idée que la politique d’un état démocratique repose sur la cohérence et la rationalité. Le « tous pourris » est un réaction absurde car elle n’ouvre à rien et n’offre aucune perspective de solution alternative.

  4. Depoulpiquet dit :

    Démission, démission mais NON, il faut que Cahuzac revienne au parlement, il a été élu par le peuple et seul le peuple peut le destituer et puis, au Parlement, face à tous ces pignoufs qui le piétinent,c’est à voir. Du temps de Sarkozy, c’était la même chose, à la moindre incartade il fallait démissionner, c’est typiquement français. Et puis Cahuzac que lui reproche-ton ? Avoir fraudé le fisc (il y a 20 ans) ? Combien de consultations payées en liquide n’ont pas étés déclarées ? Combien de séjours dans les îles ont étés offert par des labos ? Je pense qu’il était un bon ministre, un très bon débateur, vous l’avez vu face à Mélenchon ? Revient Cahuzac ils vont en être malades Et le problème aujourd’hui, c’est l’emploi et la dette bien sûr, mais attention à ne pas se faire prendre.

    • Jérôme Cahuzac a droit au respect dû à tout être humain.
      Mais sa position nécessitait une attitude irréprochable de probité.
      Or il a fraudé le fisc alors qu’il se présentait comme l’ange blanc anti-fraude fiscale.
      De plus, il a menti à tout-e-s les député-e-s; de surcroît à la télévision, c’est à dire à tou-te-s les français-e-s, au peuple français.
      Il vient d’être exclu du PS, ce qui est la moindre des choses.
      Il a trahi le serment d’Hippocrate en flouant avec un incroyable aplomb d’autres humains, donc en les méprisant. S’il n’a pas fait d’erreurs médicales proprement dites, il a bafoué moralement la profession; l’Ordre des Médecins doit le sanctionner.
      Quant au Grand Orient de France, encore si misogyne, il ne sort pas grandi de l’affaire, c’est le moins que l’on puisse dire … Ah le copinage et les coups en-dessous, avec secret et omerta ! Le problème, désormais, c’est Internet.
      Pas mal, la transparence, non ? Et l’exemplarité, vous êtes contre?

  5. Letellier dit :

    La crise économique est tellement plus grave qu’elle nous emportera comme le torrent! J’apprécie depuis bien longtemps les commentaires mesurés de Richard Liscia. Nous n’avions vraiment pas besoin de cette crise morale. Nous devons nous concentrer sur la crise et ses remèdes. Mr Cahuzac subira la procédure pendant que notre pays subira la crise! J’entends que l’on ose prévoir une mini croissance? Est-ce encore possible? Tous les journalistes devraient se rassembler sur les remèdes plus que sur les médecins.

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