Maggie entre le bien et le mal

« Maggie » : le meilleur et le pire
(Photo AFP)

Morte hier à 87 ans, Margaret Thatcher, ancienne Premier ministre de Grande-Bretagne (1979-1990), a réformé l’économie de son pays dans un climat de violence et de douleur. On l’a portée aux nues pour son courage, on l’a discréditée pour son absence totale de compassion envers ses compatriotes. Elle n’en demeure pas moins un exemple pour tous les gouvernants d’aujourd’hui qui refusent de sacrifier leur popularité au salut de leur pays.

« MAGGIE » AURA ÉTÉ un chef de gouvernement idéologique. Fille d’un épicier qui lui enseignait le mérite de travailler dur pour réussir, elle a appliqué les préceptes de son père à la gestion du Royaume-Uni. Quand elle est entrée au 10, Downing Street, l’Angleterre était exsangue, accablée par les grèves, les dettes et le chômage. Personne ne peut nier qu’elle a remis son peuple au travail, qu’elle a coupé les branches mortes de l’industrie britannique, et qu’elle a ramené une certaine prospérité dans un pays que les travaillistes avaient excessivement socialisé. Elle s’est dressée contre les mineurs en grève avec une brutalité qu’on n’a cessé de lui reprocher depuis. Mais elle a montré que, pour lancer une réforme, il faut tenir bon, faire preuve d’intransigeance et ne pas renoncer, quoi qu’il en coûte. La France en a fait un épouvantail sur lequel se sont acharnés les humoristes et même les chanteurs. Mais si nous avions commencé à l’imiter, fût-ce partiellement, nous n’en serions peut-être pas aujourd’hui à douter de notre avenir.

La guerre des Malouines.

Le « thatchérisme » eût-il gagné à être un peu teinté d’humanisme ? C’est ce que disent la majorité des commentateurs. Ils savent néanmoins que la prudence et le respect des corporatismes produisent le plus souvent des réformes inachevées. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que, en France, pour ne pas faire, une fois pour toutes, une réforme des retraites, on en fait une petite tous les trois ans et que, chaque fois, elle donne lieu à des réactions de rejet. On ne niera pas toutefois que Mme Thatcher est allée trop loin, dans son combat contre l’indépendantisme irlandais, elle qui a laissé mourir, sans broncher, des grévistes de la faim de l’IRA.

Elle a aussi donné libre cours à son nationalisme dans le conflit avec l’Argentine au sujet des Malouines. On peut admettre qu’elle a cherché à renforcer sa popularité en allant, à l’autre bout du monde, vaincre les Argentins, et à en payer le prix en vies humaines dans les deux camps. Mais l’analyse selon laquelle une puissance coloniale pratiquait le politique de la canonnière contre un pays du tiers-monde était fallacieuse. La guerre des Malouines opposait une démocratie parlementaire à un régime dictatorial voué à l’échec et qui cherchait à distraire le peuple par une diversion militaire. Il n’y a que des Anglais aux Malouines et pour que les îles fissent l’objet d’une saine dispute, encore aurait-il fallu que des Argentins y vécussent. Même aujourd’hui, le gouvernement de Cristina Kirchner, qui vient de relancer l’éternelle revendication de Buenos-Ayres sur les Malouines, cherche surtout à ressouder un peuple frappé par une crise chronique qu’elle ne sait pas traiter.

Contre la construction européenne.

Maggie était hostile à l’Europe. Elle avait même fait de Jacques Delors, alors commissaire européen, sa tête de Turc, ce qui a de quoi choquer beaucoup d’entre nous qui admirons M. Delors. Mais elle exprimait ce cynisme constant des Britanniques qui, aujourd’hui encore, ne veulent voir dans la construction européenne que ce qui sert leurs intérêts nationaux. Mme Thatcher a aussi eu l’intuition que sa posture idéologique était synchrone avec la fin annoncée du totalitarisme soviétique. Elle a soutenu Ronald Reagan dans sa « guerre des étoiles », Moscou n’a pas pu suivre la course aux armements et l’URSS a implosé. Si on doit lui rendre un ultime hommage, c’est d’avoir contribué à la mise à mort d’un régime sanguinaire dont la disparition a quand même produit un monde un peu moins mauvais, qui a d’ailleurs élargi l’Union européenne. Nous retiendrons pour notre part une qualité que ne partagent aucun des dirigeants qui souhaitent être réélus : pour agir, il ne faut pas trop craindre d’être haï.  Mme Thatcher a remis en selle un peuple prostré en attirant sur elle toute la haine que ses remèdes de cheval lui infligeaient. Les dirigeants européens, y compris les nôtres, devraient s’en inspirer.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Maggie entre le bien et le mal

  1. letellier dit :

    Excellent ! Bobby Sand n’est peut-être pas d’accord…Il a des raisons posthumes! Rendons à Mme Thatcher ce qui est à Mme Thatcher : oui, un chef d’oeuvre de fermeté mais aussi de cruauté.

  2. BOURGUIGNON Nelly dit :

    Merci, Richard Liscia, pour cet article qui fait la part des choses, et nous montre que Margaret Thatcher n’est ni l’épouvantail ni la caricature que bien des journalistes décrivent.
    Et merci de suggérer à nos dirigeants de s’inspirer de votre conclusion : pour agir, il ne faut pas trop craindre d’être haï.

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