L’ordre règne à Moscou


Alexeï Navalny, ce matin
(Photo AFP)

L’opposant Alexeï Navalny a été condamné à Kirov (à quelque 900 km de Moscou) à cinq ans de camp de travail dans le cadre d’une sombre affaire de malversations montée de toutes pièces, selon M. Navalny, pour l’empêcher de se présenter aux prochaines élections municipales dans la capitale de la Russie.

PAR UN BRUSQUE retournement des choses, M. Navalny, qui, hier, avait été emmené menottes aux poings, et a fait appel du jugement en première instance, a été libéré ce matin par un juge de Kirov qui a reconnu que l’emprisonnement de l’opposant gâchait ses chances électorales par rapport aux autres candidats. Comme, en Russie, il n’y a de justice qu’en provenance du Kremlin, Vladimir Poutine a sans doute voulu calmer le jeu, même si l’opération est censée dégager la voie pour le maire sortant, Sergueï Sobianine. On peut mesurer ainsi le fait du prince, qui accumule de fausses preuves pour écarter un empêcheur de tourner en rond, mais ajoute un zeste de vérité pour ne pas compromettre sa popularité. Car la condamnation de Navalny a choqué beaucoup de Russes, les Américains et les Européens.

Pas nouveau.

Ils peuvent en effet se poser la question de l’état du droit en Russie, comme l’a fait hier Catherine Ashton, ministre des affaires étrangères de l’Union européenne. Comme si c’était nouveau : le cas le plus grave de déni de justice en Russie est celui de Mikhaïl Khodorkovsky, qui croupit en prison depuis des années et qui,  chaque fois qu’il a purgé sa peine, est de nouveau condamné à la faveur d’un nouveau procès.

Il y a mille raisons de s’indigner de l’état de la planète et on pourrait écrire des articles innombrables sur la cruauté des humains envers eux-mêmes. Le cas de Poutine est quand même particulièrement intolérable. Voilà un homme médiocre, arrogant, mégalomane, qui a mis au point un cycle institutionnel grâce auquel il est toujours président ou Premier ministre, qui n’a jamais lancé l’une de ces réformes dont les Russes ont tant besoin, qui commet chaque jour un abus de pouvoir, qui s’enrichit personnellement en confisquant une partie des revenus du pétrole à son profit ou à celui de ses amis, qui est bête au point de sa faire photographier torse nu, à cheval ou en moto pour montrer ses biceps à ses concitoyens, qui entretient, par l’argent et par les armes, un dictateur syrien en train d’exterminer son propre peuple, qui a fait des services secrets russes les arbitres de la politique intérieure et extérieure du pays, qui prétend que son « modèle de démocratie » est supérieur à tous les autres, qui, abreuvé de pétrole, n’a même pas cherché à diversifier l’industrie russe,  qui a littéralement volé les investisseurs étrangers, toujours en utilisant des parodies de justice, qui est probablement à l’origine de quelques assassinats de journalistes opposants, qui martyrise les Femen, qui a installé en Tchétchénie une dictature sanguinaire dont la seule politique est l’obéissance à Moscou et l’élimination massive d’islamistes indociles.

Une Russie décadente.

Cet homme-là a fait de la Russie une nation décadente, livrée à l’alcoolisme, dont l’avenir est obéré par une démographie désastreuse, et dont la soumission est assurée, avec la complicité de l’Église orthodoxe, par la bigoterie. Cet homme-là est celui de tous les simulacres, celui de la liberté d’une presse d’opposition acculée à la faillite, celui d’une prospérité qui disparaîtrait si le prix de pétrole venait à baisser, celui d’un ordre assuré par les nervis du FSB, le successeur du KGB, corps d’origine de Poutine, et qui, toujours munis de l’ordre d’un juge véreux et stipendié, écartent de la vie publique les hommes d’affaires honnêtes, les opposants qui affichent leurs convictions, les féministes, les intellectuels, les clairvoyants. Non, la Russie n’est pas mûre du tout pour une nouvelle révolution et les cris de colère que nous poussons n’ont pas d’écho au-delà de nos frontières. Poutine se moque des Russes, il se moque de nous, il se moque du droit, il se moque des libertés. Et il est là pour longtemps.

RICHARD LISCIA

 

 

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4 réponses à L’ordre règne à Moscou

  1. Enrique dit :

    Waoohhh ! Pas une ligne à rajouter ni à retrancher, Richard Liscia à tout dit, et en quels termes, en un seul et unique post. J’adhère !

  2. Vulcanix dit :

    Au risque d’être un peu provocateur, chez nous en France on a connu des affaires du même style
    – Un candidat déclaré à la dernière élection présidentielle piégé dans une sombre histoire de moeurs révélée par femme de chambre d’hôtel , suivi d’une procédure pour proxénétisme ( non lieu récent )
    – un ancien président mis en accusation pour un supposé abus de faiblesse au détriment d’une milliardaire.
    La France le dernier pays soviétique ? On peut légitiment se poser la question ?

  3. admin dit :

    On ne peut pas. Toutes ces affaires sont traitées par la justice, ce qui n’est pas le cas en Russie et, de plus, elles sont sans commune mesure avec les atrocités commises en Tchétchénie ou avec la confiscation d’une partie des revenus du pétrole par la mafia russe et par Poutine.

  4. A3ro* dit :

    « Il est la pour longtemps ». Cette phrase illustre parfaitement une vérité pas si évidente : les peuples ont généralement les leaders qu’ils méritent. Tant que les peuples se satisfont de leur sort sans voir les défauts de leurs dirigeants, tant qu’ils n’appuient pas les opposants ou qu’ils ne donnent pas leurs intentions de vote à d’autres, on ne peut pas les contraindre à changer de régime.
    Par contre, s’ils se soulèvent et sont réprimés par une minorité qui possède les armes, alors il est légitime de les aider (sans faire le travail à leur place), ne serait-ce que pour des considérations humanitaires. Wait and see…

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