Le stratagème de Poutine

M. Poutine a une idée
(Photo AFP)

Rien ne laissait prévoir l’initiative diplomatique de Vladimir Poutine. Elle consiste à proposer un contrôle international des armes chimiques de la Syrie en vue d’empêcher les frappes occidentales. Elle a eu un succès inespéré. Si François Hollande a pris son temps pour réagir, tous ceux qui n’avaient pas vraiment envie d’y aller y ont vu une occasion unique. Elle ne l’est pas, mais comment faire autrement que de la prendre en considération ?

IL AURAIT ÉTÉ absurde, inconvenant et dangereux de la repousser d’emblée, car les Occidentaux seraient passés pour d’indécrottables va-t-en-guerre. La proposition de M. Poutine ne résiste pourtant pas à l’analyse. Bachar Al-Assad s’est empressé de la trouver utile, mais il fera tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas se séparer des armes chimiques. Les experts interrogés par les médias reconnaissent que le rassemblement de ces armes et leur destruction prendrait une bonne dizaines d’années. À l’appui de l’idée du président russe, il y a cependant le fait que Bachar évitera, dans un proche avenir, de recourir une fois de plus à ces armes interdites. Encore que la monstruosité du régime ne soit plus à démontrer et que, s’il commence à perdre la guerre, il est parfaitement capable de s’en servir tout en feignant de les neutraliser.

Le soulagement des chancelleries.

La pusillanimité des Occidentaux, dans cette affaire, est indiscutable. Le crime du 21 août ne sera pas puni. Il y a plus de soulagement dans les chancelleries que de scepticisme. La marche vers les frappes, qui semblait inexorable, est renvoyée aux calendes grecques : le vote du Congrès américain est différé. L’ONU est satisfaite, qui, par la voix de Ban Ki-moon, réclamait une négociation alors que toutes les négociations avaient échoué, notamment à cause de M. Poutine. Il a su, à sa manière, les relancer et il l’a fait habilement, car il a attendu la fin du G20, un peu comme s’il ne cédait pas aux pressions américaines. On ne parle plus de réagir militairement, mais de reprendre les discussions. Pour le camp pro-syrien, il ne s’agira pas, toutefois, de parlementer au sujet du départ de Bachar et de la nouvelle Syrie, mais uniquement d’interdire concrètement toute attaque chimique. On est très loin d’un règlement politique de la crise.

Des frappes soutenues contre la Syrie auraient certes été très dangereuses, plus que celles qui ont fini par mettre un terme au régime de Slobodan Milosevic en Serbie. Elles auraient tué des civils syriens innocents ; elles se seraient sans doute traduites par des bombardements d’Israël ; elles auraient accru l’engagement de l’Iran et du Hezbollah dans les combats. Mais, même si elle avait lieu, la suppression des armes chimiques ne constitue en rien un progrès vers la stabilisation de la région. Israël reste menacé, l’Iran et le Hezbollah sont présents sur place et permettent à Bachar de rester au pouvoir. Pour le moment, il est le seul dictateur à résister au printemps arabe, bien qu’il soit le pire des potentats visés par la révolution.

Poutine fait tout ce qu’il veut.

En France et aux États-Unis, la réaction est à peu près identique. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, se montre le plus prudent, mais le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, comme Barack Obama, pense que c’est la pression diplomatique qui a conduit enfin M. Poutine à proposer une alternative. On note d’ailleurs que Bachar a accepté une mise en cause de sa souveraineté en faisant sienne la proposition russe. Preuve que M. Poutine peut faire tout ce qu’il veut et que, pour le moment, il donne plus de fil à retordre aux Français et aux Américains que Bachar lui-même.

On se satisfera de la baisse de la tension internationale : la guerre, en effet, est un moyen tragique inspiré par une situation particulièrement ignoble. Elle n’est jamais souhaitable. Néanmoins, la solution de M. Poutine, qui entraîne la diplomatie mondiale dans un labyrinthe de discussions interminables, n’est pas idéale, ne pose pas le problème de fond, renforce Bachar, tend à minimiser ses crimes, et ne le pousse pas vers la sortie. Cette année, il a pourtant largement gagné le droit de ne plus gouverner.

RICHARD LISCIA 

 

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3 réponses à Le stratagème de Poutine

  1. A3ro dit :

    Chronique très intéressante, qui résume bien la situation. Par contre, Bachar n’a jamais vraiment donné de « fil à retordre » aux Occidentaux, ce sont les Occidentaux qui se sont enferrés tout seuls en posant des « lignes rouges » qui ne demandaient qu’à être franchies, plutôt que d’intervenir tout de suite.

    Le seul vrai poil à gratter pour Obama et les Européens a toujours été Poutine. La question, c’est pourquoi? Pour garder une base en Méditerranée ? Parce qu’il est échaudé par l’exemple libyen, où je ne vois pas vraiment en quoi la Russie a été lésée ? Il aurait eu plus à gagner en jouant un rôle de médiateur, dans lequel il fait semblant de se convertir, plutôt que de soutenir aveuglément son encombrant alié.

  2. LECRU JEAN dit :

    Comme la majorité de la presse,vous avez choisi d’accuser M. Assad de tous les maux de cette guerre civile. De plus, il est soutenu par M. Poutine: d’où votre embarras devant cette bombe diplomatique que représente le retour de la Russie sur l’avant-scène mondiale.Votre alignement sur la doctrine droits de l’homme, multiculturalisme, angélisme et naïveté,très en vogue dans les beaux-quartiers parisiens,vous a amené a ce néocolonialisme des idées qui consiste à nous croire supérieurs à ces peuples qui sortent à peine du Moyen Âge. Il nous a fallu 150 ans pour établir notre démocratie, alors donnons-leur un peu de temps. Il n’en demeure pas moins que je lis toujours vos rubriques avec beaucoup d’intérêt.

  3. admin dit :

    J’habite en banlieue. Merci de me lire « avec intérêt » après m’avoir jugé naïf, néo-colonial, embarrassé, doctrinaire, angélique, supérieur. Je suis content d’apprendre que nous devons donner le temps à Assad de tuer tous ses concitoyens pour que se crée une démocratie syrienne dans 150 ans.

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