Mourir dans le désert

Ghislaine Dupont et Claude Verlon
(Photo AFP)

La France est sous le choc après l’assassinat de deux journalistes de Radio France Internationale (RFI) à quelques kilomètres de Kidal au Mali. Le double crime a été commis samedi et, depuis, les analyses ne manquent pas pour expliquer le retour en force des djihadistes, la nécessité, pour l’armée française, de retourner à Kidal, où règne un désordre anarchique et dangereux, la gravité de l’irrédentisme touareg et la prolongation probable de la mission française dans ce pays du Sahel qu’elle a libéré de l’emprise fondamentaliste. Pour le moment, chacun d’entre nous a du mal à surmonter l’émotion, la colère, la rage que soulève ce double assassinat perpétré par des barbares.

LA MORT de Ghislaine Dupont (57 ans) et de Claude Verlon (55 ans) a suivi de quelques minutes seulement leur enlèvement près de la maison d’un chef touareg qu’ils étaient allés interroger. On a retrouvé leurs dépouilles criblées de balles à une quinzaine de kilomètres de Kidal. Les deux victimes ont tenté de résister à leur enlèvement. Un sort plus funeste encore les attendait. Leurs assassins ne leur ont laissé aucune chance. Au moins les prises d’otages accordent-elles un espoir, celui de recouvrer la liberté au terme d’une longue épreuve de plusieurs mois ou plusieurs années.

Qualités professionnelles.

Les collègues de Mme Dupont et de M. Verlon ont tous souligné leurs qualités professionnelles. Elle était une spécialiste de l’Afrique, notamment du Congo qu’elle avait  « couvert » pendant dix ans. Ils essayaient, autant que possible, de préparer leurs reportages avec un soin minutieux,  et prenaient des précautions pour éviter d’être enlevés ou tués. Ils connaissaient les risques à Kidal, mais ils s’y rendaient en témoins neutres qui ne jugeaient personne et voulaient seulement apporter des éclaircissements  à une situation particulièrement confuse.

Ils étaient, ils sont l’honneur d’une profession qui, comme beaucoup d’autres, a reçu ces derniers temps sa part de critiques. Quel métier, policier, juge, médecin, élu, n’est pas aujourd’hui vilipendé ? Mais ces deux-là étaient irréprochables parce qu’ils avaient choisi de ne relater que les faits et que les certitudes, loin des plateaux parisiens où l’on disserte à longueur de soirée sur l’air du temps. Le journalisme est une activité qui est exercée avec passion, qui demande une combinaison de talents, notamment celui de l’écriture, et une somme de connaissances, car on ne peut pas poser les bonnes questions si on ne connaît pas le sujet dont on parle. C’est aussi un métier dont on peut mourir. Dans toutes ces guerres de l’après-guerre, des centaines, peut-être des milliers de journalistes ont été tués en service. Quand les internautes actuels se précipitent pour commenter une affaire, ils ignorent à quel point ils ont besoin de lire ce que publient les journalistes avant de se forger une opinion. On dira même qu’en ces temps de bobards, de jugements à l’emporte-pièce et de convictions sommaires, le retour à la lecture de la presse devient plus que jamais une nécessité.

Pourquoi ils y vont.

On vitupère les journalistes et, en même temps,  d’aucuns se demandent s’il est nécessaire de leur faire courir de tels risques pour le bien de l’information. Ce n’est pas de gaieté de coeur que leur hiérarchie les envoie couvrir des conflits. Mais elle a beaucoup de mal à les retenir : ils veulent y aller à tout prix. Ce ne sont pas, comme on n’a cessé de le répéter sur les ondes à propos de Mme Dupont et de M. Verlon, des « têtes brûlées ».  Comme d’autres, ils veulent contribuer à l’établissement de la vérité. Le projet d’un bon reportage leur donne un courage qui abolit leur instinct de conservation. Personne ne souhaite que certains des membres de la profession soient sacrifiés pour qu’elle obtienne enfin le respect qu’elle mérite. Mais c’est comme tout le reste : le public ne sait pas forcément ce qu’il faut parfois pour réaliser un sujet. Il faut être cultivé, créatif, courageux et, dans certains cas, y laisser sa vie.

RICHARD LISCIA

 

 

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Une réponse à Mourir dans le désert

  1. A3ro dit :

    Comme vous l’avez dit, le journalisme de terrain de qualité implique des risques. Statistiquement, ce risque se transformera toujours en quelques drames. On peut rendre hommage à ces professionnels.

    Ceci étant dit, le journalisme est critiqué parce que 1) pas mal de journaux et chaines TV sont sous pression et veulent faire de l’audience ou du tirage au détriment d’une analyse pertinente, et que 2) ces analyses pertinentes sont justement ce qui est nécessaire dans le journalisme. Votre chronique est d’autant plus agréable à lire qu’elle est à l’opposé de cette logique « je veux faire du clic à tout prix ». Presse en ligne, si tu nous entends…

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