L’homme qui a grièvement blessé un assistant photographe au siège de « Libération » a été arrêté mercredi soir dans un parking souterrain de Bois-Colombes (Hauts-de Seine). Il s’appelle Abdelhakim Dekhar. Il avait pris des médicaments et se trouvait dans un état comateux quand il a été arrêté. C’est Dekhar qui, en 1994, avait fourni à Florence Rey l’arme avec laquelle, en compagnie de son amant Audry Maupin, elle avait entrepris un cavale meurtrière qui avait fait cinq morts, dont Maupin.
ON FÉLICITERA comme il se doit les services de police auxquels il n’a fallu que deux jours pour mettre l’individu hors d’état de nuire. Il était certainement dangereux, non parce qu’il avait un projet terroriste, mais parce qu’il ne maîtrisait pas les situations de tension qu’il créait. Il semble regretter d’avoir tiré sur le jeune homme de « Libération » qu’il a envoyé à l’hôpital. Ses anciens avocats ne pensent même pas qu’il s’agisse d’un mythomane. Il a laissé des lettres incompréhensibles qui donnent la mesure de son trouble mental. Les psychiatres découvriront probablement chez lui un narcissisme développé qui, après une vingtaine d’années de silence, a fini par prendre une forme violente. « Tout semble indiquer qu’il a tenté de se suicider », a déclaré le ministre de l’Intérieur dans la nuit de mercredi à jeudi.
Des lettres incohérentes.
Lors de son procès en 1998, au terme duquel il avait été libéré parce qu’il avait déjà purgé sa peine en détention préventive, il prétendit appartenir aux services secrets algériens. Il cherchait moins à identifier la cause qui l’animait qu’à se rendre important ou intéressant. La police ne semble pas croire qu’il ait des complices ou que d’autres personnes l’aient aidé dans ses agissements. Si l’on se réfère au contenu incohérent de ses lettres, il sera très difficile d’obtenir de lui une explication claire sur sa motivation, même s’il évoque la Syrie, la Libye et la crise dans le monde arabe.
L’émotion publique qu’il a provoquée était légitime. Elle se nourrissait de son anonymat : bien qu’il ait été filmé par les caméras de rue et que son ADN ait été relevé, il n’existait dans aucun fichier. La police pense qu’il a quitté la France pendant plusieurs années. Maintenant que l’on sait qui il est, on se rend compte que, en dépit de l’agression qu’il a commise à « Libération », il ne menaçait aucun groupe, aucune institution et qu’il avait seulement besoin de se faire remarquer. Au début des années quatre-vingt-dix, il fréquentait les milieux de ce que l’on appelle « l’ultra-gauche », et il n’est pas impossible qu’il en ait gardé quelques convictions, encore que sa confusion personnelle sape la notion d’une continuité de pensée dans le temps.
Récupération.
Ce que l’on sait aujourd’hui, on l’ignorait il y a deux jours. Les milieux médiatiques et politiques, qui ont accordé tant d’importance à l’affaire comme si la société française était menacée par la folie d’un seul homme ou que la liberté d’expression était en danger, devraient maintenant admettre que ce fait-divers n’a, en définitive, aucune signification. Le pouvoir, notamment, tente de récupérer à son avantage tout ce qu’il voit passer. Certes, il est dans son meilleur rôle quand il s’agit de sécurité et que l’affaire est réglée en quarante-huit heures. Mais il doit plus ce succès à la diligence des policiers qu’à son propre mérite. De la même manière, le gouvernement a accueilli la victoire de la France contre l’Ukraine dans le cadre des matches préparatifs de la Coupe du monde avec une satisfaction un peu appuyée. Aurélie Filipetti, par exemple, a fait remarquer qu’il faut être patient pour obtenir des résultats et que ce que les Bleus ont fait, le pouvoir, en somme, peut le faire. On ne se sent pas du tout obligé de la croire.
RICHARD LISCIA
oui ! sauf pour le « on se félicitera » car le « on » devrait être definitivement supprimé de notre belle langue française. »On », c’est qui ?
Encore bravo pour cette analyse
Le pouvoir invite en effet le football dans ses manoeuvres de récupération. La comparaison doit prendre en compte que l’équipe nationale sort par le haut d’un résultat aller en Ukraine plutôt lamentable. Sa brillante prestation au retour est alors qualifiée d’étonnante voire de « miracle » par la presse unanime.
Est-il vraiment permis d’en attendre autant du gouvernement ?