Valls en première ligne

À la pointe du combat
(Photo AFP)

S’il y a un trait de caractère de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, qui le distingue de ses collègues, c’est son volontarisme qui n’est pas sans rappeler celui de Nicolas Sarkozy. L’affaire Dieudonné, le lecteur voudra bien m’excuser d’y revenir, a plongé le pays dans un  débat juridique qui a pratiquement éteint l’indignation sans laquelle il n’y a pas de beau combat républicain. Tout en se limitant aux moyens offerts par le droit, M. Valls s’est engagé dans la répression d’une provocation antisémite permanente, conduite avec un cynisme et une efficacité sans pareils.

LE MINISTRE  a rédigé, avec le concours du Premier ministre et sous sa supervision, une circulaire qui permet aux maires d’interdire le spectacle de l’histrion. Successivement, Tours, Bordeaux, Marseille et Nantes ont décidé d’appliquer la circulaire. Comme d’habitude, Dieudonné se débat comme un beau (?) diable : il lance une série de plaintes contre à peu près tout le monde, du ministre de l’Intérieur au président du CRIF, une institution juive,  sous le prétexte que ses adversaires auraient « sali son honneur ». On pouvait s’y attendre et on espère que les juges ne se laisseront pas intimider par ses manoeuvres et le débouteront. Mais le problème n’est pas là.

Coalitions nécessaires.

Il est d’abord dans le fait que la politique politicienne ne perd pas ses droits : au lieu de se solidariser avec l’action de Manuel Valls, la droite lui reproche de monter en épingle une affaire propre à faire oublier le triste état des affaires nationales. Seul Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui interdit le spectacle de Dieudonné, épouse sans état d’âme les convictions de M. Valls. Il sait, lui, qu’il y a, face à la pire des déviances, des coalitions nécessaires. Les anciens ministres Brice Hortefeux et Bruno Le Maire se montrent beaucoup plus circonspects. Mais comment le pays peut-il soigner le cancer de l’antisémitisme s’il ne s’unit pas autour d’une indispensable thérapeutique ? Je tiens à dire ici que je me prononce sans réserves en faveur de l’action conduite par Manuel Valls, d’autant que Marine Le Pen, qui se prétend « choquée » par les propos de Dieudonné, n’a pas cru bon pour autant d’approuver le ministre. Bref, on continue à faire de la politique à propos d’une affaire qui soulève le coeur.

Ensuite, le débat a ouvert la vanne à un flot de juridisme. On ne peut pas, nous disent des spécialistes du droit, interdire un spectacle avant qu’il ait eu lieu, c’est une atteinte grave à la liberté d’expression. Mais ne peut-on pas l’interdire en s’appuyant sur le contenu des spectacles précédents, violemment antisémites et totalement révisionnistes?  Des esprits subtils et, par ailleurs fort respectables, nous montrent qu’en appliquant la circulaire, on arrive à l’inverse de ce que l’on recherche, puisque l’on se rapproche ainsi, en négligeant la liberté d’expression, du totalitarisme auquel Dieudonné est désormais identifié. Mais attention : si le pays se prive de tout moyen de recours contre une entreprise ignoble de  réhabilitation du nazisme et diffamation des juifs, il ne reste plus aux victimes, et j’utilise le mot à dessein, de Dieudonné, que leurs yeux pour pleurer.  L’impuissance nationale contre un magma de délits graves, racisme, négationnisme, diffamation répétitive, refus  de payer des amendes, organisation forcément frauduleuse de son insolvabilité, serait à terme une catastrophe morale.

« Création artistique ».

Le « principe absolu » de la liberté d’expression, le débat fallacieux et hypocrite sur la « création artistique » ou « l’humour » d’un homme à tous égards répugnant, montrent que dans la frilosité des éditorialistes, des juristes et des politiques, il y a la vague idée qu’un antisémitisme ravageur est moins grave qu’une entorse au droit. À quoi je réponds qu’il faut savoir établir un ordre des priorités ; qu’il existe un racisme anti-blanc, c’est l’antisémitisme ; qu’il n’y a aucune différence entre le racisme scandaleux qui s’est exprimé contre Christiane Taubira et l’antisémitisme de Dieudonné dont l’objectif ou plutôt le fantasme reste la mise des juifs français au ban de la nation. On peut, hélas, être noir et antisémite. Il n’y a aucune raison pour se montrer indulgents à l’égard d’antisémites sous le prétexte qu’ils sont noirs et risquent eux-mêmes d’être victimes de l’intolérance. Au contraire, ils devraient figurer parmi les plus ardents des citoyens qui combattent l’antisémitisme.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Valls en première ligne

  1. Giorgi hélène dit :

    Bravo! Un grand merci pour vos articles tellement lucides sur Dieudonné;il faut condamner définitivement ce sinistre individu et les arguties lamentables de certains (journalistes, politiques), ne peuvent que laisser éclore et se développer un anti-judaïsme larvé, hélas trop répandu dans notre pays.

  2. chevrant-breton dit :

    Une fois de plus, j’apprécie la teneur de l’éditorial de Richard Liscia avec lequel je me sens plus particuliérement en « phase » dans ce commentaire sur le sinistre Dieudonné.

  3. LALOUM dit :

    ADAPTER LA LEGISLATION AUX RACISTES HABILES

    Les difficultés juridiques rencontrées montrent juste que la législation n’est pas adaptée aux racistes et antisémites juridiquement habiles. Il convient de l’adapter pour qu’il ne soit plus nécessaire de faire de la pub aux racistes de tout bord pour les faire taire ou les ruiner et les emprisonner.

    Toute condamnation pour racisme ou antisémitisme devrait pouvoir être assortie d’une interdiction d’expression publique, y compris médiatique, durant x années.
    La condamnation en récidive de propos racistes ou antisémites devrait valoir des peines dissuasives, y compris d’emprisonnement ferme.
    Ces condamnations devraient être assorties de la confiscation de tous les revenus directs ou indirect liés ou plutôt simplement associés à ces propos, et d’une amende supplémentaire égale à ces montants, infligées à tous les bénéficiaires (société de production, …).
    Quant aux sanctions contre les participants à des réunions notoirement racistes ou antisémites, elles doivent être discutées mais leur intérêt pédagogique serait important même si les peines sont minimes : obliger à se demander avant de commanditer une réunion (ceux qui payent sont les commanditaires) s’il s’agit bien d’un spectacle ou d’une réunion raciste.

    Enfin , si l’on veut que ce soit la représentation nationale qui fasse la Loi et non la cour de cassation, la Loi devra être précise et assortie d’exemples de ce que l’on peut dire et de ce qui doit faire condamner.

    Dans la progression du racisme et de l’antisémitisme, la responsabilité des médias est énorme. Les médias arrosent d’essence, craquent des allumettes, puis crient « Au feu » sur un ton tout étonné… Mais c’est une autre histoire (quoique !).

  4. PAPOUNET dit :

    Faire l’apologie d’un individu, opportuniste et calculateur en le comparant à Sarko, il y a de quoi franchement se marrer. Ce pays compte plus de 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté mais là on ne parle pas d’atteinte à la dignité de la personne. Comme de nombreux citoyens, vous êtes formaté au système médiatique.
    Il suffit de ne plus parler de Dieudonné pour que cet humoriste en plein déclin disparaisse du paysage. Un médecin se fait agresser mais votre icône volontaire n’est pas spécialement intéressé.
    Vous avez l’admiration sélective.

    Réponse
    Je ne crois pas avoir manqué de parler des problèmes sociaux de ce pays. Mélanger Dieudonné, les agressions contres les médecins et le chômage, c’est pratiquer l’amalgame et la démagogie.Se dédouaner en accablant Dieudonné de quelques épithêtes ne suffit pas à cacher la vérité : vous préfèreriez que le sujet ne soit pas soulevé, car il vous gêne.
    R.L.

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