Le bourbier centrafricain

Deux soldats évacuent un blessé
(Photo AFP)

La stabilisation de la République centrafricaine prend du temps, coûte cher, comporte des risques (trois soldats français tués à ce jour) et l’intervention française est infiniment plus critiquée que ne le fut l’engagement au Mali. Dispersées sur divers zones de combat, les forces françaises accomplissent des tâches multiples et souvent contestées. Le gouvernement court contre la montre : il lui faut rétablir l’ordre et reconstituer un système institutionnel avant de retirer nos soldats.

L’OPPOSITION de droite s’est emparée du sujet au Parlement, où quelques unes de ses voix posent la question des objectifs à long terme de l’intervention ou constatent qu’elle prend un tour plus policier que militaire, ce qui n’a pas empêché le gouvernement d’envoyer sur place quatre cents hommes supplémentaires en dépit de la présence de presque cinq mille soldats africains. Il est plus facile de critiquer la politique militaire de François Hollande que de proposer une alternative, c’est en quoi les critiques sont quelque peu gratuites. Au fond, les raisons de notre engagement en Centrafrique ne sont pas vraiment différentes de celles qui nous ont conduit à repousser les djihadistes au Mali : prioritairement, il s’agissait, dans les deux cas, d’éviter de terribles exactions, pour ne pas dire un bain de sang. Il s’agit encore, en Centrafrique, de donner à ce pays des institutions et une administration qui lui permettent de renaître de ses cendres. Une présidente par intérim a été nommée, l’ancienne maire de Bangui, Catherine Samba Panza, qui offre toutes les garanties d’intégrité nécessaires. Mais, seule, elle ne peut rien et elle a demandé  que la France ne l’abandonne pas.

Le stoïcisme de l’armée.

L’UMP elle-même, qui a approuvé les interventions en Côte d’Ivoire et en Libye, ne peut pas dire avec certitude qu’elle serait restée les bras croisés face au drame centrafricain. Le reproche devrait s’adresser aux hésitations de M. Hollande, qui n’a jamais envisagé une intervention de gaieté de coeur, car notre armée et nos moyens sont exploités au delà des limites raisonnables. Un temps précieux a donc été perdu, ce qui a permis aux Séléka (musulmans) de mener leurs expéditions punitives, d’entretenir un climat de haine, et aux anti-Balaka (milices hostiles aux musulmans) de prendre leur revanche. On doit donc commencer par reconnaître le stoïcisme de l’armée française, contrainte de relever des défis multiples, du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui comprend tout, à la fois la nécessité d’être en Centrafrique et de ne pas demander à nos généraux ce qu’ils ne peuvent pas donner, et du gouvernement qui n’ordonnerait pas un retrait prématuré de nos troupes sans subir une dénonciation internationale, étant entendu que les conseilleurs ne sont pas les payeurs et que, en dehors de la participation africaine, la France reste relativement isolée sur les théâtres dont elle a la responsabilité.

Vies sauvées.

Dans ces conditions, la droite, une fois encore, doit se garder de donner l’impression qu’elle brise le pacte tacite qui unit une forte majorité nationale autour de la défense des droits de l’homme, des causes humanitaires et des libertés en Afrique. Certes, la France aurait pu invoquer ses engagements précédents pour refuser d’intervenir en Centrafrique,  mais on le lui aurait reproché de toute façon, chaque journée d’assassinats, de viols et de vols devenant un peu plus insupportable. Quoi qu’on dise, des vies ont été sauvées, même si la minorité musulmane semble avoir choisi l’exode, ce qui, évidemment, crée un problème sérieux dans les pays contigus. Nous sommes loin d’avoir réglé cette crise, mais nous en avons déjà écarté les horreurs potentielles.

RICHARD LISCIA

 

 

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3 réponses à Le bourbier centrafricain

  1. phban dit :

    Je ne partage pas votre point de vue. Cette opération a été mal préparée, mal calibrée, tout a été sous-estimé, avec aveuglement et présomption (une poignée de nos soldats tirant en l’air ferait fuir les vilains comme une volée de moineaux ?). Le gouvernement a de surcroît menti délibérément en promettant une action brève et limitée en moyens, sachant pertinemment qu’il faudrait plus de temps et plus d’hommes qu’annoncé initialement. Il met la vie de nos soldats en danger pour des résultats malheureusement très incertains.
    Il aurait fallu un engagement international réel, mais comme la France a proposé d’y aller seule, cela a évité aux autres de s’engager (en dehors de la force africaine, courageuse mais peu organisée et peu expérimentée). Résultat : une intervention bancale et inadaptée au contexte. Sans parler de l’effet désastreux produit auprès des pays musulmans, la France donnant l’impression de voler au secours des chrétiens au détriment des musulmans.

  2. Dr Delahousse dit :

    La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf, ou comment masquer ses échecs économiques en détournant l’attention dans une opération hasardeuse et mal pensée.

  3. Herodote dit :

    Phban rend bien compte des erreurs commises. On peut souligner la carence diplomatique de la France, isolée dans cette affaire. Elle majore fortement le risque d’occuper un terrain livré aux massacres inter-religieux. Elle est une erreur grave en amont de l’intervention.
    Accessoirement, était-il judicieux de limiter les moyens de l’armée au moment où on lui demande un tel effort?
    La prévision est un art difficile. Décidément, elle n’est pas le point fort du gouvernement.

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