Ukraine : on joue à se faire peur

Même la force a ses limites
(Photo AFP)

La situation en Ukraine est grave, elle n’est pas désespérée. Il n’y a rien de surprenant à ce que Vladimir Poutine ait pris des dispositions militaires pour s’assurer le contrôle de la Crimée, qui lui assure une position stratégique vitale au sud de la Russie. Non seulement Poutine est un adepte de la méthode forte, mais il existe un semblant de légitimité historique dans la présence russe en Ukraine.

LE PLUS étonnant n’est pas qu’il soit intervenu en envoyant ses troupes à Simféropol mais qu’il n’en ait pas profité pour s’assurer immédiatement le contrôle de l’est russophone de l’Ukraine. La comparaison avec la Géorgie est valable : en 2008, il avait amputé ce pays de deux de ses provinces et les forces russes stationnées en Ossétie ou en Abkhazie peuvent à tout moment s’emparer de Tbilissi. Sans doute espère-t-il soumettre l’Ukraine au même régime et à la priver de sa souveraineté. Il n’empêche que l’Ukraine n’est pas la Géorgie, qu’il vient de se produire une révolution anti-russe et qu’une persistance de la crise risque d’avoir des conséquences graves non seulement pour les Ukrainiens eux-mêmes mais aussi pour la Russie.

Défaite morale.

En effet, Poutine a réussi son coup de force, mais il a aggravé sa défaite morale. Les jeux Olympiques de Sotchi étaient censés apporter à son régime une consécration, leur effet positif est désormais effacé ; son projet de bloc eurasiatique ne se réalisera pas au moyens des chars et des canons, il serait inopérant ; il a beau procéder par le fait accompli, il aura des comptes à rendre. Une nouvelle révolte des Ukrainiens se déroulerait dans un bain de sang qui achèverait de disqualifier la Russie. Une confrontation armée entre l’Union européenne et Moscou est totalement exclue. Il ne reste plus que la négociation, très utile pour montrer à Poutine les risques qu’il court et qui sont considérables.

D’une discussion avec les Européens, il ne partira pas les mains vides. Il insistera pour garder la Crimée et une partition de l’Ukraine n’est pas exclue. Un référendum en Crimée montrerait probablement l’attachement des habitants à la Russie. Un autre dans toute l’Ukraine mettrait en évidence qu’il y a dans ce pays une bonne moitié des gens qui préfèrent la Russie à l’Europe. Dans ces conditions, pourquoi Vladimir Poutine n’accepterait-il pas une consultation électorale ?

La vanité du nationalisme.

Quant au pouvoir qu’il exerce sur l’Union européenne parce qu’il lui vend son gaz, c’est une notion à deux tranchants : il le vend, mais c’est l’UE qui l’achète, ce qui veut dire qu’il ne peut pas se passer de ce marché. La chute du rouble depuis plusieurs semaines, celle des valeurs boursières ce matin à Moscou, l’évasion accrue des capitaux russes vers l’Europe de l’Ouest, le fort ralentissement de la croissance en Russie suffisent à démontrer que le nationalisme exacerbé de M. Poutine est parfaitement vain dans un monde dont les économies sont tellement imbriquées.

Les Occidentaux ne doivent poursuivre qu’un objectif : le maintien à Kiev du pouvoir issu de la révolution. Poutine peut vivre avec, même s’il réclame le retour d’un Ianoukovitch pour lequel, paradoxalement, il n’éprouve aucune estime. La Crimée, à notre avis, est déjà perdue : la Russie ne peut pas s’en passer et, même si c’était une démocratie exemplaire, elle n’aurait pas cédé sur cette question stratégique. Il n’est pas trop tard en revanche pour que pro-Européens et pro-Russes d’Ukraine ouvrent sur leurs divergences un débat parlementaire conduisant à des compromis.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Ukraine : on joue à se faire peur

  1. Edrei dit :

    Bravo, c’est bien écrit !
    Mais cette histoire me rappelle étrangement l’histoire des Sudètes et l’annexion de l’Autriche.
    La Crimée a toujours été convoitée par les tzars car c’est incontestablement une ouverture sur la mer.
    La Russie très consciente de l’importance stratégique de l’accès à la mer est en train de renouveler toute sa flotte de guerre !

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