Crimée : crise franco-française

La joie des Criméens après le référendum
(Photo AFP)

Le sort de la Crimée est en soi un sujet assez grave pour que la France ne se déchire pas à ce sujet. C’est pourtant ce qui est en train de se passer. Il se trouve que notre pays a vendu, du temps de Nicolas Sarkozy, deux Mistral à la Russie. Il s’agit d’un navire de guerre ultra-moderne qui, dit-on, ferait merveille dans une entreprise de soumission de l’Ukraine à Moscou. D’aucuns veulent geler la transaction. D’autres veulent la poursuivre.

LES ARGUMENTS ne manquent pas dans les deux camps. La construction du Mistral a donné et donne encore du travail aux chantiers navals de Saint-Nazaire. La suppression de la vente créerait des milliers de chômeurs et coûterait 1,2 milliard d’euros. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères envisage d’annuler la vente des Mistral. Il est soutenu par une partie de l’opposition, par exemple l’ancien ministre Bruno Le Maire. Il est évident que, si les Européens doivent prendre des sanctions contre la Russie avant qu’elle ne parvienne à démanteler l’Ukraine ou en faire son satellite, la première de ces sanctions consiste à ne pas renforcer le potentiel militaire de Vladimir Poutine.

Une mesure salutaire ?

Nicolas Sarkozy avait été critiqué quand il a approuvé la transaction en 2011. D’un autre côté, il pouvait se targuer d’avoir ranimé les chantiers navals. Aussi bien, ceux de l’opposition qui exigent de François Hollande qu’il ne livre pas les Mistral à Moscou oublient-ils qu’ils sont les seuls responsables de l’accord franco-russe. À la lumière de ce qui se passe en Crimée, la non-livraison des deux navires apparaît comme une mesure salutaire. Ce qui n’a pas empêché Florian Philippot, vice-président du Front national, d’estimer que M. Fabius « nuit gravement à la France » et de le présenter comme « un saboteur en chef de l’industrie française ».

M. Fabius n’a d’ailleurs pas dit que son idée doit être mise en vigueur immédiatement, mais seulement « si Poutine continue ce qu’il fait en Ukraine ». En effet, au lendemain du référendum, Moscou nationalise la Crimée à toute vitesse en remplaçant la monnaie ukrainienne par le rouble et en éliminant tous les signes du particularisme criméen. Personne ne sait où il s’arrêtera, s’il entend russifier la partie orientale du pays, s’il veut réinstaller au pouvoir Viktor Yanukovitch chassé par la révolution du Maïdan, s’il veut placer à Kiev un gouvernement à la botte de Moscou.

Sanctions : un effet à long terme.

On pouvait comprendre que Poutine veuille conserver à Sébastopol un accès aux mers chaudes pour sa flotte. Mais tout ce qu’il a fait depuis la révolution correspond à une reprise en main de l’Ukraine tout entière. L’emprise économique, notamment grâce au gaz, qu’il avait déjà sur l’Ukraine ne semble pas lui suffire. Et, après tout, si son projet eurasiatique a un sens, il passe par le contrôle de l’Ukraine. Américains et Européens sont bien démunis face au déploiement de la force russe. D’autant que Poutine fait le sourd et refuse de négocier. Il n’a cessé de durcir ses positions, de poursuivre son entreprise d’annexion de la Crimée, et de geler toute les actions diplomatiques relatives à la Syrie où Bachar Al-Assad est en train de l’emporter militairement contre la rébellion.  On reparle d’un retour de la guerre froide, mais Poutine choisit la violence en toute circonstance, ce qui place les Occidentaux devant un défi : si la négociation est impossible, le seul choix restant est la menace militaire.

Comme cette issue est impensable, Poutine fera très exactement ce qu’il veut. Clients et fournisseurs de la Russie, les Européens sont d’ailleurs divisés. L’Allemagne ne peut pas se passer du gaz russe après sa décision d’abolir l’énergie nucléaire. Nous-mêmes sommes gênés aux entournures par l’affaire des Mistral. Le seul espoir vient du fait que la Russie n’est plus un pays communiste et ne le redeviendra pas. Elle est donc vulnérable à l’application des règles financières mondiales. Des sanctions économiques amoindriront sa force. L’évasion des capitaux russes, en ce moment même, prive la Russie de sa capacité à investir. Et les investissements étrangers sont gelés. Même sans sanctions officielles, Poutine a embarqué son pays dans une aventure qui lui coûtera cher.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Crimée : crise franco-française

  1. A3ro dit :

    Personnellement, j’estime qu’il faut être cohérent avec soi même et faire ce que Fabius détaillait : annuler la vente si Poutine va plus loin que l’annexion de la Crimée, déja actée. S’il s’arrête là, pas besoin de lui donner une excuse de ranimer des tensions. Mais s’il continue, je préfère qu’on accorde une aide à STX et DCNS plutôt que de cautionner indirectement une puissance militaire en désaccord avec nous.

    Sans être aussi stratégiques que des porte-avions, des BPC sont quand même des navires d’importance dans une flotte. La Russie aura du mal a combler ce vide par un autre achat ou une construction interne, cette sanction a des chances de peser dans la balance.

Répondre à A3ro Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.