Le grand malentendu

Valls, Premier ministre ?
(Photo AFP)

Le verdict des urnes est sans appel : la gauche a perdu 155 villes de plus de 9 000 habitants. En 2002, la droite en avait perdu 82. Elle a donc regagné et amélioré ses positions d’avant les précédentes municipales. Le Front national enlève quatorze ou quinze mairies. Le taux de participation, à 63,70 %, perd deux points et demi depuis 2008. Paris reste aux mains de la gauche, Marseille demeure à droite. L’UMP et ses alliés sont assurés de reprendre la majorité des territoires lors des élections sénatoriales et régionales.

LA LEÇON de cette déroute est difficile à tirer pour François Hollande et son gouvernement. Les abstentionnistes, grands vainqueurs du scrutin, disent qu’ils ne croient pas à la gauche, pas davantage à la droite et pas non plus au Front national. À quoi s’ajoute un malentendu que l’UMP a déjà compris, ce qui explique l’absence chez elle de tout triomphalisme : les Français ne demandent pas l’application d’une doctrine européenne et libérale, mais une baisse des impôts, une hausse du pouvoir d’achat, des emplois, quel qu’en soit le prix en termes de déficit et de dette. Les Verts, le Front de gauche, l’aile gauche du PS plaident dans ce sens. Julien Dray a déjà réclamé l’abandon immédiat du pacte de stabilité, clé de voûte du dispositif de François Hollande dans sa lutte contre le chômage.

Bilan médiocre pour 2013.

La tentation est donc grande, pour le chef de l’État, de tenter d’améliorer sa popularité en satisfaisant d’emblée les revendications populaires au mépris des fondamentaux économiques et alors même que, à 4,3%, le déficit public pour 2013 est supérieur de 0,2% à l’objectif et que la dette nationale, pendant la même année, est passée de 90,6 % du produit intérieur brut à 93,4 %. Ces résultats sont tout aussi inquiétants que l’abstentionnisme et le rejet des processus démocratiques qu’il implique. Ils annoncent que nous allons continuer à emprunter et que le service de la dette va nous priver de ressources nécessaires à l’investissement. L’Union européenne ne peut pas se satisfaire de tels résultats : ils mettent en danger l’assainissement général des finances du continent.

Il ne suffira pas, ce soir, lors de l’allocution télévisée du président de changer de gouvernement et de Premier ministre. François Hollande le sait, qui présentera sans doute un nouveau programme économique et social dont on peut redouter qu’il ressemble plus à un patchwork qu’à une refonte des méthodes et à une accélération de l’action politique susceptible de produire des résultats. Les Français semblent souhaiter que Manuel Valls remplace Jean-Marc Ayrault, mais l’actuel ministre de l’Intérieur ne saurait jouer que sa partition, qui n’est pas nécessairement celle qu’ils veulent entendre. En revanche, l’arrivée de M. Valls à la tête du gouvernement traduirait la volonté du président d’ancrer sa politique dans ce qu’il est convenu d’appeler le social-libéralisme, une formule qui contient moins de social et plus de soutien aux entreprises.

Un temps pour chaque chose.

On ne peut pas dire non plus que les intentions programmatiques de la droite sont claires. Quand on écoute Henri Guaino, ou Bruno Le Maire, on perçoit un discours de haute qualité mais très imprécis, visionnaire peut-être, mais pas assez terre-à-terre. Ils insistent sur un point au moins, la baisse des impôts, mais elle doit être impérativement compensée par des économies dans la dépense publique. Si les socialistes rencontrent tellement de difficultés pour mettre au régime sec l’État obèse, c’est parce que c’est un tâche de Sisyphe, elle-même génératrice de pertes d’emplois. Pendant toute la campagne et même après le  second tour, les ténors de la gauche ont expliqué leur échec par l’héritage que leur a laissé M. Sarkozy. Ils n’ont toujours pas compris  que la crise fut si violente en 2008 qu’il n’y avait pas d’autre moyen que de nouveaux emprunts pour soigner l’endettement et que, en 2012, il fallait commencer à désendetter le pays. C’est comme dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour chaque chose et il ne faut pas se tromper de temps.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Le grand malentendu

  1. Num dit :

    Je cite « les Français ne demandent pas l’application d’une doctrine européenne et libérale, mais une baisse des impôts, une hausse du pouvoir d’achat, des emplois, quel qu’en soit le prix en termes de déficit et de dette. » C’est en effet ce que répètent les Verts et la gauche du PS.
    Je ne comprends pas cette analyse et le raccourci selon lequel les Français votent à droite massivement et comme jamais mais c’est parce qu’ils veulent une politique de gauche !
    Pouvez-vous m’expliquer comment on en déduit ça ?

    Réponse : les électeurs de droite ont voté à droite. Les électeurs de gauche se sont abstenus.En nombre de voix, l’écart entre droite et gauche est de six points de pourcentage seulement.

    • Num dit :

      Je ne suis pas convaincu par ce raisonnement : si les Français voulaient une politique plus à gauche, ils auraient voté pour l’extrême-gauche.
      D’ailleurs ce type de conclusion n’existe que dans un sens: en 2008, quand la gauche a gagné les municipales, personne n’en a conclu que les Français voulaient une politique plus libérale avec une priorité à la baisse des déficits et de la dette. Bien au contraire.

      Mon analyse est que:
      1) Les Français veulent un capitaine qui décide, tranche et fasse des choix.
      2) La priorité unique doit être la croissance et la baisse du chômage là où le gouvernement a surtout priorisé les réformes sociétales idéologiques (mariage gay, euthanasie, répression pénale…).
      Qu’en pensez-vous ?

      Réponse : toute analyse mérite d’être défendue. Mais la comparaison avec 2008 n’est pas convaincante. C’est la crise qui a affaibli le pouvoir en place à l’époque. En 2014, le taux d’abstention, associé à une forte poussée du FN, indique que l’électorat rejette la politique du pouvoir. Laquelle, avec le pacte de responsabilité, a pris un virage libéral.

  2. LECRU JEAN dit :

    France ingouvernable devant les égoïsmes généralisés : syndicats corporatistes d’employés ou du patronat, lobby d’intérêt à base d’écologie politique ou de troskisme totalitaire (magistrature) : qui osera les réformes thatchériennes dans notre pays, dernier exemple en date et passé inaperçu, la réforme du chômage des intermittents du spectacle dont le plafond mensuel des indemnités a été abaissé à 5 800 euros. France, pays de cocagne.

  3. Beaucoup de Français sont prêts à payer des impôts dans la mesure où ceux-ci sont bien utilisés. Ce n’est pas le sentiment que l’on a. On a l’impression que les caisses de l’État sont un tonneau des Danaïdes: pas d’économies faites sur la fonction publique qui ne remplit plus son rôle, en particulier dans l’enseignement où beaucoup d’enfants ne savent plus lire en entrant en 6°. Il faut une plus grande liberté des enseignants du primaire, avec une liberté laissée au » redoublement » tant décrié, un CP +CE1 en 3 ans au lieu de 2 pour les enfants en difficulté, par exemple. Chacun de nous sait qu’il n’y a pas d’égalité dans le rythme d’apprentissage d’un enfant, ce qui n’augure en rien de sa réussite future, si on laisse à chacun le temps nécessaire pour trouver sa voie. L’échec scolaire laisse une trace indélébile sur le psychisme : l’enfant le ressent comme un rejet de la société et sera marqué à vie.
    La vie politique française semble depuis des lustres ne plus avoir de (bon) sens, décisions contradictoires prises à la hâte sous la pression médiatique, bien souvent. L’abstention n’est que le reflet du dégoût des Français, une façon de manifester leur mépris à l’égard d’une classe politique qui, bien souvent, ne tient qu’à conserver ses privilèges, sourde aux désirs de ceux qui l’ont élue pour agir à leur place.

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