Ukraine : guerre civile ?

Pro-russes à Donetsk
(Photo AFP)

Vladimir Poutine a massé 40 000 soldats à la frontière avec l’Ukraine, pendant que des groupes d’hommes armés occupent les bâtiments administratifs de Slaviansk et de Donetsk contre lesquels le gouvernement de Kiev pourrait lancer dès aujourd’hui une offensive, pour les en déloger. Des incidents ont déjà fait un mort et des blessés. L’OTAN, les États-Unis et l’Europe multiplient les menaces de sanctions alors que les précédentes n’ont pas fait reculer Poutine. Rien n’empêche l’armée russe d’envahir l’Ukraine, sinon la résistance de l’armée ukrainienne. On est tout près d’un bain de sang.

LA LUCIDITÉ la plus élémentaire nous oblige à faire un double constat : personne, en Occident ne va faire la guerre pour protéger l’Ukraine contre la Russie ; et le deus ex machina de cette crise d’une gravité inouïe, le grand responsable de ce qui risque de se produire entre Russes et Ukrainiens, et surtout entre Ukrainiens, c’est Poutine. Les arguments multiples qu’il brandit pour justifier sa brutalité ne l’excusent nullement : il voulait garder un accès aux mers chaudes, son annexion de la Crimée l’assure ; il dit que le pouvoir à Kiev se construit contre l’influence de Moscou, mais en exigeant le remboursement de la dette contractée par l’Ukraine auprès de la Russie et en augmentant les prix du gaz, il met les Ukrainiens à genoux et accroît leur colère ; il s’appuie sur la présence d’éléments néo-nazis dans la révolution de Maïdan pour donner une leçon aux tombeurs de Viktor Yanukovitch, mais lui-même dispose à Moscou de soutiens nationalistes qui lui ont servi à réprimer les Russes militant pour la démocratie et les libertés. Il propose le fédéralisme pour l’Ukraine, tout le monde sait que cette solution aboutira au rattachement de l’est à la Russie et à l’amputation du pays.

Un message sinistre.

Ni l’Amérique ni l’Europe n’ont bougé quand l’URSS a maté la Hongrie (1956), puis la Tchécoslovaquie (1968). Elle n’ont pas froncé un sourcil quand la Pologne, en 1980, s’est soulevée contre Jaruzelski. L’émancipation des Polonais sous la houlette du mouvement Solidarnosc a demandé des années et n’a pu être totale qu’avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique. Le message aux Ukrainiens est à la fois clair et sinistre : ils doivent se battre pour leur liberté et personne ne les aidera à choisir leur destin. Je ne peux pas écrire ces mots sans me rappeler la Yougoslavie et le carnage qui a suivi son éclatement en plusieurs nationalités. Jamais la guerre n’a paru aussi anachronique qu’aujourd’hui, jamais elle n’a semblé aussi imminente.

Un dessein impérial. 

Pourtant, il n’y avait rien, dans le différend qui oppose Kiev à Moscou qui ne pût être régler par la négociation. Les dirigeants actuels de l’Ukraine commettent beaucoup de maladresses, par exemple la suppression de l’enseignement du russe, perçue par Poutine comme une provocation. La présence dans le pays d’une forte minorité russophone ou fidèle à Moscou doit être prise en compte. Certes, Poutine n’est pas un interlocuteur facile. Il se sert du moindre acte anti-russe pour décrire l’Ukraine comme un repaire de nazis. Mais, bien qu’ils soient les victimes, les Ukrainiens doivent tout faire pour le rassurer. Poutine veut être perçu comme le chef d’une grande nation dont l’influence s’étend au-delà de ses frontières. Il a aussi le dessein de reconstruire l’empire russe. C’est sa fatuité qui le rend tellement dangereux. C’est lui qui empêche une solution négociée car il ne donne aux Ukrainiens que le choix entre se soumettre ou se battre pour leur patrie.

Rien de ce que nous voyons en Ukraine n’incite à l’optimisme. Les pro-russes singent Maïdan pour apparaître à leur tour comme des révolutionnaires ; la Crimée est perdue ; l’est est divisé, proche d’une guerre civile qui risque d’être sanglante, surtout après l’intervention des forces russes massées à la frontière. Une réunion entre Russes et Occidentaux est prévue à Genève jeudi. Il y a fort à craindre qu’elle entérinera, une fois de plus, le fait accompli.

RICHARD LISCIA

 

 

 

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2 réponses à Ukraine : guerre civile ?

  1. Edrei yves dit :

    Hélas, c’est une bonne analyse de la situation. Les sanctions actuelles à l’encontre de Poutine sont dérisoires et nullement dissuasives.
    Nous nous dirigeons vers une escalade inéluctable de ces sanctions et, à défaut d’arriver à uns bonne entente sur le plan économique et diplomatique, un conflit armé reste possible.

  2. Incompétence9990 dit :

    « S’il existe des groupes néonazis en Ukraine, leur popularité et leur influence ne sont pas plus importantes que dans d’autres pays européens. Ils n’ont aucune représentation à la Rada et aucun poids au sein du gouvernement ukrainien. Au printemps 2019, les Ukrainiens ont porté M. Volodymyr Zelensky au pouvoir avec plus de 73% des voix, ce qui témoigne de la vigueur du sentiment démocratique dans le pays. Les activités des organisations néonazies en Ukraine ne reflètent donc aucunement une tendance globale du pays. Le conflit dans l’Est de l’Ukraine a effectivement mobilisé certains groupuscules extrémistes violents, mais la plupart ont, depuis, disparu. Les actes antisémites y sont moins fréquents que dans d’autres pays européens. Néanmoins, la France continue d’exercer la plus grande vigilance sur ce sujet. C’est pourquoi notre ambassade à Kiev s’associe aux actions mémorielles importantes. Ainsi, une attention toute particulière sera portée aux commémorations des 80 ans du massacre de Babyn Yar, en septembre prochain. (le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères au Sénat le 22/07/2021).
    Le poids des néonazis dans le gouvernement de M.Zelensky est loin d’être négligeable (ministères clés).Quant au rôle des milices et autres bataillons ouvertement néo-nazis, il est déterminant : ce sont des unités d’élite de l’armée régulière ukrainienne.C’est pourquoi tout (ou presque) est faux dans les affirmations de ce ministre. Soit ce ministre et son gouvernement sont totalement incompétents, soit il est un complice parfaitement conscient de ses propos mensongers et il ferme les yeux sur une abjection (au cœur de l’Europe),le néo-nazisme ukrainien, à l’origine d’un conflit dont la gravité n’aura échappé à personne.

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