Jupe et délire

Une blague de potache ?
(Photo S. Toubon)

C’est en 2013 que la « Journée de la jupe » a été lancée, avec un succès à peu près nul : il s’agissait en effet de faire venir les lycéens au cours habillés en jupe. Ils voulaient bien porter des badges anti-sexistes et soutenir l’action de leur lycée, ils ne souhaitaient pas se ridiculiser. Demain, dans 27 lycées de Nantes, l’opération sera reconduite. Elle est soutenue par le ministère de l’Éducation nationale.

SI VOUS ÊTES un homme, mettez-vous à la place d’un lycéen auquel on demande, sans l’y contraindre il est vrai, de porter une jupe. Je crois être féministe, mais, pour rien au monde, je ne porterais une jupe à mon bureau. Il y a une limite au masochisme, même si nous, hommes, sommes responsables de la condition féminine. Interrogé sur cette géniale initiative de l’Éducation nationale, le ministre, Benoît Hamon, a rappelé qu’aucun lycéen n’était obligé de se plier à une demande des autorités qui n’est pas une injonction, qu’il était utile de faire réfléchir la société sur les relations entre les sexes et qu’il fallait prendre tout ça avec un peu d’humour. Ah, c’est sûr, c’est une très bonne blague de potache. Il y a de quoi se rouler parterre de rire. D’ailleurs, le port de la jupe par les garçons ne serait que justice : après tout, les femmes portent bien le pantalon.  On ne peut que féliciter l’Éducation nationale, pour le moment incapable de se réformer et d’assurer une bonne formation à des dizaines de milliers de semi-illettrés, d’accorder la priorité à un « problème » sans doute plus urgent à ses yeux.

Dépolitiser l’école.

Mais le rire va se transformer en grimace. Des rumeurs courent depuis quelques mois sur la fameuse « théorie du genre » (on expliquerait aux élèves que le sexe n’est pas prédéterminé et que l’identité sexuelle résulterait aussi des pressions sociales) : les pouvoirs publics font à peu près tout pour leur donner une consistance. On assiste même à une radicalisation croissante d’une partie de la gauche et d’une partie de la droite : à la théorie du genre colportée par certains enseignants s’opposent les militants de la manif’ pour tous : entre eux, le conflit devient grave. Le pays n’a pas besoin des provocations quotidiennes auxquelles il est soumis. M. Hamon, non sans peine, a ramené un peu de calme dans le monde de l’enseignement et il devrait être le premier à empêcher les dérives, projets ou initiatives qui alimentent les passions. Si on veut réformer l’école dans la sérénité, il faut la dépolitiser.

La « journée de la jupe » n’apporte rien au débat sur le sexisme. En revanche, elle est susceptible de jeter la confusion dans des esprits d’enfants et d’adolescents qui ont besoin de repères solides pour faire leurs choix philosophiques personnels. Il faut mettre en garde l’Éducation nationale contre une dispersion de ses activités qui nuirait à l’accomplissement de l’essentiel, la préparation des jeunes à la vie active dans de bonnes conditions. Ce n’est pas le machisme qui éloigne cet objectif, c’est l’abaissement constant de la qualité de l’enseignement, que l’on sacrifie avec le vain espoir de former le plus grand nombre. Commençons par résoudre ce problème avant de nous livrer à de dangereuses expériences de laboratoires où le mélange des genres, si j’ose dire, risque de déclencher des explosions.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Jupe et délire

  1. drpb dit :

    Que cette cette grosse « pantalonnade » avec des lycéens fassent encore sortir de l’ombre la partie ultra-conservatrice de la « manif’ fourre-tout » est bien navrant. Quand serons-nous enfin débarrassés de cette droite ultra-catho-fachos qui voyant le « diable » partout, pétrifiée dans son traditionalisme, stérilise tout débat mûr et constructif ? Tout cela, alors que notre démocratie a tant de besoin de dé-crispation. C’est vrai, quoi, à la fin, marre de ces faux débats sociétaux d’arrière-garde (même leur chef, François 1er la dit), seuls capables d’assurer « le clivage pour tous »… Car là, il faut bien reconnaître que l’objectif est atteint. Et on verra la traduction de tout ça prochainement dans les urnes, probablement ?

  2. Lefrançois dit :

    Il y a belle lurette que les filles portent des pantalons, ce qui n’a en rien résolu l’inégalité des sexes, dans l’entreprise par exemple.
    Une fois de plus les socialistes au pouvoir sont à côté de la plaque, et grotesques. Ce qui ne justifie pas les prises de position ringardes de certaines personnes de droite.
    C’est dans les comportements de tous les jours, dans la rue, dans les banlieues, dans les cours d’établissements scolaires, dans les entreprises, et en premier lieu dans les couloirs de l’Assemblée Nationale et des ministères, qu’il y a des choses à changer concrètement; cela passe par des changements de mentalité, par l’introduction de la tolérance, de l’acceptation inconditionnelle de l’autre, par l’éducation à des valeurs et à la civilité. Que les princes qui nous gouvernent montrent l’exemple par leurs actes, et non par des péroraisons ridicules.

  3. Herodote dit :

    Le « mariage pour tous » a ouvert une boîte de Pandore dont un avatar est la théorie dite du genre. Il n’est pas question ici d’en discuter la validité : l’anthropologie a tranché.On ne peut pas non plus se contenter d’y voir un retour de la querelle des anciens contre les modernes. Tout le monde est concerné. Qu’on le veuille ou non, en démocratie les religions ont aussi leur mot à dire. Que cela plaise ou non, cathos, juifs et musulmans sont assez nombreux pour que leur vote soit pris très au sérieux.
    La question est ailleurs. Comme le souligne M. Liscia, il s’agit de l’expérimentation d’une théorie hasardeuse sur des écoliers qui sont nos enfants. On peut supposer que cette tentative sera suivie d’autres aussi peu masquées.
    Or une radicalisation est en marche. La presse relève une aggravation significative des actes homophobes. Le système éducatif doit prendre garde : il s’agit de nos familles. Des parents « arrièrés » (eux-mêmes victimes de stéréotypes) peuvent s’indigner. Il ne faudrait pas que l’enseignement déjà malmené devînt aussi un métier à risque.

  4. JMB dit :

    La notion de genre, traduction de l’anglais gender, a plus de 40 ans et est due à la sociologue Ann Oakley. Elle s’est développée aux États-Unis dans la mouvance du féminisme. Une de ses personnalités, l’historienne Joan Scott a déclaré : “il n’y a pas de “théorie du genre” — la “théorie du genre” est une invention qui a remplacé le communisme dans la rhétorique du Vatican.” (Le communisme avait lui-même remplacé l’arianisme, le nestorianisme, le monophysisme, le judaïsme, le catharisme, le protestantisme, la franc-maçonnerie, l’esprit des Lumières). Récemment, Télérama a publié une interview d’une figure de ce mouvement, Judith Butler.
    Finalement, la classique opposition entre nature et culture.
    L’émergence dans l’actualité française de la notion de genre ? le classique décalage de temps entre le monde anglo-saxon et la vieille Europe.

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