Surréalisme ferroviaire

André Chassaigne, le « magicien »
(Photo AFP)

Comment une petite minorité de cheminots a-t-elle réussi à mettre le pays à genoux alors que le ministre des Transports, Frédéric Cuvilier, avait pris des garanties auprès de la CGT avant la discussion du projet de réforme à l’Assemblée ? Maintenant que la crise semble toucher à sa fin, on comprend mieux ce qui s’est passé.

THIERRY LEPAON, secrétaire général de la CGT, a tout simplement été débordé par sa base. Il avait promis en privé que la grève serait symbolique, qu’elle ne durerait que deux jours. Mais les « roulants », ceux qui conduisent les trains et sont donc indispensables au trafic, ne l’entendaient pas de cette oreille. En réalité, le sujet est plus politique que syndical. La CGT est concurrencée par Sud-Rail, syndicat particulièrement intransigeant, et craint que ses militants passent au syndicat concurrent.  On a donc assisté à une simple surenchère.

Un « tournant ».

Le gouvernement, avant même la discussion du projet de loi réformant le système ferroviaire, était prêt à faire des concessions pour protéger le statut des cheminots. Il a quand même fallu attendre neuf jours de grève pour qu’André Chassaigne, député communiste, dépose un amendement affirmant qu’il y a un seul patron à la SNCF et que la création des trois établissements publics ne change rien au statut des salariés. Aussitôt, M. Lepaon saisit la balle au bon et déclare que la grève est à un « tournant ». Non pas, réplique Sud, qui refuse de reprendre le travail.

Sud à lui seul ne fait pas le poids. Le nombre de grévistes diminue chaque jour. Si les cheminots CGT reprennent le travail aujourd’hui, (comme c’est déjà le cas à Toulouse, mais pas dans d’autres villes), c’en sera fini de la grève. Mais, comme le souligne Hervé Mariton, élu UMP et tout récent candidat à la présidence de son parti, l’amendement Chassaigne prive la réforme d’une partie essentielle de son contenu. En effet, si on veut un système ferroviaire performant capable de résister à la concurrence étrangère que les directives européennes vont bientôt nous imposer (la SNCF gagne déjà de l’argent à l’étranger en fournissant des prestations de services), il faudra bien un jour aligner le statut des cheminots sur celui de tous les salariés du pays. On n’en prend pas le chemin.

Hypocrisie.

Mais l’urgence, c’est la reprise normale du trafic. Les usagers sont à bout de nerfs et épuisés. Quand les grévistes vont dans les gares distribuer des tracts, quand ils tiennent des discours pour expliquer qu’ils se battent moins pour eux-mêmes que pour le public, leur hypocrisie et leur mauvaise foi deviennent criantes. Oui, on peut être un travailleur salarié et défendre des privilèges. On peut ne pas être riche et bénéficier quand même d’un statut ultra favorable, sans risque de licenciement, avec des heures de travail peu nombreuses et une retraite à 55 ans, payée par le contribuable. Dans le public, on entend encore des gens qui soutiennent la cause des cheminots et prennent leur mal en patience. Leur état d’esprit leur dicte leur conduite : un salarié a forcément raison contre son patron. C’est cet état d’esprit qu’il faut réformer.

Cependant, la grève aura été largement impopulaire. On veut seulement espérer que l’opinion dans son ensemble va comprendre que les injustices ne sont pas seulement commises par la classe supérieure ou par les banques et les entreprises. Et que dans ce pays, on se préoccupe plus de protéger ceux qui ont un emploi que de créer les conditions permettant de recruter parmi les plus de trois millions de chômeurs. Ces conditions commencent par l’égalisation des droits des travailleurs et par la suppression des différences de classe entre groupe de salariés.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Surréalisme ferroviaire

  1. Dr Jérôme Lefrançois dit :

    C’est un véritable scandale que le service public qu’est le transport ferroviaire soit confisqué par une infime minorité et inaccessible aux usagers.
    Ce serait un scandale aussi, même s’il y avait une majorité de cheminots grévistes!
    Et la bonne question devient la nécessaire réforme de ce « droit de grève » qui est devenu un droit officiel de prise d’otages.J’attends impatiemment que des avocats et autres juristes se penchent sur cette question.
    Et s’il était encore besoin de démontrer l’archaïsme du fonctionnement de notre pays, le bazar actuel nous en aurait apporté une éclatante démonstration.
    L’effet dissuasif (de fréquenter notre pays) auprès de nos amis étrangers doit être considérable, que ce soit pour des raisons touristiques (dans le même genre, l’inaccessibilité à la tour Eiffel il y a quelques jours, pour cause de grève de quelques personnels), pour des raisons professionnelles, ou toutes autres raisons.
    La politique de Hollande fait fuir les Français, les grévistes vont faire fuir des étrangers et des visiteurs. Resteront quelques personnes intéressées par nos « lois sociales » à souhaiter venir en France, et quelques Français encore attachés à des valeurs d’amour du pays.

    Cocorico!

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