Les diviseurs

Les obsèques de Charb ce matin
(Photo AFP)

Au nom de Charlie Hebdo, il faut accepter toutes les opinions sur la tragédie que la France vient de vivre. Nos médias en sont tellement persuadés qu’ils donnent la parole à tout le monde, y compris à ceux qui ne sont pas Charlie et qui, pourtant, ont été écartés des grandes manifestations de dimanche dernier. Je ne vois pas d’autre issue, dans ces conditions, que de m’élever à mon tour contre ce qu’ils ont l’audace de dire.

IL FAUT bien les comprendre : ils sont plus intelligents, beaucoup moins naïfs que nous. Ils ne sont pas dupes de l’attitude du pouvoir qui se féliciterait presque du malheur infligé à la nation parce qu’il sert sa popularité ; toute notre construction philosophique autour des libertés n’est qu’une hypocrite manière de nous absoudre de nos propres crimes ; nous sommes tous des assassins, dès lors que notre pays est engagé dans les guerres du Moyen-Orient et, en somme, les Kouachi et Coulibaly ne nous ont pas fait le millième de ce que nous avons fait là-bas ; tout le monde a droit à l’outrance (dixit Rony Brauman). Et, bien sûr des tonnes de propos anti-sionistes prennent à partie le gouvernement israélien et cachent à peine leur antisémitisme sous-jacent.

Indignés de notre indignation.

Il s’agit d’une indignation au deuxième degré, celle que soulèvent l’indignation générale des Français et, disent ces censeurs, le conformisme d’un peuple dont l’unanimité risque d’exclure le droit à la différence. J’ai reconnu dans mon blog d’hier que les réactions inquiètes des musulmans étaient compréhensibles, que ces raz-de-marée contre l’intégrisme peuvent blesser ceux que la République, qu’on ne cesse d’exalter, a tout de même oubliés. Mais la subtilité du raisonnement et l’analyse des complexités de la situation ne doivent pas conduire à renverser le mouvement en faveur de la démocratie et contre la menace terroriste. L’internationale du crime n’a que faire de ces finesses. Les islamistes persécutent des peuples musulmans en commettant des atrocités inouïes ; les chrétiens, les yazidis, les kurdes nous appellent à l’aide et, s’il y a un reproche à faire aux gouvernements occidentaux, c’est qu’ils restent souvent les bras ballants face à la barbarie commise ailleurs.

Faudrait-il que notre gouvernement fût amorphe devant des actes d’une gravité insigne ?  Les Français qui se sont dressés, presque tous, contre les attentats, étaient-ils obligés de le faire, n’ont-ils pas agi parce que le danger devient alarmant et même obsédant, pas seulement pour la sécurité de chacun mais pour notre manière de vivre ? Ceux qui ne sont pas Charlie, ceux qui se sentent Coulibaly, ceux qui se croient Kouachi et ceux qui, en dénonçant la révolte populaire parce qu’elle est consensuelle, tentent en réalité d’établir une équivalence entre le blasphème et le crime de sang. Qu’ont dit les Français ? Que dans la France laïque, on n’est pas obligé de respecter une religion. Est-ce que ce choix doit être puni par le crime ?

Les vecteurs de l’islamophobie.

L’objectif de la plupart de ces commentaires, signés le plus souvent par des personnes connues pour leur anti-sionisme et leur anti-américanisme, n’est pas, en fait, de donner un avis différent sur les attentats. Il est de mettre sur le même pied que les intégristes radicaux des sociétés démocratiques qu’ils jugent tout aussi violentes, da façon à poursuivre le travail de discrédit qu’ils accomplissent depuis longtemps contre Israël et contre les États-Unis. Pourtant, Israël subit le terrorisme plus souvent qu’à son tour, alors que des milices de tous azimuts exterminent les Syriens, les Libyens, les Irakiens, les Kurdes par dizaines de milliers. Mais bien sûr, les 2200 morts de Gaza compteront toujours plus à leurs yeux.  Ils ont de l’empathie pour la souffrance humaine qui conduit au meurtre. Ils n’en ont jamais pour des civils sur qui pleuvent des roquettes aveugles.

Et surtout, par les idées qu’ils expriment, ils deviennent les vecteurs les plus efficaces de l’islamophobie, celle-là même qu’ils prétendent combattre. Quel citoyen peut se satisfaire de leurs explications quand leur premier souci est moins de pleurer les morts, ce qu’ils font dans une parenthèse de leur discours, comme un os à ronger, que de répandre leur point de vue ?

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Les diviseurs

  1. phban dit :

    Cela méritait d’être dit et avec toute la vigueur requise, merci !

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