DSK, la morale et la loi

DSK, délinquant ou victime? (Photo AFP)

DSK, délinquant ou victime?
(Photo AFP)

Dominique Strauss-Kahn et de nombreuses autres personnes comparaissent devant un tribunal correctionnel de Lille dans le cadre de l’affaire dite du Carlton, du nom de l’hôtel où des jeunes femmes auraient été « recrutées » pour aller distraire le directeur d’alors du Fonds monétaire international à Washington. L’excitation médiatique autour de cette nouvelle affaire DSK est malsaine. Il y a certes un public très large pour tout ce qui concerne les frasques de l’ancien ministre, mais ce nouveau volet judiciaire ne mérite pas un intérêt aussi grand qu’on veut bien nous dire. Il n’a en fait d’intérêt que parce qu’il pose la question du rôle de la justice dans des affaires qui relèvent plus de la morale personnelle que de la délinquance.

EN EFFET, tout se passe comme si la justice française voulait faire à M. Strauss-Kahn le sort que la justice américaine, en dépit de ses méthodes humiliantes pour des gens présumés innocents, n’a pas réussi à lui faire subir. Le parquet estimait qu’il n’était pas possible ou nécessaire de poursuivre DSK, un juge en a décidé autrement. Le principal résultat de cette décision, c’est un déballage indécent sur les parties fines de Washington, les abus auxquels ses protagonistes se seraient livrés, la manière dont les filles étaient payées pour leur travail ou le financement des déplacements. Ceux qui militent contre le proxénétisme se sont emparés de l’affaire : il leur a semblé qu’en faisant condamner DSK, ils obtiendraient un énorme progrès dans la lutte contre le proxénétisme et, si c’est possible, pour l’éradication de la prostitution. Un raisonnement juridique tenu par l’accusation tente de démontrer que, dès lors que DSK a bénéficié des faveurs de prostituées et qu’il n’en a pas payé le prix, il s’est conduit en souteneur. Mais le bon sens n’est pas de cet avis, car il est logique de considérer que l’ancien directeur du FMI était un client et non un prestataire de services.

Juger en droit.

Les incessantes révélations sur le comportement personnel de M. Strauss-Kahn ne prédisposent pas à l’indulgence. Pourtant, selon un récent sondage, 74 % des Français estiment qu’il aurait fait un meilleur président que François Hollande. Il a conservé de sa tentative vite avortée de conquête du pouvoir une aura extraordinaire. Les gens continuent de penser qu’il aurait trouvé à la crise les solutions que M. Hollande cherche encore. Le président du tribunal de Lille a fort bien posé le problème. Il a expliqué qu’il s’agissait de juger en droit. C’est-à-dire non pas de se pencher sur l’absence de vertu chez DSK, mais de dire si des délits ont été commis et comment ils doivent être châtiés. Cette déclaration liminaire est importante : elle fixe le cadre du débat et laisse entendre que le tribunal n’a pas du tout l’intention de s’acharner sur DSK si le droit ne le lui permet pas. Juger en droit, c’est bien entendu ce que M. Strauss-Kahn attend de tous les magistrats qui, de New York à Lille, se sont penchés sur son cas. Et si son procès est utile, ce sera dans la mesure où il mettra un terme à une certaine dérive, celle à laquelle semblent céder quelques juges qui s’acharnent contre un homme parce qu’il joue un rôle politique important. Ce qui est vrai pour Nicolas Sarkozy, qui a subi à Bordeaux un traitement judiciaire proche des mauvaises manières, l’est aussi pour DSK. Nous avons tous le droit de ne pas éprouver de la sympathie pour un personnage public. Mais ressentir quelque vénéneux délice à plonger dans sa vie privée nous situe au niveau de dégradation où d’aucuns aimeraient le voir.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à DSK, la morale et la loi

  1. Dr Jérôme Lefrançois dit :

    Je n’ai pas accompagné M. Strauss-Kahn dans ses pré-supposées aventures sexuelles diverses et variées.
    Je pense vraiment que ni le grand public ni la justice n’ont à s’occuper des (supposées) histoires « de cul » de DSK.
    Nous avons vraiment autre chose à faire que de regarder par le trou (!) de la serrure.
    Et je considère que ceux et celles qui se repaissent de ces histoires, y compris les journaux (et journalistes) qui le font pour faire du papier et de l’argent, ne sont pas d’une plus haute moralité que ceux qu’ils commentent, voire jugent (en l’occurrence DSK).
    Il est certain que beaucoup (à droite comme à gauche, en France comme à l’étranger) reconnaissent à DSK des compétences qui seraient fort utiles à la France et aux Français, depuis quelques mois et pour de nombreuses années encore, et dont François Hollande n’a pas fait beaucoup de démonstration.
    La réalité est là, et non pas en-dessous des ceintures.
    Malheureusement, le cerveau de beaucoup de commentateurs plafonne en-dessous des ceintures dans leur façon de s’acharner sur DSK.
    Chacun a les priorités de pensées qu’il est capable d’avoir…

    Dr Jérôme Lefrançois

  2. DS 21 dit :

    Quelle que soit l’admiration assez large (quels sondages, demandés, élaborés, interprétés par qui), y compris de la part des gogos (dont un sondage sérieux peut faire une certaine évaluation), portée au génie de la finance s’il en est (selon certains articles, il serait « impliqué » dans la merveilleuse réforme des « 35 heures » et aurait eu un pronostic totalement faux quelques mois avant la « crise » de 2008), il reste à juger ses éventuels méfaits (proxénétisme, abus de pouvoir, etc.). Il n’y a pas à s’acharner contre lui, ni à le disculper a priori au prétexte « gratuit » de la protection de la vie privée et de la gaudriole, sachant tout ce qu’il pourrait y avoir de drames et de crimes en amont : prostitution forcée, torture, drogue, associations de malfaiteurs, dilapidation d’argent public, etc.

    • Etienne ROBIN, néphrologue dit :

      M. Liscia, je vous approuve lorsque vous trouvez malsain que la Justice déballe la vie privée d’un homme : celle-ci ne relève pas de la loi.
      Mais tout de même, il y a, dans les activités sexuelles de DSK, quelque chose qui pourrait relever de la loi, au titre de la corruption d’un élu. A plusieurs reprises, plusieurs femmes se sont envolées de France vers Washington pour distraire notre homme. Cela a coûté cher. Cela a été financé par des entrepreneurs. Ils escomptaient qu’une fois élu président de la République, DSK se souviendrait des services rendus. Leur intention de corrompre paraît évidente. L’acceptation, par DSK, de se laisser éventuellement corrompre, le moment venu, n’est guère douteuse. En effet, dans cette affaire, les moyens de pression dont auraient disposé les corrupteurs sur DSK devenu chef de l’État, étaient si forts qu’il n’aurait pas pu résister.
      Comment jugerait-on un médecin chef de service qui accepterait que des fournisseurs de matériel médical, ou des entreprises de construction hospitalière, financent ses soirées récréatives ? La justice, je suppose, le condamnerait.

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