Religions : guerre franco-française

Todd contre le 11 janvier (Photo AFP)

Todd contre le 11 janvier
(Photo AFP)

En publiant son plus récent ouvrage, « Charlie. Sociologie d’une crise religieuse, éditions du Seuil », l’historien et sociologue Emmanuel Todd, connu pour ses positions singulières, savait que sa dernière provocation en date troublerait la gauche et le monde intellectuel.

IL EST MÊME ALLÉ se féliciter sur les plateaux de télévision de son incomparable prescience, de la qualité de son travail, fondé sur le décompte des manifestants du 11 janvier dernier (fichiers ethniques?); et il s’estime inattaquable. Sa grande idée, c’est qu’une écrasante majorité de la France « blanche » a manifesté, ce qui excluait de facto les musulmans français qui n’étaient pas Charlie.
Tout le monde n’est pas d’accord avec lui, il s’en faut. S’il exige, à raison, que l’on prenne « la religion au sérieux », cela ne devrait pas dire que nous faisions d’elle l’alpha et l’oméga de notre vie courante. Il n’a vu dans ce 11 janvier qu’un immense accès d’islamophobie alors que le pays tout entier a bien pris soin de distinguer entre l’islam et les fanatiques qui l’instrumentalisent pour fomenter leurs crimes. Dans sa veine islamophile, il n’est pas le seul. Beaucoup d’intellectuels prennent le parti de défendre les musulmans qui sont, il est vrai, écartelés entre leur foi et l’usage qui est en fait par des criminels. Pourtant, nous sommes tous largement prévenus contre un tel amalgame et contre les généralisations : le seul fait de parler « des » musulmans crée une seule catégorie là où on dénombre de très nombreux groupes, tous différents. Pis : M. Todd estime, comme d’autres, que l’islamophobie a remplacé l’antisémitisme.

Des précautions infinies.

Ce qui me semble deux fois faux. La religion juive n’a jamais produit des djihadistes capables de semer la terreur dans Paris et, en conséquence, la réaction populaire contre les attentats explique la phobie de l’islam qui a germé dans certains esprits. En réalité, la démonstration d’Emmanuel Todd accompagne d’autres exercices du même genre que l’on retrouve certes à gauche mais aussi du côté de l’extrême droite. Il est utile, au nom du débat démocratique, de démonter un totem ou tabou, encore faut-il que l’exercice soit pertinent. Je suis de ceux qui pensent exactement le contraire de ce qu’avance M. Todd. Comme les manifestants du 11 janvier, le gouvernement a pris des précautions infinies pour montrer son empathie pour les musulmans, certes meurtris par des actes qui jetaient la suspicion sur eux mais qui n’étaient pas, je l’ai rappelé à plusieurs reprises, les premières victimes du terrorisme en France. Personne ne peut ignorer que les attentats sont commis au nom de la religion musulmane, même si elle est, en l’occurrence, mal interprétée.

La laïcité à toutes les sauces.

D’autres se sont étonnés de ce que François Hollande, au nom de la laïcité, se soit rendu dans une synagogue après l’attentat contre l’Hyper casher. Il y a ceux qui prennent le mot laïcité au pied de la lettre et qui voudraient que l’État prenne ses distances avec toutes les religions. Et il y a ceux, comme M. Todd, qui veulent au contraire que la reconnaissance de l’islam en France soit l’instrument d’une réconciliation nationale. Encore faut-il que nous soyons d’abord débarrassés des terroristes, ce qui n’est pas pour demain. Encore faut-il que les différences entre les divers courants musulmans ne donnent pas lieu à des guerres, comme celles auxquelles on assiste en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen. Prendre la défense des musulmans, bien sûr, mais lesquels ? Voir un seul bloc dans l’islam, voilà où se situe l’intolérance. Admettre qu’une majorité de musulmans est compatibles avec la République et qu’une minorité ne l’est pas dès lors que son premier souci est de détruire nos institutions me semble correspondre à une attitude plus juste.

Ce qui est prodigieusement agaçant, c’est cette façon qu’ont certains de nos intellectuels de vouloir nous culpabiliser collectivement à tout prix. À droite, ils nous somment de nous réveiller, de nous mobiliser contre le danger qui nous menace, même si, ce faisant, nous renoncerons à nos principes. À gauche, ils voudraient que nous cessions de prendre des mesures de défense contre le fanatisme sous le prétexte que cette mobilisation stigmatise la totalité des musulmans de France. Inutile de dire que le débat n’enlève rien à la détermination du gouvernement. Le Premier ministre, Manuel Valls, a publié la semaine dernière une tribune dans « le Monde » pour dénoncer les idées d’Emmanuel Todd. Le chef du gouvernement, il est vrai, ne refuse aucun combat, y compris celui qui l’oppose à un intellectuel classé à gauche. Mais ce classement ne signifie plus rien dans un monde qui change si vite qu’il déboussole des gens dont l’immense intelligence les incite à produire des contre-vérités.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Religions : guerre franco-française

  1. JMB dit :

    Dans l’Espagne de la fin du Moyen Âge, qui avait expulsé la population juive retorse à la conversion, l’un des moyens de déceler les conversos non sincères qui judaïsaient en secret étaient de pointer ceux qui ne mangeaient pas de porc (ou consommaient une cuisine à l’huile).
    Un homme politique ne voulait-il pas récemment supprimer les repas de substitution dans les écoles ?
    Ainsi, la consommation ou non de porc distinguerait les vrais Français des autres, comme elle a distingué les vrais Espagnols des autres dans le passé.
    Il y a des similitudes qui interpellent.

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