La bataille de la nationalité

Valls sûr de lui (Photo S. Toubon)

Valls sûr de lui
(Photo S. Toubon)

Le débat sur la déchéance de nationalité a pris, au cours du week end, un tour vivement polémique en dépit de la trêve des confiseurs et des fêtes de fin d’année. Le sujet n’est pas mineur: le gouvernement veut élargir la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France et condamnés pour terrorisme. Il présentera un texte à l’Assemblée le 3 février 2016.

PERSONNE, en France, ne souhaite accorder aux terroristes un avantage qui leur serait concédé par les règles immuables de notre démocratie. S’il existe dans notre pays un seul consensus, c’est la volonté nationale de combattre le terrorisme jusqu’au bout. La déchéance de nationalité est-elle pour autant un instrument efficace de lutte contre la violence insensée de nos ennemis ? On ne sait pas trop ce qui les effraie puisqu’ils sont prêts à mourir dans des attentats. Ce qui est sûr, c’est que la perte de la nationalité française ne les épouvante pas plus que la mort. On peut même dire qu’ils n’ont que mépris pour le privilège qu’on leur retire.

Une question de principe.

Il est indéniable, en revanche, que la déchéance de nationalité pose un très sérieuse question de principe. Elle est d’autant moins anodine qu’elle concerne les nombreux binationaux qui vivent en France et seront classés dans une deuxième catégorie de citoyens, ceux qui ne seront plus sûrs d’être des Français à part entière. À cette éventualité, il y a un précédent, celui des lois scélérates de Vichy. On ne fera aucune comparaison entre un gouvernement de la Vè République et celui de Laval. Mais la nouvelle loi risque d’ouvrir une porte par laquelle s’engouffreront peut-être de nouvelles dispositions exceptionnelles, surtout si le terrorisme multiplie ses ravages et crée dans notre pays une atmosphère de guerre civile.
Manuel Valls a insisté dimanche sur la gravité de la situation actuelle pour expliquer la démarche du gouvernement. Il n’a pas convaincu son propre camp, déchiré par le dilemme. Si la nouvelle loi n’a pour effet que de diviser la gauche, on n’en ferait pas une maladie : la gauche ne manque jamais une bonne raison de se diviser. Mais pourquoi le débat devrait-il être circonscrit aux socialistes ? Il nous concerne tous et nombre de gens de droite doivent se sentir tout chose de se retrouver dans le camp des « frondeurs », de Benoît Hamon et de Martine Aubry. Le gouvernement n’est pas crédible quand il brandit la déchéance de nationalité comme une arme de dissuasion, il sait bien qu’elle ne permettra pas d’empêcher des attentats. On accepterait sans doute une loi efficace en dépit de la limitation des libertés qu’elle contiendrait. Mais, en l’occurrence, le danger est immense pour les binationaux avec un effet pratique qui sera nul. Purement symbolique, dit le gouvernement, mais le symbole, cette fois, envoie un message très négatif à quantité de gens qui se croient définitivement français et que l’adoption de la loi plongera dans une inquiétude profonde sur leur avenir.

Un État moins sûr.

De nouveau aujourd’hui, Manuel Valls écrit sur Facebook que la déchéance de nationalité n’est pas un concept d’extrême droite. Il n’en a pas moins repris à son compte une idée qui a été avancée pour la première fois par le Front national. Que n’a-t-on pas dit de Nicolas Sarkozy parce qu’il espère encore battre le Front en lui dérobant une partie de ses idées ! Là, on a plutôt le sentiment qu’un gouvernement de gauche se place sur le terrain du président des Républicains. Les binationaux nés sur le sol français n’ont rien à craindre, nous disent les promoteurs de la loi. L’État n’inquiètera jamais des citoyens qui respectent les règles et apportent leur contribution au développement de la démocratie. Ces personnes, dans leur immense majorité, sont sûres d’elles-mêmes ; elles savent qu’elles ne commettront aucun acte qui risquerait de les rendre coupables aux yeux de la loi. Elles seront moins sûres d’un État qui fragilise leur statut et crée un fossé juridique entre elles et le reste du peuple. C’est ce clivage qui est insupportable.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à La bataille de la nationalité

  1. Bonsoir.
    Manuel Valls a-t-il gardé la nationalité espagnole ? Est-il « bi-national » ?
    Pourquoi existe-t-il des bi-nationaux et des mono-nationaux ? Est-ce juste ? Les bi-nationaux n’ont-ils pas deux fois plus que les mono-nationaux ?
    Pourquoi ne peut-on devenir apatride ?
    Quand on a deux nationalités et que l’on en bafoue une, pourquoi avoir le privilège de ne pas devenir apatride ?
    Le problème n’est pas dans la différence de traitement entre la déchéance de la nationalité française chez un terroriste franco-autre chose qui a pratiqué le terrorisme sur le sol français, et l’impossibilité de cette déchéance chez un mono-national français qui a fait les mêmes délits sur le même sol français, car l’apatridie n’existe pas.
    Le problème est en amont. Tout d’abord dans la possibilité d’être bi-nat; et ensuite dans l’impossibilité d’être apatride.
    Il ne faut pas mettre dans le même sac un Français bi, terroriste prouvé, et un Français venu d’ailleurs, qui n’a rien fait de mal. Tout le monde sait qu’il y a plein de Français dont les ancêtres génétiques n’ont pas pratiqué le druidisme 🙂

  2. Belzevute dit :

    Il ne s’agit pas de dissuader mais de punir.
    Évidemment dissuasion et punitions sont inutiles et tout serait donc vain vis-à-vis des terroristes..?
    J’ai deux nationalités, respecte celle de mon père, mais aime surtout la France et me vois mal vivre loin d’ici si une déchéance devait m’en chasser.
    Étrangement je n’ai pas peur.
    Et veille à ce que mes enfants et petits-enfants ne balancent pas des bombes au Bataclan.

    • Bonjour « Belzevute ».
      Pourquoi auriez-vous peur ? Vous ne risquez rien puisque vous aimez la France, donc ne voulez lui nuire.
      Vous n’êtes pas responsable (constitutionnellement) de ce que fait votre descendance.
      Concernant la décision du chef de l’Etat et de son premier ministre, nous pouvons considérer qu’elle ne peut s’adapter qu’à « ce qui existe déjà »; d’où son caractère apparemment « bancal » quant à l’égalité, et le désir de modifier « ce qui existe déjà »; personnellement, je ne trouve pas cela illégitime.
      Regardez-vous tous les visages des victimes parisiennes du 13 novembre 2015, une photo par jour, à la une du journal « Le Monde » ? C’est bouleversant. Aucun Français ayant participé à ce massacre ne mérite de le rester, même en posthume.

  3. Dr VULCAN dit :

    Question iconoclaste ? Tous ces Français, émules du Dr Cahuzac voudraient bien acquérir la nationalité suisse.

  4. calvinK dit :

    Restons simple. La communauté nationale est une, indivisible, et repose sur la solidarité de ses membres issus pour beaucoup de populations diverse mais qui adhèrent à un ensemble de principes. Le défunt service militaire avait l’avantage de rappeler ce fait élémentaire à tous les jeunes qui le faisaient et l’école l’enseignait sans faux complexe (on a actuellement peur d’être ridicule en chantant la Marseillaise et elle peut être sifflée). Faire partie de cette communauté confère des droits et des devoirs, les deux issus du concept de solidarité. En situation de guerre, ce qui semble être le cas, un compatriote qui agit dans le camp de l’ennemi est un traître. Au minimum, il est ipso facto en dehors de cette communauté.

    • Bonsoir « calvinK ».

      Le problème est que les mono-nationaux ne peuvent pas, en l’état actuel des lois, être déchus de leur nationalité française, même traitres à la nation, car ils deviendraient apatrides, ce qui, en l’état actuel des lois, est impossible.
      Ce que l’on peut se permettre avec les bi-nationaux (la déchéance), on ne peut pas se le permettre avec les mono-nationaux.
      D’où la polémique +++, hurlant que l’on fait une différence (une ségrégation) entre les Français.
      Or, légalement, il existe bien plusieurs sortes de Français (les mono, le bi nés en France, les bi non nés en France …). La loi est elle-même inégalitaire, en amont d’un éventuel délit terroriste. Un comble !

      De ce fait, pour un Français qui est traitre à sa nation, il existe plusieurs sortes de peines vis à vis de la Nation française : La déchéance (à condition qu’il soit bi) et l’indignité (à condition qu’il soit mono, car il ne peut pas devenir apatride).

      Personnellement, je trouve que le gouvernement a raison de marquer le coup; mais il se heurte à une loi pré-existante elle-même inégalitaire. Ce qui est navrant en démocratie.

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