Porter la kippa ou pas

La kippa, dans sa simplicité (Photo AFP)

La kippa, dans sa simplicité
(Photo AFP)

Un enseignant juif a été agressé à Marseille lundi dernier par un adolescent d’origine kurde qui n’a pas encore 16 ans. Le jeune homme (l’enfant ?) s’en est pris à l’adulte avec une machette. L’enseignant s’est défendu contre les coups avec une Torah, le livre sacré. Il n’a été que légèrement blessé, mais ce qui l’a le plus impressionné, c’est la haine et la détermination à tuer qu’il a lues dans le regard du jeune Kurde, qui a été arrêté.

C’EST une affaire grave, mais pleine de paradoxes. L’adolescent ne semble pas savoir que son peuple se bat contre l’État islamique en Syrie et en Irak. Il a suivi les instructions données par l’EI sur Internet et cet enseignement lui a paru si convaincant qu’il s’est aussitôt transformé en terroriste isolé. Mais à quoi a-t-il reconnu que l’enseignant était juif ? À sa kippa, sorte de calotte que les juifs pratiquants portent sur l’occiput. Le port de ce couvre-chef, qui n’est mentionné qu’une fois dans la Bible, est recommandé par les préceptes religieux mais ne constitue en aucune manière une obligation en dehors de la synagogue.

Une forme de prévention.

Le président du consistoire israélite de Marseille a donc suggéré que les juifs pratiquants s’abstiennent de porter la kippa dorénavant. C’est, franchement, du simple bon sens, dans la mesure où on peut être juif et ne pas la porter, ce que de très nombreux juifs pratiquants ont décidé de faire depuis la recrudescence de l’antisémitisme et les attentats ciblés contre les juifs. La façon de pratiquer une religion relève de la sphère privée et, en somme, on ne voit pas ce qui autorise des gens à dire aux autres quels vêtements ils doivent porter. Les actes d’antisémitisme sont nombreux et violents et l’absence de kippa peut être considérée comme une forme de prévention.
Eh bien, non. Le président du CRIF, qui représente la communauté juive nationale, s’est opposé à l’abandon de la calotte. Le grand rabbin insiste pour que les juifs continuent à la porter. On pourrait penser qu’il s’agit d’un débat limité à une petite communauté d’à peine six cent mille âmes, mais non, tout le monde s’en est mêlé.

Une logique à ricochets.

Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique, prône la « résistance » ; Najet Vallaud Belkacem, ministre de l’Éducation, demande aux juifs de ne rien changer à leurs habitudes, étant entendu, dit-elle, que l’État assure leur protection. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, ne veut pas entrer dans le débat mais réaffirme la prise en charge sécuritaire des juifs par l’État. Brice Hortefeux, proche de Nicolas Sarkozy, pense que « renoncer, c’est céder », ce qui n’est pas faux mais laisse aux seuls juifs le courage de porter la kippa et de se défendre ensuite contre des illuminés munis de machettes. « Il ne faut pas qu’ils retirent ces kippas », dit très simplement Gérard Darmanin (Les Républicains). Et François Bayrou exprime sa « très grande tristesse », mais, dit-il, « la France, c’est vivre ensemble ».
Ces prises de position, toutes en faveur du port de la kippa, s’expliquent par une logique à ricochets. La politique religieuse du gouvernement, c’est la laïcité, rien que la laïcité. Le port de voile par les musulmanes et, a fortiori, celui du hidjab ou de la burka, continuent à alimenter des polémiques passionnées, mais, en gros, les accoutrements qui affirment une identité religieuse sont plutôt rejetés. Voilà que, tout d’un coup, bien que la kippa mette les juifs en danger, les pouvoirs publics qui, à tout le moins, devraient être neutres sur le sujet, les encouragent à résister. Cette attitude des hommes et femmes politiques ira droit au coeur des juifs parce qu’elle soutient leur pratique religieuse et apparaît comme la reconnaissance de leur particularisme. Il est évident que si l’État avait interdit aux juifs de porter la kippa, au nom de la laïcité mais aussi au nom de leur sécurité, ils l’auraient mal pris. Pourtant, l’État se serait placé dans la droite ligne de sa propre politique.

RICHARD LISCIA

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10 réponses à Porter la kippa ou pas

  1. Charpy dit :

    Effectivement, il y a une certaine incohérence à s’en prendre à tout bout de champ au foulard islamique et d’un autre côté à encourager le port de la kippa. Ces deux accessoires signalent dans, l’espace public, une appartenance religieuse qui, de mon point de vue, ne devrait ne relever que du domaine privé. Il me semble qu’en l’état actuel de notre société, les pratiquants de ces deux religions respectables apporteraient un touche de sérénité en se faisant un peu plus discrets.

  2. Michel de Guibert dit :

    Et si on laissait simplement les gens libres d’afficher ou pas des signes religieux dans l’espace public sans être soumis à des pressions, à des contraintes ou à des diktats quels qu’ils soient, fussent-ils motivés par la peur…

  3. phban dit :

    Et voilà, au XXIème siècle, en France, il est encore dangereux d’oser se signaler comme membre du peuple juif ! Que ceux qui en ont le courage portent la kippa s’ils en ont envie, ils ont mérité leur liberté après tous ces siècles de persécution. Il ne s’agit pas là ni de religion ni de laïcité, il s’agit de lutter contre la haine entretenue par des criminels.

  4. jean-louis dit :

    Ce n’est pas une question de prudence, mais de discrétion ou de respect des non-juifs. Mais voilà, c’est la course aux revendications communautaires. C’est l’époque qui veut ça. Touche pas à mes convictions religieuses. Pourquoi les athées, dont je suis, ne s’inventeraient-ils pas un signe distinctif qu’ils arboreraient fièrement dans l’espace public ? et puis et puis…

    • Michel de Guibert dit :

      Arborez ce que vous voulez, mais respectez les autres !
      Je ne vois pas en quoi des convictions ou des signes religieux vous offenseraient ou seraient un manque de respect de vos convictions…

  5. admin dit :

    Ne pas confondre revendication communautaire et sécurité d’une communauté. Les juifs pratiquants ne demandent rien, sauf de ne pas être agressés et même assassinés dans la rue. Cela n’a rien à voir avec la religion et l’athéisme.

  6. jean-louis dit :

    M. Admin
    Comment agresserait-on un juif dans la rue si on ne savait pas que c’est un juif ?
    M. Guibert : si j’ai envie de connaître les convictions politiques ou religieuses de quelqu’un, je les lui demanderai. Pourquoi me les mettrait-il sous le nez d’emblée ?
    Toute opinion affichée est excluante. Il faut pour l’exprimer des conditions particulières. Je peux avoir de bonnes raisons de penser que telle ou telle d’entre elles, pose des problèmes. (pt de vue athée) Alors c’est mal parti avec ce genre d’affichage.

    Réponse
    Une kippa n’est pas une opinion, elle est considérée par les juifs pratiquants comme une obligation. Les mots que vous employez, affichage, opinion, montrent premièrement une forme d’intolérance et deuxièmement que vous n’avez qu’une très vague idée de la question.

    • Michel de Guibert dit :

      @ jean-louis
      Vous pouvez afficher ici votre athéisme militant, mais il me semble que ce sont plutôt vos remarques intolérantes qui sont excluantes…

  7. jean-louis dit :

    Non.
    Les gouvernements, avec leur clientélisme, leur multiculturalisme, leurs calculs, leurs compromissions, leur électoralisme, leur lâcheté, sèment la pagaille, ils vont l’avoir.

    Réponse
    OK, le débat est clos.
    R.L.

  8. Alan dit :

    Qu’on le veuille ou non, la manière dont on s’habille parle de nous. Ce n’est pas une provocation ou du communautarisme que de porter une kippa, ou un foulard, de même que porter une minijupe est un choix (et un droit) mais non une provocation. (Le nikab est notoirement différent)
    C’est lamentable qu’on ait peur de porter une kippa en 2016 en France par peur d’être poignardé dans la rue, mais je comprends que le président du consistoire de Marseille conseille d’éviter la kippa pour se protéger.
    Le risque est qu’on doive, pour se protéger, ne pas porter de mini-jupe, ne pas avoir un décolleté trop profond, des jeans trop serrés…

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